Gou Tanabe nous prsente le chef-d’œuvre d’H.P. Lovecraft « Les montagnes hallucines » sous forme de manga en deux tomes. Dj que de feuilleter Lovecraft constitue en soi un voyage dans l’trange, le faire en commençant par la fin d’un bouquin et en lisant de droite gauche ajoute encore la bizarrerie de l’exprience.
Cette transposition de Lovecraft en manga rejoint efficacement les amateurs de Lovecraft. D’ailleurs, les statistiques le prouvent. Les 382 valuations laisses sur Amazon dmontrent une satisfaction très nette de la clientèle, avec un total de 4,9/5 toiles au moment d’crire ces lignes.
Je prfère normalement les bandes dessines et les romans graphiques en couleurs, mais l’interprtation en noir et blanc de la production de Lovecraft va merveille ce monde fantastique dans lequel nous plonge Tanabe.
Lovecraft rend crdible une œuvre fantasmagorique en intgrant dans la trame un mlange bien dos d’lments rels et de fiction. À moins d’être soi-même archologue et palontologue, on peut difficilement vrifier quelles donnes appartiennent vritablement la science. Cela permet d’encadrer davantage le lecteur. On reconnaît les instants de pure imagination, mais on reste accroch.
Je me mets la place d’une personne qui vivait l’poque de Lovecraft, au moment où l’Antarctique ne constituait qu’un continent mystrieux et encore inexplor dans sa totalit. Une histoire remplie d’lments de fiction gagnerait en crdibilit, alors que personne ne pourrait vraiment confirmer ou infirmer certains propos de l’auteur.
On trouve dans « Les montagnes hallucines » des propos sur la navigation voile, l’aviation, la mto extrême, la survie dans les espaces glacs et isols. Le lecteur assiste aux problèmes vcus par les diffrents quipages partis explorer l’Antarctique. Les dcouvertes de plus en plus saisissantes des scientifiques les forcent prendre des dcisions risques qui les plongent dans un monde inconnu. Bref, des thèmes qui plaisent encore aujourd’hui la plupart des gens.
Les deux tomes totalisent autour de 650 pages qu’on feuillette avec intrêt en une journe puisque plusieurs planches n’incluent aucun texte.
« En juillet 1888, aux alentours de la Saint-Jacques, Oncle me fit grosse ». C’est ainsi que commence le roman « Dans le ventre de Klara » de Rgis Jauffret, ce maître des phrases chocs et de la synthèse. La Klara en question, c’est Klara Hitler, qui au moment du rcit porte en elle un Adolf Hitler dj capable de lui insuffler l’occasion des visions du dsastre qu’il orchestrera des annes plus tard.
L’auteur a trouv une façon unique de positionner dans le texte les prmonitions terribles de Klara. Ils les imposent soudainement au milieu des rêveries quotidiennes de la future mère, souvent au beau milieu d’un paragraphe ou d’une phrase.
Dans ce rcit naviguant entre les faits vcus et la fiction, l’pouse doit demeurer sa place et ne rien esprer. L’crivain fait dire Klara : « Je suis afflige de la manie d’esprer autre chose que mon sort ». Le mari dcide de tout. Le confesseur de l’glise locale aimerait bien surpasser l’autorit de l’poux, mais cela s’avère plus difficile que prvu. Le mari et l’abb reprsentent bien les pouvoirs excessifs dont ils jouissent sur les femmes de cette poque. Un militaire grad sans grande exprience de combat qui dicte sa conduite sa conjointe comme un soldat, et un abb fanatique qui impose les règles arbitraires d’une religion qui rend malade, asservit la femme et impose ses dogmes distance aux couples.
L’auteur crit, en parlant de Dieu et de la femme : « Une chrtienne doit enfanter, contribuer peupler la Terre qu’Il nous a donne pour thâtre nos pchs ». Et lorsque Klara se trouve de nouveau au confessionnal et se fait tancer par l’abb : « Foin de la voix du Christ envole, c’tait maintenant l’abb Probst qui s’employait me faire passer par les verges du langage. Des phrases longues comme des lanières. Des mots lourds, contondants comme des matraques. Des mots subtils, acrs, par endroits hrisss de pointes rougies. Une ponctuation de verre bris […]. » Vous voyez le style…
J’apprcie particulièrement la plume de Rgis Jauffret pour avoir lu d’autres de ses œuvres dont « La ballade de Rikers Island », « Le dernier bain de Gustave Flaubert », « Papa » et les trois volumes intituls Microfictions, parus respectivement en 2007, 2018 et 2022. Il a d’ailleurs remport le Goncourt de la Nouvelle pour l’dition de 2018.
Rgis Jauffret explique en quelques minutes l’intention derrière son dernier roman dans une vido sur Youtube, si cela vous intresse de creuser davantage le sujet.
Dimanche 24 septembre 2023, la compagnie Quatre Natures organisait un cours certifi de kayak de mer niveau 1 sur le fleuve Saint-Laurent, partir de l’île d’Orlans. L’inscription se faisant longtemps d’avance, on devait avoir un peu de chance lors de l’activit, car elle aurait lieu autant par beau temps que par mto pourrie.
Je tente donc ma chance. Heureusement, une journe incroyable attend les six tudiants en cette fin de septembre : plein soleil et une vingtaine de degrs Celsius. Comment doit-on se vêtir pour les circonstances ? On sait que la temprature du corps humain est de 37 degrs Celsius. Le kayakiste additionne la temprature de l’eau et celle de l’air et compare le total la temprature du corps humain. Le fleuve tant cette journe-l 18 degrs et l’air autour de 20 degrs, cela donne un total de 38. Ce chiffre tant lgèrement suprieur la temprature normale du corps, on peut porter des vêtements usuels pour les activits dans l’eau, et non pas une combinaison isothermique.
L’avant-midi sert couvrir la thorie. Personne ne met un pied dans l’eau. L’instructeur discute de ce que le kayakiste doit obligatoirement avoir bord, de la qualit relative des diffrents quipements, de la prparation, des communications et frquences radio, de la scurit et de la prvention de l’hypothermie, etc.
Après le dîner, on place d’abord les kayaks sur le gazon puis on apprend le vocabulaire reli chaque partie du kayak. Par la suite, l’tudiant s’installe dans l’embarcation et se familiarise avec les ajustements des cale-pieds du kayak, la façon de tenir la pagaie, l’installation de la jupette, etc. On apporte ensuite les embarcations sur la rive et la pratique du kayaking dbute.
Tout d’abord, on apprend les manœuvres de base. Comment embarquer et dbarquer, la trajectoire que la pagaie doit suivre dans l’eau selon que l’on veut avancer, reculer, tourner. On discute de la position correcte du corps, des bras et des poignets sur la pagaie et de l’importance de la rotation du bassin pour forcer adquatement. On ralise rapidement l’influence des vents de côt sur le kayak, spcialement lorsqu’il n’a pas de drive ou de gouvernail.
On considère le fleuve comme tant de niveau 2 pour la pratique du kayak. Le courant est important et on compose avec des mares de trois mètres. Le vent autour de l’île est galement plus fort qu’ Qubec. Le pratiquant de niveau 1 est invit se trouver des endroits de niveau 1 pour prendre de l’exprience et de ne jamais partir seul cette tape de son apprentissage.
Pendant les exercices, on aperçoit au large les navires porte-conteneurs et les diffrents bateaux de plaisance. Les plus gros bâtiments gnèrent des vagues qui prennent entre cinq et dix minutes avant d’atteindre la rive. Lorsque celles-ci approchent, l’instructeur avertit les kayakistes novices de se tourner face l’onde, de façon limiter les effets sur l’embarcation.
Puis viennent les manœuvres d’urgence : quelle est la procdure pour sortir d’un kayak qui vient de chavirer ? Comment aider quelqu’un qui a chavir ?
Je n’ai pas eu le temps de me rendre cette tape du cours. J’ai chavir avant. Je ne me rappelle pas comment j’ai fait pour m’extirper du kayak et revenir la surface, mais on ne parle pas ici d’une mthode approuve. Le cerveau dtecte immdiatement le danger et s’organise pour que le corps sorte du kayak et que la tête ne reste pas trop longtemps sous l’eau.
Dans les minutes qui suivent, l’instructeur nous enseigne comment s’effectue la sortie classique d’un kayak chavir. Nous travaillons par groupes de deux. Au niveau 1, il n’est pas encore question d’utiliser la pagaie pour forcer la rotation du kayak.
Pour obtenir la certification KDM 1, tous doivent se pencher de côt pour que le kayak se renverse. Une fois submerg, l’tudiant se penche vers l’avant, dcroche la jupette attache au kayak, tape lentement trois fois sur la coque du kayak pour signaler qu’il est en contrôle de ce qu’il fait. On veut viter les ractions imprvisibles. Il se pousse ensuite hors du kayak en plaçant ses mains la hauteur des hanches sur la hiloire. Dès sa sortie de l’eau, il doit absolument se tenir le long de son kayak, grâce la ligne de vie. Le tout ne prend que quelques secondes. Ici et l, on entend un peu tousser la sortie de l’eau, mais sans plus. Une bonne gorge de fleuve Saint-Laurent renforce le système immunitaire.
Vient ensuite la rcupration de la personne dans l’eau. Comme nous travaillons en quipe, le ou la kayakiste en difficult s’accroche au-devant de notre kayak et demeure l, le temps que l’on rattrape son kayak, le monte sur notre embarcation, le vide de son eau, le retourne et le positionne correctement.
La personne accroche au kayak lâche ensuite sa prise, et selon la mthode enseigne, grimpe nouveau dans son embarcation pendant qu’on la tient solidement. L’important ici est de conserver son centre de gravit le plus bas possible. Si la personne ne se presse pas et procède par tapes, l’opration est un succès tous les coups.
Quelques autres exercices suivent et le retour s’effectue vers la plage de l’île d’Orlans quelques heures plus tard. Une fois tous les participants schs et rhabills chaudement, le cours se termine par quelques notions de mto, dont la ncessit de consulter les prvisions et les radars mtorologiques ainsi que de revenir rapidement au bord lorsqu’il y a prsence de cellules orageuses.
On survole galement le calcul de la mare (règle des 12) et la façon d’attacher un kayak sur un toit d’auto. Combien de points de fixations ? Quels sont les quipements disponibles pour faciliter la tâche ? Où doit-on passer les harnais pour viter de briser le kayak ? Etc.
La remise du certificat KDM 1 se fait environ huit neuf heures après le dbut du cours, selon l’valuation de l’instructeur. J’ai not que lors du retour la maison, dans la chaleur de la voiture, je n’avais vraiment pas envie de me presser sur la route. Mais on revient vite la ralit quand on voit la vitesse laquelle les autos arrivent derrière soi.
Bref, une journe bien remplie dont on se souvient!
Pour payer ses dettes d’tudes rapidement, Kate Beaton, une jeune rsidente de la Nouvelle-Ecosse, dcide en 2005 d’aller travailler dans le nord de l’Alberta pour les compagnies ptrolières exploitant les sables bitumineux. À l’poque, ce voyage vers l’ouest avait la cote auprès des Canadiens cherchant un emploi lucratif. Elle quitte donc les paysages paradisiaques du Cap-Breton pour plonger dans l’univers de Syncrude et ShellFort McMurray.
Elle ralise alors ce que constitue la vie sur des chantiers occups en majorit par des hommes loin de leur famille, dont plusieurs dmontrent des problèmes de comportement. Peu importe l’endroit où elle se trouve, elle subit du harcèlement sous forme de remarques dsobligeantes, d’insultes, et ventuellement le personnel en vient des agressions sexuelles.
Pour ces travailleuses, la solitude et la survie prennent une tout autre signification que pour le reste des employs masculins de ces postes isols.
Etant pourvue de multiples talents, dont ceux de raconteuse et dessinatrice, Kate Beaton publie en 2023 un roman graphique dcrivant ce qu’elle a vcu. Elle dnonce « un système prouvant et complexe, qui exploite aussi froidement les ressources naturelles que les êtres humains ».
« Environnement toxique » porte moins sur la destruction d’un habitat cause par l’exploitation des sables bitumineux que sur le milieu de travail toxique que doivent endurer le peu de femmes œuvrant sur ces chantiers.
Le Time Magazine, The Guardian et The New Yorker ont salu ce roman graphique gagnant du concours Canada Reads 2023. Il est paru en anglais sous le titre « Ducks », probablement pour rappeler tous ces canards englus dans le ptrole qui avaient fait la manchette l’poque.
Ce livre plaira coup sûr aux amateurs d’histoires vcues. « À la poursuite du Thunder – l’histoire de la plus longue traque navale de tous les temps » nous accroche rapidement surtout du fait qu’il s’agit d’une première dans l’histoire maritime. Les auteurs de ce rcit d’investigation, deux journalistes expriments du nom de Eskil Engdal et Kjetil Saeter, prennent de nombreux risques pour obtenir des informations cruciales permettant de mieux saisir l’ampleur du vol des ressources halieutiques en Antarctique.
Cette pêche illgale est une affaire de gros sous où la mafia, surtout espagnole, n’hsite pas ordonner que l’on coupe les filets de pêche ou que l’on coule tout simplement un chalutier pour empêcher l’obtention de preuves. Cliquez sur le lien pour un vido de cet accident maritime.
La poursuite a lieu dans des eaux inhospitalières et s’tale sur plusieurs mois et sur plus de 15,000 kilomètres alors que l’on suit en parallèle l’histoire de plusieurs membres de l’quipe de poursuite autant que celle des pêcheurs illgaux.
On y discute de dilapidation des ressources, de la lgislation laxiste concernant la pêche illgale en eaux internationales, des mthodes que les criminels utilisent pour faire disparaître l’immatriculation des bateaux dans les registres, du manque de courage politique au niveau international, de l’omerta qui règne dans les villages d’où partent les pêcheurs illgaux, du blanchiment d’argent et d’esclavage moderne.
Le capitaine du Thunder fait tout en son pouvoir pour chapper aux poursuivants. Cette fuite le mène emprunter des passages très risqus travers les glaces dans l’espoir que le navire de poursuite n’osera pas s’y aventurer. Il dirige aussi l’occasion son bateau vers des zones où la force des vagues risque de dtruire le navire de poursuite. Le capitaine Peter Hammerstedt du navire de poursuite Bob Barker ne recule devant aucun des obstacles poss sur son chemin au cours des mois où dure la poursuite. Il fait preuve d’une dtermination qui exaspère au plus haut point l’quipage du Thunder.
Le polar cologique Chasing the Thunder a t projet en 2019 lors de la confrence mondiale sur la biodiversit.
En mars 2023, plus de cent pays ont sign un trait sur la diversit en haute mer, après quinze ans d’efforts. Greenpeace a salu le trait, mais exige que cela se traduise en action…
La lecture de ce seul livre permet au lecteur de s’veiller de nombreux aspects jusqu’alors très peu mdiatiss de la pêche illgale en haute mer, le tout dans un contexte d’une traque unique dans l’histoire de la navigation maritime.
Il s’agit d’une nouvelle traduction de l’allemand du livre de Stefan Zweig par la traductrice renomme Françoise Wuilmart. Cette nouvelle traduction tait devenue ncessaire pour plusieurs raisons. D’abord, le traducteur initial du nom de Alzir Hella a fait le travail initial il y a près de soixante ans et il n’avait justement pas de formation de traducteur.
Le rsultat, bien que correct, ne respectait pas complètement l’criture de Stefan Zweig. La traductrice signale que lorsqu’il arrive Zweig d’utiliser quatre adjectifs dans une phrase, Alzir Hella dcide de n’en garder qu’un seul. Quand l’auteur est imprcis dans son criture, M. Hella ajoute une explication. Comme le dit encore Françoise Wuilmart, en s’adressant Alzir Hella : « […] il vous arrive de confondre l’Egypte et la Perse, ou, plus grave dans un rcit de navigation, l’est et l’ouest. Enfin, Zweig clôture souvent un paragraphe ou un chapitre par une considration philosophique ou par un lan lyrique qui se rpand sur plusieurs lignes. Vous les vacuez purement et simplement, et j’ai l’impression que vous n’y voyez que d’inutiles fariboles qui ralentissent le flux de la narration. » (p.9)
Selon Françoise Wuilmart, le Zweig de Alzir Hella est « un journaliste viril la voix autoritaire ». Elle prfère rendre l’auteur sa grande sensibilit et en profite pour adapter la traduction notre poque.
Le rsultat du travail de Françoise Wuilmart est vraiment superbe. C’est un livre qu’on ne veut pas fermer tant il est intressant. Zweig donne un vritable cours d’histoire et sait comment conserver notre attention chaque page. Le lecteur navigue sur les mers avec l’quipage, vit les privations, les angoisses, les magouilles, les erreurs et les succès et, en permanence, la lutte pour la survie : « Quant aux biscuits qui sont, avec les poissons qu’ils attrapent, leur seule pitance, ils se sont transforms depuis belle lurette en une poudre grise et sale où pullulent les vers, de surcroît empeste par les excrments des rats qui, devenus fous eux-mêmes, se ruent sur les quelques misrables miettes parses […] ». (p.250)
Les considrations philosophiques ajoutes par Zweig ajoutent encore la profondeur du texte et en font plus qu’un rcit de voyage. Je cite en exemple certains des propos de Zweig qui s’appliquent bien d’autres situations qu’au premier tour du monde effectu par le Portugais Magellan :
« La prsence d’esprit et l’nergie d’une figure de second plan dcident souvent du cours de l’histoire. » (p.55)
« L’histoire n’a jamais vu une seule grande victoire rassasier un vainqueur. » (p.66)
« Une vrit suprême peut toujours naître de l’erreur la plus grossière dès lors qu’un gnie ou le hasard s’en mêlent. Dans le domaine scientifique, des centaines et des milliers d’inventions importantes sont le fruit d’hypothèses errones. » (p.99)
« Dans la mmoire des grands exploits, le monde prfère toujours se focaliser sur les instants dramatiques ou pittoresques qui synthtisent les hauts faits du hros : Csar traversant le Rubicon, Napolon au pont d’Arcole. L’effet pervers en sera que les annes prparatoires, la lente gestation spirituelle, la patiente progression de l’organisation d’un fait historique, demeurent dans l’ombre. » (p.125)
« C’est la somme de tous les obstacles surmonts qui donne la mesure vritable, exacte de l’exploit et de l’humain qui l’a accompli. » (p.128)
« On sait d’exprience que le nationalisme est une corde que la main la plus maladroite sait faire vibrer sans trop de peine quand il le faut. » (p.132)
« Il est toujours plus facile d’exciter les masses, et même tout un peuple, que de les apaiser. » (p.133)
« C’est son comportement dans les moments dcisifs que l’on reconnaît le mieux le caractère d’un homme et c’est l’heure du danger que sa force et ses facults caches se manifestent. » (p.173)
« […] Après une victoire totale, les dictateurs ont moins de peine reconnaître leurs droits d’autres humains, et après avoir assur leur pouvoir, il leur est plus facile de leur laisser la parole. » (p.234)
« Le monde ne rcompense jamais que le dernier de la srie, celui qui a la chance d’achever une œuvre, et oublie tous ceux qui l’ont conçue et permise avec leur esprit et leur sang. » (p.331)
« Magellan a prouv tout jamais qu’une ide anime par le gnie et rsolument porte par la passion s’avère plus forte que tous les lments runis, et qu’un seul homme, malgr son passage phmère sur terre, est toujours capable de transformer en ralit et en vrit imprissable ce qui n’tait qu’une utopie pour des centaines de gnrations. » (p.340)
Ce roman Microfictions 2018 de Rgis Jauffret rassemble des centaines de nouvelles faisant toutes environ une page et demie, pour un total de 1024 pages.
Microfictions 2018 a gagn le Goncourt 2018 de la nouvelle.
J’ai achet le livre sur recommandation de la revue « Le Libraire ». Je ne m’attendais cependant pas trouver des nouvelles de ce genre. J’ai persist dans la lecture pour dcouvrir progressivement un auteur hors-normes. Les tournures de phrases, la capacit de synthèse et le vocabulaire mritent vraiment une lecture attentive. Les propos peuvent cependant être drangeants pour certaines personnes.
Les nouvelles sont souvent percutantes et portent entre autres sur : la dtresse, le suicide, la violence conjugale, la maltraitance, les problèmes sexuels, le harcèlement, le vieillissement, la maladie mentale, les carts de richesse, la folie, l’exclusion sociale, etc.
Rgis Jauffret a choisi d’y inclure une bonne dose d’humour noir, et même très noir parfois, pour quilibrer le propos et parfois passer un message.
J’ai choisi quelques citations, travers les 1000 pages de
texte, pour donner une ide du style de l’auteur :
« La
rceptionniste m’a tendu la cl avec tellement de haine dans le regard qu’il me
semblait la voir suinter au coin des yeux ». P.53
« Je n’en pouvais dj plus de cette soire dont nous
tions en train de grimper les premiers kilomètres ». p.58
« À notre poque flaccide, un cadeau doit rveiller son
bnficiaire comme une racle ». P.75
« Je n’aimais pas assez les enfants pour rater mon
existence cause d’eux ». P.101
« Ma mère n’est pas morte, mais elle a le regard vague
depuis son attaque et chaque fois que je la vois je ne peux m’empêcher de
fixer longuement ses mollets en me demandant lequel de ses pieds a dj disparu
dans la tombe ». P.133
« Il m’est arriv de me demander si je me jetterais un
jour corps perdu dans l’existence ». P.180
« Fonder une famille reviendrait jeter mes gamètes
dans un utrus comme une paire de ds dans un cornet. Je prfère thsauriser
plutôt que de risquer un mauvais placement ». P.180
« […] des militaires traînant des pieds pour mener une
guerre mtaphysique contre l’arme d’anges dchus que Lucifer jette sur les
vierges afin de capturer leurs hymens dont il nourrit ses enfants qui rissolent
de jour comme de nuit sur leur lit chauff blanc dans la maison flambante où
il vit en bourgeois dans la haine du Christ ». P.185
« Nous l’avions envoy en colonie de vacances. Par
prudence nous avions choisi un organisme laïc. Il n’en avait pas moins t
abus par un moniteur et il nous tait revenu libidineux comme une chatte en
chaleur, se dandinant, se frottant aux meubles, s’enroulant autour des jambes
des invits en minaudant ». P.197
« Les filles ont accept d’appeler maman la mère de substitution dont je me suis amourach pour tirer
avec moi la charrette du quotidien ». P.208
« À huit ans il sait dj compter jusqu’ l’infini. Je
dois l’obliger reprendre son souffle sinon il s’touffera en essayant
d’atteindre en apne le dernier des nombres ». P.213
« Non, je ne critique pas nos enfants. Ils sont polis,
polyglottes, ouverts aux nouvelles technologies. Nous les avons si bien levs
qu’ils sont ennuyeux comme des caniches de concours ». P.238
« Il ne me pardonnera jamais de l’avoir surpris emboît
dans un jeune homme ». P.253
« La transplantation sera ralise par un robot assez intelligent
pour se contenter d’un dficient mental en fait de chef de service ». P.283
« Il a su autrefois lire et crire son nom, mais par
paresse il prfère prsent laisser son empreinte ADN en crachant sur les
documents administratifs plutôt que de les signer ». P.345
« J’ai plus honte de toi encore que de mes hmorroïdes.
Du reste avec ton mari et tes gosses vous leur ressemblez comme deux gouttes
d’eau. La diffrence c’est que vous n’êtes pas oprables et qu’on ne peut pas
davantage adopter un trou-du-cul que l’abandonner au bord d’une autoroute comme
un chien dont on ne veut pas s’encombrer pendant les vacances. Je regretterai
toujours de ne pas t’avoir porte dès ta naissance aux enfants trouvs. Tu
aurais fait le malheur d’une autre pendant que j’aurais lev Laurent avec
autant de fiert que Marie a torch Jsus. » p.364
« Elle est rapparue scintillante de haine » p.439
« Le ciel rose pommel de nuages ressemblait une
photo de maladie de peau. » p.451
« Nos filles sont maintenant adultes, intelligentes,
resplendissantes, exasprantes de perfection ». p. 453
« Elle avait des parents catholiques aux yeux noirs et
durs comme les clous de la croix du Christ ». P.455
« Même si vous avez tous les deux plus de quatre-vingts
ans, ce n’est pas une raison pour refuser d’voluer ». p.471
« Un garçon aussi terne que notre Carole avec son intelligence basique sans aucun accessoire ni enjoliveur ni option d’aucune sorte. Ils auraient form un couple insipide qui aurait mis au monde des êtres appartenant comme eux la grosse cavalerie de l’humanit. » P.482
« Celui qui survivra l’autre dcdera en essayant
d’attraper la main tiède de l’infirmière affame qui se drobera pour aller
terminer sa barquette de hachis Parmentier la cantine » p.487
« […] cet endroit où j’ai effectu mon enfance avec autant de joie qu’une peine de prison. » p.515
« Quand vous êtes n dans un sale tat, si vous voulez jouer les Romo vous avez intrêt être un gnie du piano ou un cerveau assez hypertrophi pour dcouvrir chaque matin un nouveau cousin au boson de Higgs ». P.524
« Son corps dcapit tait rest devant le comptoir des
hors-d’œuvre ». p.560
« Elle se ressemblait, même si son visage froiss
aurait mrit un coup de fer. » p.576
« La terre est
un lieu de passage, une rue, un boulevard, une place publique dont on a depuis
longtemps arrach les bancs et lubrifi le bitume afin d’assurer aux humains
une meilleure glisse vers le crmatorium ». P.591
« Je portais un appareil d’orthodontie pos l’œil par
une organisation de dentistes chrtiens qui donnait mon sourire des airs de
clôture lectrifie ». P.609
« La solitude fait un bruit de frigo qui se dclenche rgulièrement toutes les vingt minutes […] » P.655
« N de parents
communistes assez cruels pour aller chaque anne en pèlerinage sur les lieux
des anciens goulags, assez cons pour se suicider en 2007 le jour anniversaire
de la mort de Staline […] » P.671
« Je suis entre dans la police par goût de la rpression » P.683
« Ta voix tait indcrottable. Un larynx aussi encombr qu’un intestin grêle dont aucun phoniatre ne viendrait jamais bout. Nous qui esprions faire de toi un artiste lyrique pour dissimuler ta mdiocrit intellectuelle derrière les contre-ut et les trilles ». P.715
« À dix-sept ans notre aîn a rvolutionn le monde des
mathmatiques en inventant un onzième chiffre […] » p.722
« Je vais
entamer bientôt des pourparlers avec mon dcès. Il a beau faire preuve de la
plus grande discrtion, comme tout le monde il est avide d’exister. » P.832
« Encore sa manie vgtarienne de servir de la laitue
fatigue mêle de tomates molles, d’œufs durs au goût de vomi avec une
guirlande lumineuse qui clignote au fond du plat pour donner un air de fête
ce fatras ». P.840
« J’ai suivi l’enterrement de mon père la fosse
commune avec les gens du village sous l’objectif d’une chaîne de tlvision
locale l’quipe nonchalante qui semblait accompagner le cortège par
dsœuvrement. » P.850
« La gomtrie ne peut pas servir continuellement
d’excuse un enseignant pour humilier un être humain ». p.893
« On peut avoir une opinion diffrente sans organiser une fatwacontre les lèves qui comme moi se rebellent contre sa conception fondamentaliste des maths ». P.893
« Elle a intgr dès la semaine suivante un pensionnat clos de murs dans le Vercors pour mditer sur les vertus de l’abngation dont ont fait preuve son arrière-grand-père et bien d’autres antismites chrtiens au nom de la haine du Boche en s’engageant dans la rsistance au mpris de leurs convictions raciales ». P. 901
« Les habitants d’un endroit pareil ne valent pas plus
cher que son climat. Dans le coin aucune famille sans son meurtrier, son
voleur, son auteur de crime sexuel dont chaque rveillon un pervers oncle
saoul raconte avec envie la carrière » p.959
« Elle allait rater sa licence, un diplôme certes
mdiocre, mais qui lui manquerait le jour où elle serait en panne de papier de
toilette ». P.965
« Quand je suis enfin couch je me dis que j’aurais mieux fait de naître sous forme de foule pour n’être pas seul supporter ma vie navrante ». P976
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Il s’agit d’une histoire vcue dans l’environnement arctique. En 1897, trois aventuriers utilisent une montgolfière dans le but d’atteindre le pôle Nord. Ils disparaissent et on retrouve leur trace en 1930 sur l’île Blanche, la plus recule de l’archipel du Svalbard. Le pire, c’est que le responsable de l’expdition connaissait dj, avant le dpart, les faiblesses de cette montgolfière compose de multiples pièces : « […] Le ballon, si majestueux, mais si fragile, perdait son souffle contre sa main » p.236
Voici quelques passages du roman qui permettent d’imaginer la mauvaise gestion du risque et la naïvet des aventuriers face aux conditions mtorologiques extrêmes que peut reprsenter un voyage dans un monde de froid et de glace :
« Dans cette rgion dont on connaît mal le climat, Andre pensait qu’en t, un soleil radieux ne cessait de briller. Il ne brille pas. Et la brume tombe. Le ballon s’alourdit. D’un coup, c’est la panique […] » p. 95
« Les voil, tous les trois, moins chaudement vêtus que le moindre touriste l’assaut de la moindre petite montagne […] » p. 128
« Bientôt, ils se drogueront la morphine, l’opium, pour soulager diarrhes, crampes et douleurs, pour calmer la toux alors qu’ils croyaient qu’aucun microbe ne survivait ici, dans la glace. » p. 138
« Mais ils n’avancent pas, ils reculent. En plus d’être un dsert, en plus d’être glac,le lieu qu’ils arpentent a la capacit de se mouvoir. Ce n’est pas une terre ferme, mais un agglomrat de forme qui sans cesse se dplacent […], les conduisant le plus souvent dans la direction oppose celle qu’ils voudraient prendre » p. 212
« Leur rchaud ptrole donne des signes de faiblesse. Il s’allume, s’teint, sans cesse. Personne n’a pens prendre des pièces de rechange. Sans oser se le dire peut-être, ils craignent de n’avoir bientôt plus aucune flamme pour rchauffer leur nuit » p. 252
La première chose dont il faut être conscient l’achat de ce livre, c’est qu’il s’agit d’un roman. Etant donn qu’il existe peu d’informations concrètes sur ce vol en ballon, un fort pourcentage du livre consiste imaginer, de la façon la plus raliste possible, ce qu’ont pu vivre les trois arostiers. Hlène Gaudy a cependant effectu beaucoup de recherches et a eu accès des photographies et un journal de bord pour rdiger son roman. Il n’y a pas de photographies incluses dans le livre. La photo en page couverture est le seul lment visuel pour situer le lecteur. Cependant de nombreuses photos de l’expdition peuvent être trouves sur le site suivant.
Bonne lecture!
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Cette anne, l’hiver est particulièrement froid Qubec, avec un nombre très lev de journes où la temprature se situe sous les -20 C. Les traversiers de la STQ du gouvernement du Qubec doivent composer avec de la glace sur la plus grande partie du fleuve St-Laurent entre Qubec et Lvis.
Les traversiers Alphonse-Desjardins et Lomer-Gouin qui transportent passagers et voitures entre les deux rives doivent parfois cesser momentanment le service. En d’autres temps, comme cela s’est produit quelques reprises depuis le dbut de l’hiver, un traversier qui tente de rejoindre la rive oppose peut demeurer coinc dans les glaces et les passagers doivent patienter plus de trois ou quatre heures avant de pouvoir rejoindre la terre ferme.
La photo ci-dessous a t prise des hauteurs du Vieux-Qubec. Au premier plan, l’ancien restaurant Le Vendôme, vendre depuis des annes. Au loin, un traversier en route vers Qubec fait son chemin dans la glace.
Les remorqueurs de la compagnie Ocean sont galement prsents sur le fleuve, peu importe la temprature. La photo ci-dessous montre un de ces remorqueurs en route vers la raffinerie Jean-Gaulin pour porter assistance un ptrolier.
Les photos du prsent article ont t prises le 7 janvier 2018 avec un Canon 5DSR muni d’un objectif Canon EF 85 mm f/1.2L II USM. La temprature tait alors de -18 C.
Le lendemain de ma sance de photos, un homme tomb dans les eaux glaces du fleuve St-Laurent a t aperçu par hasard par des passagers du traversier Lomer-Gouin qui faisait le trajet vers la ville de Qubec. L’homme en tat avanc d’hypothermie a t sauv de justesse par le personnel de la Socit des traversiers du gouvernement du Qubec.
Malgr le grand froid, les canotiers, dont l’quipe du Château Frontenac, s’entraînaient faire la traverse entre les deux rives, en prvision de la comptition tenue annuellement lors du Carnaval de Qubec. Cette anne, la course aura lieu le 4 fvrier. L’Association des coureurs en canots glace du Qubec a galement vcu une tragdie rcemment Qubec alors qu’un de leurs canotiers est mort noy lors d’une sance d’entraînement en prsence de conditions mtorologiques adverses.
Avril 2013, au Centre d’information de vol (CIV) de Nav Canada Qubec (CYQB). Les prvisions mtorologiques graphiques de ce matin indiquent des possibilits de formation de tourbillons de poussière. Ce genre d’obstacle la visibilit est rare. Les pilotes contactent les spcialistes en information de vol (FSS) pour savoir ce que signifie le symbole « PO » sur les cartes graphiques.
Malgr le ciel bleu sur tout le sud du Qubec et les vents gnralement calmes, les conditions mtorologiques pourront donner naissance des cisaillements de vent localiss. S’ils soulèvent du sable, de la terre ou autres petites particules, ces cisaillements de vent deviendront visibles et causeront des tourbillons de poussière de cinq dix mètres de diamètre.
Il faudrait qu’un pilote soit malchanceux pour circuler travers un rare tourbillon de poussière. Je me souviens nanmoins d’un vènement dont j’avais t tmoin il y a une trentaine d’annes alors que je travaillais la station d’information de vol de Transports Canada l’aroport de Rouyn-Noranda (CYUY).
Lors d’une chaude journe d’t, un aronef avait atterri Rouyn-Noranda après un vol-voyage de plusieurs heures en provenance de Montral. Le pilote effectuait une escale de quelques minutes, le temps de faire estampiller son carnet de vol. Les conditions mtorologiques l’aroport taient idales : l’air tait sec, les vents calmes et le ciel sans nuage.
Une fois son point fixe termin sur la voie de circulation, le pilote avait commenc circuler lentement pour se rendre au seuil de la piste 26. Une fois bien enlign et prêt pour le dcollage, il avait fait les dernières vrifications.
À peine quelques secondes plus tard, le signal d’une balise de dtresse s’tait fait entendre. Les spcialistes en information de vol avaient immdiatement regard de nouveau vers la piste et constat que l’avion tait toujours sur le seuil, mais l’envers.
Le monomoteur venait de subir les effets d’un cisaillement de vent puissant, suffisamment important pour retourner l’appareil l’envers. L’indicateur de vitesse du vent tant loign du seuil de piste, il n’enregistrait que des vents calmes.
Le souvenir de cette histoire me rappelait que la nature se rserve toujours le droit de surprendre les pilotes, même les mieux prpars. Et j’imagine la surprise de cet lève-pilote tentant lui aussi de comprendre ce qui avait bien pu se passer. J’espère toutefois que cette aventure ne l’a pas dcourag de continuer piloter.