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Roman graphique et bandes dessinées

La disparition de Josef Mengele

Le roman graphique "La disparition de Josef Mengele"
Le roman graphique «La disparition de Josef Mengele»

Le roman graphique « La disparition de Josef Mengele » constitue une très belle surprise pour moi, autant au niveau du scénario que du graphisme. Tous ceux qui s’intéressent aux histoires vécues dévoreront ce bouquin tant il représente une mine d’or d’informations étonnantes sur la vie, ou plutôt la survie, du criminel nazi en Amérique Latine.

Qui lui fournit l’argent dont il a besoin ? Comment assure-t-il sa protection ? Mène-t-il une vie de pacha ? Comment se comporte-t-il à l’étranger ? Sa réflexion sur les races connaît-elle un semblant d’évolution ou demeure-t-elle sclérosée ? Pourquoi l’Argentine favorise-t-elle la venue de ces assassins en fuite ?

Pour la population en général, il y a deux catégories de criminels nationaux-socialistes: la première concerne les noms les plus médiatisés lors du tribunal de Nuremberg. La deuxième implique les criminels nazis qui se sont enfuis à l’étranger, grâce à des soutiens politiques ou familiaux. Josef Mengele fait partie des deux groupes. Il se terre en Amérique latine et sait que plusieurs organisations le recherchent sérieusement, dont le Mossad israélien.

Comment demeure-t-il en liberté sur une si longue période? On comprend vite que le Mossad ne se concentre pas seulement sur les criminels nazis en fuite. Le bouquin nous présente quelques autres priorités pour l’agence, dont une très urgente : l’élimination d’anciens scientifiques allemands qui travaillent en Égypte à créer des armes à déchets radioactifs destinés à détruire Israël. Les services secrets doivent choisir entre Mengele, une menace passée, ou un danger plus immédiat. Les ressources des agences de renseignement étant limitées, ces dernières doivent s’ajuster et parer au plus pressant.

Des nazis se fondent dans le nouveau gouvernement allemand de l’époque.

Il y a cependant une troisième catégorie dont la population n’a que très peu entendu parler et dont on discute également dans le roman graphique : il s’agit de nazis qui ont réintégré le nouveau gouvernement allemand quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En effet, les puissances alliées de l’époque que sont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Union soviétique administrent les zones d’occupation du territoire allemand après la Seconde Guerre mondiale. Mais les tensions entre l’Est et l’Ouest s’accroissent rapidement. On s’accuse mutuellement d’expansionnisme impérialiste ou communiste.

Pour offrir une résistance mieux organisée face à l’Union soviétique, on doit rapidement redonner à l’Allemagne son autonomie. Les anciens nazis possèdent une expérience de gouvernance tout de suite disponible.

Si les Alliés adoptent la position tranchée d’empêcher les nazis d’atteindre des fonctions essentielles dans l’appareil public de la future République de Bonn, on doit alors trouver et former des personnes sans ou avec peu d’expérience pour remplir les tâches plus complexes. Le temps manque autant que la volonté d’aller au fond des choses.

De très nombreux nazis dénichent donc du travail au sein d’organismes du gouvernement. De fil en aiguille, certains de ces anciens nazis recyclés en agents de l’État feront partie des cercles rapprochés qui protégeront les criminels de guerre les plus importants enfuis à l’étranger. Josef Mengele tire profit de ce support en haut lieu.

Mais plusieurs autres Allemands, également haut placés, agiront dans le sens contraire, en tentant de débusquer les plus grands criminels, au risque de leur propre santé et sécurité. Une de ces personnes nous est présentée dans le livre : Fritz Bauer. Cet homme contacte le Mossad avec des informations qui mènent éventuellement à la capture d’Adolf Eichmann. Ce dernier subit son procès en Israël et connaît sa sentence : la pendaison. 

Eichmann et Mengele se rencontrent.
Eichmann et Mengele se rencontrent.

Mengele lit les journaux et se doute bien que sa fin ressemblera à celle d’Eichmann. Le roman graphique l’expose comme un animal traqué, qui parle tout seul. Il éloigne par ses propos racistes et passéistes les gens qui pourraient le plus l’aider dans les dernières années de sa vie. Il dépérit lentement et meurt sur une plage du Brésil en 1979. Mais on ne l’apprend officiellement qu’en 1985.

Le livre couvre une période de plusieurs décennies. On y trouve notamment un bref résumé des actions de Mengele comme médecin à Auschwitz. Il n’est pas seul, même s’il demeure le plus connu pour la population. En effet, de très nombreux adjoints scientifiques effectuent des expériences sur les humains, dont un deviendra recteur à l’université de Münster après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Les auteurs mentionnent au passage cette idée d’un quatrième Reich   poursuivie par Mengele et ses semblables. Bref, le lecteur ne s’ennuie pas avec ce roman graphique très habilement construit.

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Titre : La disparition de Josef Mengele

Auteurs : Olivier Guez et Matz-Jörg Mailliet

Éditions : Les Arènes, Paris, 2022

ISBN : 979-10-375-0714-3

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Roman graphique et bandes dessinées

Tsar par accident.

Tsar par accident: mythes et mesonges de Vladimir Poutine.
Tsar par accident: mythes et mesonges de Vladimir Poutine.

L’auteur Andrew S. Weiss a travaillé à la Maison-Blanche, au Pentagone, au département d’État, etc. Il signale : « Si à l’époque on m’avait dit qu’un ancien sous-officier du KGB – qui n’avait jamais vraiment brillé – un certain Vladimir Poutine […] – serait promu des arrière-salles du Kremlin directement à la tête du pays, je vous aurais dit d’aller vous faire soigner ». Il ajoute : « Ce que nous croyons savoir de lui est souvent un savant mélange de psychologie de comptoir et d’interprétations erronées de l’histoire millénaire de la Russie ». Sa mise en scène comme un dur à cuire « lui permet de passer pour plus intelligent – et plus compétent – qu’il ne l’est réellement. […] ».

Le roman graphique « Tsar par accident » raconte les hasards de la vie qui ont fait en sorte que Vladimir Poutine s’est retrouvé au pouvoir au moment où sa carrière plutôt sans éclats le destinait à un poste moins élevé. Mais on pourrait dire la même chose de certains dictateurs, présidents, rois et ministres de par le monde au cours des âges auxquels la chance a souri. Eux aussi ont su profiter des occasions favorables pour gravir des échelons trop importants pour leur talent naturel. La nation en paie alors le prix jusqu’au renversement, exil ou décès du personnage.

Il faut quand même donner à Poutine le fait qu’il s’obstine, qu’il s’accroche, malgré les revers et les refus. Pour accéder au KGB, on lui dit de faire des études ou d’entrer dans l’armée. Il s’exécute et reçoit son diplôme.

Il se retrouve donc au KGB en 1975. Mais ce ne sont pas les grandes missions dont il rêvait qui l’attendent, mais du travail de terrain local. Il n’impressionne pas ses supérieurs avec les résultats obtenus. À la suite d’une bagarre dans le métro, on le mute à Dresde en 1985 pour des missions vides de sens, faute de budget. En 1999, on apprend au président Clinton que Poutine sera le prochain président russe. Que s’est-il passé entre 1985 et 1999 pour que soudainement Poutine sorte à ce point de l’obscurité et soit propulsé comme président de la Russie ?

Il faut créditer son éthique de travail, mais avant toute chose sa loyauté envers ses patrons dans cette organisation qui privilégie les liens personnels. Eltsine, le président de l’époque, sentait sa fin venir et proposa un marché à Poutine. L’auteur écrit : « Il ferait de lui le président s’il acceptait de les protéger, lui et sa famille ».

Tout comme Hindenburg croyait pouvoir manipuler Hitler en lui permettant d’accéder aux hautes sphères du gouvernement, Eltsine pensait faire de même avec Poutine. Dans les deux cas, ce fut une erreur coûteuse pour l’Europe et le monde.

Le bouquin passe en revue la montée des oligarques russes, le rapprochement du pouvoir pour les amis de Poutine. Andrew Weiss souligne : « L’un des points que les étrangers ne saisissent pas toujours c’est que la Russie est une société qui fonctionne sur la base des liens personnels, plutôt que dans le cadre d’institutions ou d’un état de droit. »

Dans les années suivant la chute du Mur de Berlin, on constate la mainmise de secteurs importants de l’économie russe par des fonctionnaires et agents du KGB corrompus, de même que par la mafia. Comme l’écrit l’auteur : « Vladimir Koumarine, patron tout-puissant du gang notoire Tambov, faisait la loi dans le pays ».

Le support de Vladimir Poutine envers les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 le rapproche de George W. Bush et de son père George H. W. Bush avec lesquels il va même à la pêche à Kennebunkport. Il espérait ainsi relancer l’économie moribonde russe et gagner en liberté pour contrôler les médias russes.

Le plus étonnant pour moi demeure le fait que Poutine approuva durant cette période l’implantation hautement controversée de bases américaines et de l’OTAN à travers l’ex-Union soviétique (Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizistan). Par ce geste, il recherchait une stabilisation avec l’Ouest. Les causes des attentats du 11 septembre 2001 étant encore discutées aujourd’hui à travers le monde, spécialement dans les cercles les plus informés, Poutine a dû réfléchir plus tard à la pertinence et aux conséquences de sa décision d’autoriser de nouvelles bases américaines et de l’OTAN près de la Russie.

Le président russe s’aperçoit rapidement qu’il ne pèse pas lourd dans la balance diplomatique face à un superpouvoir comme les États-Unis. On ne le reconnaît pas en tant que joueur sur lequel il faut compter. Dans l’optique d’une meilleure compréhension entre l’Occident et la Russie, l’auteur souligne l’importance de mieux appréhender les griefs des deux camps. Il signale que cela manque cruellement.

D’autant plus que le Kremlin a la certitude que « les revendications de changement politique sont toujours le fait de conspirations soutenues par les Occidentaux ». À force de se surveiller les unes les autres et tenter d’influer sur la gestion intérieure d’autres pays, toutes les grandes nations projettent leurs intentions et ne croient plus qu’une manifestation peut provenir de la base à partir d’un désir sérieux d’amélioration de certaines politiques détestables.

L’auteur effectue un retour sur les problèmes entourant la sécurité territoriale de la Russie à travers les époques, envahie tour à tour par les Mongols, Napoléon et Hitler : « [La Russie] se repose traditionnellement sur les territoires annexés pour faire tampon entre la mère patrie et toute menace extérieure ». Il traite également du conflit tchétchène, de la lutte contre le terrorisme, de l’ingérence politique dans les États voisins et de l’implication russe dans les élections américaines de 2016.

Andrew S. Weiss couvre large et d’autres thèmes trouvent leur place dans le bouquin : l’histoire de la Guerre froide, Trump, Snowden, Wikileaks, les JO de Sotchi et le travail de Maria Butina, une agente russe qui réussit à pénétrer les cercles supérieurs du parti républicain américain.

C’est sa croyance dans le déclin irréversible de l’Occident qui a permis à Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine. L’auteur conclut avec une remarque sur l’invasion de ce pays et le bombardement sans discernement des cibles civiles : « Le monde est en train de comprendre que Poutine n’a jamais été le stratégiste qu’il a prétendu être. C’est un improvisateur pris dans son propre piège ».

Je me permets une remarque concernant l’invasion de l’Ukraine. Ce pays doit recevoir des avions de combat des États alliés pour protéger son territoire, ce qui offusque profondément la Russie. J’aimerais tout de même rappeler le fait que lors de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique a accepté énormément d’aide provenant de l’extérieur pour sa défense sur le Front de l’Est. Pour ne citer qu’un seul appareil et pays, l’Union soviétique a obtenu 877 bombardiers B-25 Mitchell des États-Unis.

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Titre : Tsar par accident : mythes et mensonges de Vladimir Poutine

Auteur : Andrew S. Weiss et Brian « Box » Brown

Éditions : Rue de Sèvres

© 2022

ISBN : 978-2-81020-450-2

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Roman graphique et bandes dessinées

Une saison à l’ONU

Une saison à l'ONU
Une saison à l’ONU

Le roman graphique « Une saison à l’ONU » facilite la compréhension des différents défis auxquels fait face l’ONU, cet organisme nécessaire, mais largement freiné dans ses interventions.

Les crises internationales et la complexité des manœuvres politiques quotidiennes n’échappent pas à l’auteur, mais celui-ci choisit néanmoins d’emprunter un ton léger pour conserver l’intérêt du lecteur tout au long du livre. Les histoires cocasses, l’humour et les confidences alternent pour rendre ce récit vivant.

On sait combien l’ONU a de la difficulté à faire adopter des résolutions, autant à cause des pressions provenant de toutes parts que de l’application du droit de veto par les grandes puissances. Le Nord-Américain entend davantage parler de l’utilisation du droit de veto par la Russie ou par la Chine que par les États-Unis. L’auteur chiffre cette utilisation pour toutes les grandes puissances et cela a de quoi surprendre.

Le lecteur comprend mieux la maîtrise grammaticale et les compromis nécessaires qui permettront à une note en provenance de l’ONU de recevoir un accord au niveau international. On doit savoir diluer, noyer le poisson, ménager les sensibilités si l’on veut pouvoir publier sans générer trop d’opposition.

Bref, «Une saison à l’ONU» constitue un roman graphique rempli d’histoires vécues intéressantes et pertinentes. Le bouquin démystifie certaines activités de l’ONU à New York autant qu’à l’étranger.

Titre : Une saison à l’ONU

Auteur et autrice: Karim Lebhour et Aude Massot

Éditions : Steinkis

© 2022

ISBN :  978-2-36846-610-3

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Romans

Von Westmount

Couverture du livre "Von Westmount" par Jules Clara
Couverture du livre «Von Westmount» par Jules Clara

Avec tout ce qui se publie aujourd’hui dans une année, on doit forcément prendre des risques ici et là. Au Salon du livre de Québec 2023, j’ai tenté ma chance avec deux ou trois bouquins dont je n’avais pas entendu parler. Celui qui m’a surpris le plus était un petit roman du nom de Von Westmount.

Le design de la couverture attirait l’attention. En voyant la maison cossue et le terme Westmount, je me doutais bien qu’un détour dans l’ouest de Montréal s’imposerait. Pour les personnes n’habitant pas le Québec, on connaît Westmount en tant qu’un secteur plus aisé financièrement et où la majorité des habitants utilisent la langue anglaise comme moyen de communication, dans un Québec majoritairement francophone.

Pendant l’année où l’on suit Aline, l’héroïne de Jules Clara, elle abat péniblement des petits boulots et mène sa vie tant bien que mal jusqu’à ce que le hasard lui permette de tenter sa chance avec un nouvel emploi.

Elle se retrouve éventuellement dans le milieu anglophone de l’ouest de Montréal et, à travers elle, nous témoignons du mode de vie et des conversations se déroulant dans une résidence privée de la ville de Westmount.  Est-ce que l’héroïne une fois installée dans cette résidence cossue saura s’adapter rapidement à ses nouvelles fonctions et faire les choix conformes à ses intérêts et ses valeurs? Comment évoluera sa vision de Montréal au sens propre et figuré?

J’ai adoré ce petit livre jusqu’à la fin. Il convient de noter que certaines personnes ont eu de la difficulté à comprendre la conclusion, une conclusion qui me semblait certainement un choix logique à inclure dans une histoire de ce genre.

Des gens ont aussi contesté l’utilisation de la langue anglaise pour quelques sections du roman.  En ce qui me concerne, je crois que cette langue avait tout à fait sa place et jouait un rôle important dans le déroulement du récit. Mais il faut bien connaître l’anglais et non en balbutier quelques mots.

Bref, vous passerez un très bon moment avec Von Westmount si vous appréciez un livre bilingue et que vous vous intéressez à la dynamique spéciale entre l’ouest et l’est de Montréal.

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Titre: Von Westmount

Autrice : Jules Clara

Éditions : La Mèche

© 2022

ISBN : 9 782 897 071 769

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Roman graphique et bandes dessinées Sujets controversés

Mégantic – Un train dans la nuit.

Bande dessinée "Mégantic - Un train dans la nuit".
Bande dessinée «Mégantic – Un train dans la nuit».

Nous avons tous entendu parler du drame vécu par les habitants de Lac-Mégantic en 2013, alors qu’un train pétrolier sans conducteur de la compagnie CP tirant des centaines de wagons de pétrole explosif, déraille en pleine nuit, explose et tue 47 habitants de la ville.

La bande dessinée (ou roman graphique pour certains) « Mégantic – Un train dans la nuit » vient compléter ce que l’on pensait connaître de cette histoire vécue, en exposant plusieurs informations capitales passées sous silence ou survolées trop rapidement par les médias.

L’autrice Anne-Marie Saint-Cerny a travaillé durant des années sur le dossier et, pour bien transmettre le contenu et les émotions en images, s’est assuré le concours de Christian Quesnel. Le résultat est extrêmement intéressant. La formule fonctionne : les dessins sont d’une grande précision, la mise en page laisse de l’espace pour la réflexion, les couleurs sont choisies judicieusement.

Dans l’explosion du train à Lac-Mégantic, il y a plusieurs facteurs en jeu, dont :

  1. Des dirigeants de la compagnie CP qui font des choix catastrophiques.
  2. Un désir de satisfaire, comme toujours, les exigences des actionnaires. On coupe le personnel et on s’auto-évalue quant à la sécurité.
  3. Un seul chauffeur est autorisé pour un train transportant des centaines de citernes d’explosifs.
  4. Les politiciens donnent leur accord avec les nouvelles coupes proposées par la compagnie.
  5. On a affaire à de la pensée magique : en cas de pépin avec le chauffeur, le train s’arrête tout seul grâce à un mécanisme qui, pourtant, est toujours susceptible de faire défaut éventuellement.
  6. Les rails ne sont pas ce qu’il y a de plus récent.
  7. Le transport de la marchandise dangereuse est accordé à une compagnie à la réputation douteuse, la MMA.
  8. Les citernes DOT-111 utilisées sont décriées comme étant trop fragiles pour les matières dangereuses et ciblées dans plus de 25 enquêtes.
  9. Il y a également une entente pour trafiquer les bons de connaissement du pétrole. Au lieu d’indiquer comme il se doit le code PG1 (le plus dangereux, le plus explosif), on décide d’inscrire PG111 (pas dangereux).
  10. La locomotive de tête est usée au maximum.
  11. Le chauffeur signale un problème avec sa vieille locomotive. On lui dit de forcer la note, de continuer sa route.
  12. À Lac-Mégantic, le train chauffe. On dit au chauffeur d’appliquer les freins, de laisser l’engin fonctionner, qu’il va refroidir. On autorise le chauffeur à quitter les lieux et aller se coucher. C’est une des répercussions d’autoriser un seul conducteur.
  13. Dans la nuit, un feu est signalé sur la locomotive de tête, celle qui avait des problèmes. Le moteur est coupé par les pompiers. « En éteignant le moteur, la pression d’air dans les freins pneumatiques est relâchée. Éventuellement, le train commencera à se mettre en mouvement seul et descendre la pente vers Lac-Mégantic ».

Avec un seul chauffeur qui est forcément aller dormir huit heures, il y a maintenant 5 000 000 de litres d’explosifs en marche que personne n’arrêtera.

« Les pompiers croient combattre du pétrole peu inflammable. Ils ignorent que le CP et World Fuel ont falsifié les papiers, camouflant leur pétrole classé le plus explosif et dangereux ». Il y a 47 morts, dont plusieurs suicidés.

Maintenant qu’il y a eu une catastrophe, les personnes impliquées directement ou indirectement se renvoient la balle, comme c’est la coutume lors de tragédies. Le livre mentionne, au niveau politique, les noms de Denis Lebel, Lisa Raitt, John Baird et plus tard Marc Garneau. Au niveau des compagnies, l’autrice mentionne Hunter Harrison, PDG de CP, et Edward Burkhardt, PDG de MMA.

Les changements se produisent, mais pas ceux que l’on pense…

Naomi Klein analyse la « stratégie du choc » conçue par Milton Friedman. Dans l’étape 1, « on profite de ce que la population est encore étourdie : elle ne pourra s’opposer à ce que l’on veut lui imposer ». On change le zonage en vitesse pour inclure l’expropriation de maisons qui sont totalement en dehors de la zone touchée par la catastrophe. Il y en a qui s’intéressent aux terrains…

Dans l’étape 2 de la « stratégie du choc », on « prétexte une décontamination obligatoire pour faire table rase de l’Ancien Monde. Exclure la population du lieu du drame, pour qu’elle ne puisse s’y accrocher, pour qu’il n’y ait plus de retour possible ».

Enfin l’étape 3 : « Face à une population dont le choc a été exacerbé par la destruction de ses repères et habitudes, on peut lancer une reconstruction ou « réinvention » qui sera reçue avec une acceptation résignée ». On a le cas de gens vivant à Fatima, un secteur éloigné et épargné par la catastrophe : le propriétaire doit signer en vitesse son expropriation sinon il perd tout. Quand les proprios sont enfin tassés, c’est une pharmacie Jean Coutu qui vient s’installer sur les terrains libérés.

Côté légal, on arrête les petits joueurs et on limite l’enquête au maximum. Des prises de contrôle sont effectuées et les rendements aux actionnaires démultipliés.

Le livre fait étalage de certaines manœuvres politiques et entrepreneuriales visant à protéger les compagnies ferroviaires. Même à l’aube de 2022, soit huit ans plus tard, les rails passent toujours au centre-ville de Lac-Mégantic.

« MMA-Canada, essentiellement en faillite, n’a rien payé et n’a pas été poursuivie en justice ».

« Rien n’a changé dans les lois ferroviaires au Canada depuis la tragédie : les compagnies s’auto-réglementent, s’auto-surveillent et, en cas d’accident, s’auto-enquêtent. Ainsi, c’est le CP lui-même qui a enquêté sur la mort de trois de ses employés lors d’un accident survenu en février 2019 en Colombie-Britannique. L’enquêteur du CP, empêché d’enquêter, a dénoncé son employeur et réclamé une enquête indépendante de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et du Bureau de la Sécurité des transports du Canada (BST), une enquête immédiatement acceptée par l’enquêteur en chef responsable du cas au BST. Le jour même, cet enquêteur du BST a été démis de ses fonctions. L’enquêteur du CP a conclu sur un no-fault du CP ».

Titre : Mégantic – Un train dans la nuit.

Auteur : Anne-Marie Saint-Cerny

Éditions : Écosociété, 2021

ISBN : 978-2-89719-686-8

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Romans Sujets controversés

La ballade de Rikers Island.

La ballade de Rikers Island par Régis Jauffret.
La ballade de Rikers Island par Régis Jauffret.

Pour avoir écrit ce livre sur l’affaire du Sofitel impliquant Dominique Strauss-Kahn (qui n’est jamais nommé explicitement dans le roman), Régis Jauffret et la maison d’édition du Seuil ont été poursuivis en diffamation et condamnés par un tribunal français. Ils sont allés en appel et ont de nouveau perdu. La Ballade de Rikers Island n’en reste pas moins très bien écrit, dans un style qui est assez unique. Ceci dit, il me semble que le livre aurait pu être abrégé sans nuire au propos.

Pour ceux qui l’ignoreraient, Rikers Island est une prison aux États-Unis où Dominique Strauss-Kahn (DSK) a fait un séjour immédiatement après une histoire d’agression sexuelle qui aurait impliqué le défendeur et une préposée aux chambres, Nafissatou Diallo, de l’hôtel Sofitel de New York.

Voici quelques citations qui donnent une idée du style littéraire de l’auteur, un style où l’humour, parfois assez noir, est souvent présent. Pour ce qui est des extraits les plus durs en ligne avec le propos immédiat du livre, je me suis gardé une petite gêne dans ma sélection, mais vous pouvez toujours trouver le livre en format poche dans de multiples librairies. Voici cependant quelques extraits (sauf le dernier) qui ne devraient pas trop froisser les âmes sensibles.

« [Dans la cellule] … un petit lavabo où une main ne pourrait pas prendre un bain » p.79

« [Sur la table] … un peigne minuscule bon à coiffer le dernier toupet d’un chauve » p.79

« Elle s’en va. J’ouvre l’ordinateur, j’écris une minuscule histoire de Parisien perdu dans le métro. Dimitri frappe à la porte tandis que le malheureux tombe du quai ». p.168

« Il faisait confiance à l’Amérique, une démocratie où le doute profite toujours à l’accusé à condition de n’avoir pas un profil d’islamiste bon à être torturé à Guantanamo ». p.183

« Après avoir braillé avec les hyènes, nos journalistes vont rentrer dans le rang. Quand ils seront revenus à de meilleurs sentiments, nous les inviterons à déjeuner. On profitera de leur bouche ouverte pour leur enfoncer notre part de vérité à grosses bouchées ». p.262

« Une cohorte de prisonniers tirée au cordeau. Il se trouvait toujours un toxicomane rendu fou par le manque prêt à vous égorger pour canaliser son trop-plein d’énergie ». p.313

Au sujet des journalistes : « Un bloc indifférent aux folliculaires agglutinés tout autour, porcelets charmeurs toujours réclamant confidences, impressions, prêts à leur servir leurs parents débités en amuse-gueule pour une bribe d’interview ». p.318

« Un blanc-bec à qui son costume noir donnait un air de singe habillé a bredouillé une muflerie ». p. 324

« Il ne se sentait aucune affinité avec la population de ce siècle qui acceptait le collier, le harnais, les coups de cravache de la société contre la promesse de pouvoir lécher ses plaies dans le camp de vacances des retraités. La retraite, cette religion, cet opium des besogneux, cet au-delà pour les damnés de la Terre du monde du travail, incapables de réclamer le bonheur du jour ». p.337

« L’avenir est une œuvre d’art, chaque journée une autre toile blanche. La jubilation de ne rien savoir du lendemain. Les petits bonheurs embusqués dans les replis des années en attente dans les coulisses ». p.392

« Elle le sème en traversant un groupe de mormons venus du Wyoming serrés les uns contre les autres par peur du malin qui hante les sous-sols des métropoles fornicatrices ». p.398

« Il s’en irait, pauvre hère trouvant refuge auprès d’une bergère dont il mangerait la soupe, tarauderait les creux, maltraiterait les bosses, attendant la nuit pour courir à l’étable profaner le troupeau afin de se donner le frisson de l’adultère ». p.90

Pour obtenir davantage d’informations sur le dossier Jauffret/Strauss-Kahn, les documents suivants sont utiles :

Le Devoir

hal.archives-ouvertes.fr

Ici.fr

bfmtv.com

Voici le lien pour d’autres romans et d’autres sujets controversés sur mon site.

Titre : La ballade de Rikers Island

Auteur : Régis Jauffret

Éditions : Seuil

©Régis Jauffret/Éditions du Seuil 2014

ISBN : 978-2-02-109759-7 (pour le grand format). Mais je sais que ce format est difficile à obtenir aujourd’hui. Cependant, le format poche est toujours en vente dans les librairies.

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Biographies et autobiographies Tragédie en mer

Magellan l’homme et son exploit

Il s’agit d’une nouvelle traduction de l’allemand du livre de Stefan Zweig  par la traductrice renommée Françoise Wuilmart. Cette nouvelle traduction était devenue nécessaire pour plusieurs raisons. D’abord, le traducteur initial du nom de Alzir Hella a fait le travail initial il y a près de soixante ans et il n’avait justement pas de formation de traducteur.

Couverture du livre "Magellan l'homme et son exploit"
Couverture du livre «Magellan l’homme et son exploit»

Le résultat, bien que correct, ne respectait pas complètement l’écriture de Stefan Zweig. La traductrice signale que lorsqu’il arrive à Zweig d’utiliser quatre adjectifs dans une phrase, Alzir Hella décide de n’en garder qu’un seul. Quand l’auteur est imprécis dans son écriture, M. Hella ajoute une explication. Comme le dit encore Françoise Wuilmart, en s’adressant à Alzir Hella : « […] il vous arrive de confondre l’Égypte et la Perse, ou, plus grave dans un récit de navigation, l’est et l’ouest. Enfin, Zweig clôture souvent un paragraphe ou un chapitre par une considération philosophique ou par un élan lyrique qui se répand sur plusieurs lignes. Vous les évacuez purement et simplement, et j’ai  l’impression que vous n’y voyez que d’inutiles fariboles qui ralentissent le flux de la narration. » (p.9)

Selon Françoise Wuilmart, le Zweig de Alzir Hella est « un journaliste viril à la voix autoritaire ». Elle préfère rendre à l’auteur sa grande sensibilité et en profite pour adapter la traduction à notre époque.

Le résultat du travail de Françoise Wuilmart est vraiment superbe. C’est un livre qu’on ne veut pas fermer tant il est intéressant. Zweig donne un véritable cours d’histoire et sait comment conserver notre attention à chaque page. Le lecteur navigue sur les mers avec l’équipage, vit les privations, les angoisses, les magouilles, les erreurs et les succès et, en permanence, la lutte pour la survie :  « Quant aux biscuits qui sont, avec les poissons qu’ils attrapent, leur seule pitance, ils se sont transformés depuis belle lurette en une poudre grise et sale où pullulent les vers, de surcroît empestée par les excréments des rats qui, devenus fous eux-mêmes, se ruent sur les quelques misérables miettes éparses […] ». (p.250)

Carte du monde Magellan-Elcano
Carte du monde Magellan-Elcano

Les considérations philosophiques ajoutées par Zweig ajoutent encore à la profondeur du texte et en font plus qu’un récit de voyage. Je cite en exemple certains des propos de Zweig qui s’appliquent à bien d’autres situations qu’au premier tour du monde effectué par le Portugais Magellan :

« La présence d’esprit et l’énergie d’une figure de second plan décident souvent du cours de l’histoire. » (p.55)

« L’histoire n’a jamais vu une seule grande victoire rassasier un vainqueur. » (p.66)

« Une vérité suprême peut toujours naître de l’erreur la plus grossière dès lors qu’un génie ou le hasard s’en mêlent. Dans le domaine scientifique, des centaines et des milliers d’inventions importantes sont le fruit d’hypothèses erronées. » (p.99)

« Dans la mémoire des grands exploits, le monde préfère toujours se focaliser sur les instants dramatiques ou pittoresques qui synthétisent les hauts faits du héros : César traversant le Rubicon, Napoléon au pont d’Arcole. L’effet pervers en sera que les années préparatoires, la lente gestation spirituelle, la patiente progression de l’organisation d’un fait historique, demeurent dans l’ombre. » (p.125)

« C’est la somme de tous les obstacles surmontés qui donne la mesure véritable, exacte de l’exploit et de l’humain qui l’a accompli. » (p.128)

« On sait d’expérience que le nationalisme est une corde que la main la plus maladroite sait faire vibrer sans trop de peine quand il le faut. » (p.132)

« Il est toujours plus facile d’exciter les masses, et même tout un peuple, que de les apaiser. » (p.133)

« C’est à son comportement dans les moments décisifs que l’on reconnaît le mieux le caractère d’un homme et c’est à l’heure du danger que sa force et ses facultés cachées se manifestent. » (p.173)

« […] Après une victoire totale, les dictateurs ont moins de peine à reconnaître leurs droits à d’autres humains, et après avoir assuré leur pouvoir, il leur est plus facile de leur laisser la parole. » (p.234)

« Le monde ne récompense jamais que le dernier de la série, celui qui a la chance d’achever une œuvre, et oublie tous ceux qui l’ont conçue et permise avec leur esprit et leur sang. » (p.331)

« Magellan a prouvé à tout jamais qu’une idée animée par le génie et résolument portée par la passion s’avère plus forte que tous les éléments réunis, et qu’un seul homme, malgré son passage éphémère sur terre, est toujours capable de transformer en réalité et en vérité impérissable ce qui n’était qu’une utopie pour des centaines de générations. » (p.340)

Titre : Magellan – l’homme et son exploit  .

Auteur : Stefan Zweig (traduction de Françoise Wuilmart)

Éditions : Robert Laffont

©2020

ISBN : 978-2-221-24683-2

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Romans

Le Livre Microfictions 2018 de Régis Jauffret.

Microfictions 2018 par Régis Jauffret.
Microfictions 2018 par Régis Jauffret.

Ce roman Microfictions 2018 de Régis Jauffret rassemble des centaines de nouvelles faisant toutes environ une page et demie, pour un total de 1024 pages.

Microfictions 2018 a gagné le Goncourt 2018 de la nouvelle.

J’ai acheté le livre sur recommandation de la revue «Le Libraire». Je ne m’attendais cependant pas à trouver des nouvelles de ce genre. J’ai persisté dans la lecture pour découvrir progressivement un auteur hors-normes. Les tournures de phrases, la capacité de synthèse et le vocabulaire méritent vraiment une lecture attentive. Les propos peuvent cependant être dérangeants pour certaines personnes.

Les nouvelles sont souvent percutantes et portent entre autres sur : la détresse, le suicide, la violence conjugale, la maltraitance, les problèmes sexuels, le harcèlement, le vieillissement, la maladie mentale, les écarts de richesse, la folie, l’exclusion sociale, etc.

Régis Jauffret a choisi d’y inclure une bonne dose d’humour noir, et même très noir parfois, pour équilibrer le propos et parfois passer un message.

J’ai choisi quelques citations, à travers les 1000 pages de texte, pour donner une idée du style de l’auteur :

 « La réceptionniste m’a tendu la clé avec tellement de haine dans le regard qu’il me semblait la voir suinter au coin des yeux ». P.53

« Je n’en pouvais déjà plus de cette soirée dont nous étions en train de grimper les premiers kilomètres ». p.58

« À notre époque flaccide, un cadeau doit réveiller son bénéficiaire comme une raclée ». P.75

« Je n’aimais pas assez les enfants pour rater mon existence à cause d’eux ». P.101

« Ma mère n’est pas morte, mais elle a le regard vague depuis son attaque et à chaque fois que je la vois je ne peux m’empêcher de fixer longuement ses mollets en me demandant lequel de ses pieds a déjà disparu dans la tombe ». P.133

« Il m’est arrivé de me demander si je me jetterais un jour à corps perdu dans l’existence ». P.180

« Fonder une famille reviendrait à jeter mes gamètes dans un utérus comme une paire de dés dans un cornet. Je préfère thésauriser plutôt que de risquer un mauvais placement ». P.180

« […] des militaires traînant des pieds pour mener une guerre métaphysique contre l’armée d’anges déchus que Lucifer jette sur les vierges afin de capturer leurs hymens dont il nourrit ses enfants qui rissolent de jour comme de nuit sur leur lit chauffé à blanc dans la maison flambante où il vit en bourgeois dans la haine du Christ ». P.185

« Nous l’avions envoyé en colonie de vacances. Par prudence nous avions choisi un organisme laïc. Il n’en avait pas moins été abusé par un moniteur et il nous était revenu libidineux comme une chatte en chaleur, se dandinant, se frottant aux meubles, s’enroulant autour des jambes des invités en minaudant ». P.197

« Les filles ont accepté d’appeler maman la mère de substitution dont je me suis amouraché pour tirer avec moi la charrette du quotidien ». P.208

« À huit ans il sait déjà compter jusqu’à l’infini. Je dois l’obliger à reprendre son souffle sinon il s’étouffera en essayant d’atteindre en apnée le dernier des nombres ». P.213

« Non, je ne critique pas nos enfants. Ils sont polis, polyglottes, ouverts aux nouvelles technologies. Nous les avons si bien élevés qu’ils sont ennuyeux comme des caniches de concours ». P.238

« Il ne me pardonnera jamais de l’avoir surpris emboîté dans un jeune homme ». P.253

« La transplantation sera réalisée par un robot assez intelligent pour se contenter d’un déficient mental en fait de chef de service ». P.283

« Il a su autrefois lire et écrire son nom, mais par paresse il préfère à présent laisser son empreinte ADN en crachant sur les documents administratifs plutôt que de les signer ». P.345

« J’ai plus honte de toi encore que de mes hémorroïdes. Du reste avec ton mari et tes gosses vous leur ressemblez comme deux gouttes d’eau. La différence c’est que vous n’êtes pas opérables et qu’on ne peut pas davantage adopter un trou-du-cul que l’abandonner au bord d’une autoroute comme un chien dont on ne veut pas s’encombrer pendant les vacances. Je regretterai toujours de ne pas t’avoir portée dès ta naissance aux enfants trouvés. Tu aurais fait le malheur d’une autre pendant que j’aurais élevé Laurent avec autant de fierté que Marie a torché Jésus. » p.364

« Elle est réapparue scintillante de haine » p.439

« Le ciel rose pommelé de nuages ressemblait à une photo de maladie de peau. » p.451

« Nos filles sont maintenant adultes, intelligentes, resplendissantes, exaspérantes de perfection ». p. 453

« Elle avait des parents catholiques aux yeux noirs et durs comme les clous de la croix du Christ ». P.455

« Même si vous avez tous les deux plus de quatre-vingts ans, ce n’est pas une raison pour refuser d’évoluer ». p.471

« Un garçon aussi terne que notre Carole avec son intelligence basique sans aucun accessoire ni enjoliveur ni option d’aucune sorte. Ils auraient formé un couple insipide qui aurait mis au monde des êtres appartenant comme eux à la grosse cavalerie de l’humanité. » P.482

« Celui qui survivra à l’autre décédera en essayant d’attraper la main tiède de l’infirmière affamée qui se dérobera pour aller terminer sa barquette de hachis Parmentier à la cantine » p.487

« […] cet endroit où j’ai effectué mon enfance avec autant de joie qu’une peine de prison. » p.515

« Quand vous êtes né dans un sale état, si vous voulez jouer les Roméo vous avez intérêt à être un génie du piano ou un cerveau assez hypertrophié pour découvrir chaque matin un nouveau cousin au boson de Higgs ». P.524

« Son corps décapité était resté devant le comptoir des hors-d’œuvre ». p.560

« Elle se ressemblait, même si son visage froissé aurait mérité un coup de fer. » p.576

 « La terre est un lieu de passage, une rue, un boulevard, une place publique dont on a depuis longtemps arraché les bancs et lubrifié le bitume afin d’assurer aux humains une meilleure glisse vers le crématorium ». P.591

« Je portais un appareil d’orthodontie posé à l’œil par une organisation de dentistes chrétiens qui donnait à mon sourire des airs de clôture électrifiée ». P.609

« La solitude fait un bruit de frigo qui se déclenche régulièrement toutes les vingt minutes […] » P.655

 « Né de parents communistes assez cruels pour aller chaque année en pèlerinage sur les lieux des anciens goulags, assez cons pour se suicider en 2007 le jour anniversaire de la mort de Staline […] » P.671

« Je suis entrée dans la police par goût de la répression » P.683

« Ta voix était indécrottable. Un larynx aussi encombré qu’un intestin grêle dont aucun phoniatre ne viendrait jamais à bout. Nous qui espérions faire de toi un artiste lyrique pour dissimuler ta médiocrité intellectuelle derrière les contre-ut et les trilles ». P.715

« À dix-sept ans notre aîné a révolutionné le monde des mathématiques en inventant un onzième chiffre […] » p.722

 « Je vais entamer bientôt des pourparlers avec mon décès. Il a beau faire preuve de la plus grande discrétion, comme tout le monde il est avide d’exister. » P.832

« Encore sa manie végétarienne de servir de la laitue fatiguée mêlée de tomates molles, d’œufs durs au goût de vomi avec une guirlande lumineuse qui clignote au fond du plat pour donner un air de fête à ce fatras ». P.840

« J’ai suivi l’enterrement de mon père à la fosse commune avec les gens du village sous l’objectif d’une chaîne de télévision locale à l’équipe nonchalante qui semblait accompagner le cortège par désœuvrement. » P.850

« La géométrie ne peut pas servir continuellement d’excuse à un enseignant pour humilier un être humain ». p.893

« On peut avoir une opinion différente sans organiser une fatwa contre les élèves qui comme moi se rebellent contre sa conception fondamentaliste des maths ». P.893

« Elle a intégré dès la semaine suivante un pensionnat clos de murs dans le Vercors pour méditer sur les vertus de l’abnégation dont ont fait preuve son arrière-grand-père et bien d’autres antisémites chrétiens au nom de la haine du Boche en s’engageant dans la résistance au mépris de leurs convictions raciales ». P. 901

« Les habitants d’un endroit pareil ne valent pas plus cher que son climat. Dans le coin aucune famille sans son meurtrier, son voleur, son auteur de crime sexuel dont à chaque réveillon un pervers oncle saoul raconte avec envie la carrière » p.959

« Elle allait rater sa licence, un diplôme certes médiocre, mais qui lui manquerait le jour où elle serait en panne de papier de toilette ». P.965

« Quand je suis enfin couché je me dis que j’aurais mieux fait de naître sous forme de foule pour n’être pas seul à supporter ma vie navrante ». P976

Voilà! Bonne lecture!

https://www.lepoint.fr/livres/regis-jauffret-l-acte-sexuel-est-devenu-une-performance-14-01-2018-2186484_37.php

https://www.ledevoir.com/lire/522252/regis-jauffret-et-ses-500-fragments-de-vie-et-d-insanite

http://www.gallimard.fr/Media/Gallimard/Entretien-ecrit/Entretien.-Regis-Jauffret.-Microfictions-2018

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Les États-Unis, la sécurité nationale, l’acier et le Canada.

Le président américain Donald Trump adore soulever des doutes et avancer des faits inexacts pour tenter d’obtenir des avantages. Sa dernière invention est de dire que l’acier et l’aluminium en provenance du Canada pourraient constituer une menace à la sécurité nationale des États-Unis.

Donald Trump sait très bien que les États-Unis ne peuvent actuellement produire tout l’acier et l’aluminium dont ils ont besoin pour assurer leur croissance. Plutôt que de faire des rapports douteux entre les États-Unis, la sécurité nationale, l’acier et le Canada, je suggère au président de concentrer son attention sur les États-Unis, la sécurité nationale, l’acier et les attentats du 11 septembre 2001.

En effet, les bâtiments américains semblent très fragiles et bénéficieraient possiblement de beaucoup plus d’acier dans leur construction. Sinon, comment faut-il comprendre la chute du bâtiment 7, connu aussi sous WTC-7, une tour de 47 étages qui s’est effondrée d’elle-même sans avoir été touchée par un avion, lors des attentats du 11 septembre 2001? Les médias en ont vraiment très peu parlé, car il leur a été demandé d’être « patriotes ».

Donald Trump peut également diminuer le temps alloué aux tweets et consacrer un peu plus de temps à comprendre ce qui s’est passé avec les tours jumelles de New York, appelées WTC-1 et WTC-2, lors des attentats du 11 septembre 2001. Le meilleur acier du monde n’aurait rien pu faire contre la nanothermite qui a été trouvée dans les débris après la chute des tours.

Ayant des problèmes à comprendre comment deux avions font tomber trois tours, et se questionnant sur la chute libre des tours, des physiciens danois ont eu l’idée d’observer des débris du World Trade Center au microscope. Ils ont découvert de la nanothermite; celle-ci liquéfie littéralement l’acier. La découverte a été consignée dans le Open Physics Journal. Prenez quelques minutes pour comprendre de quoi il s’agit (la qualité du vidéo est bonne sauf pour les cinq premières secondes) :

Le président américain peut également demander à ses associés, avant qu’ils ne soient limogés à leur tour, de trouver des photos des restes d’un Boeing 757 qui aurait frappé le Pentagone. Aucune photo crédible n’a été mise de l’avant en 17 ans. Même des hauts gradés militaires ont soulevé cette absence de preuves.

L’usage que l’on fait de l’acier peut également porter atteinte à la sécurité nationale. Il y a 450 millions d’armes en circulation aux États-Unis. Je ne sais pas combien il faudra de tireurs fous dans les écoles américaines avant que les élus ne prennent leurs responsabilités.

Au lieu d’agir sur ces sujet délicats et d’intérêt national, il est plus facile d’inventer de nouvelles menaces provenant de l’extérieur des États-Unis.

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Géopolitique Sujets controversés

Les États-Unis en transition politique

En procédant très progressivement, Donald Trump est en train de mettre la table pour un changement de système politique aux États-Unis.

Comme il dit souvent tout haut ce qu’il pense vraiment (ses nombreux tweets en sont une preuve), sa dernière visite en Chine l’a convaincu qu’il est possible de changer le système politique américain.

Il a dit tout haut que ce n’est pas une mauvaise idée que de réfléchir à la possibilité de faire plus de deux mandats consécutifs, ce qui est interdit par la Constitution aux États-Unis. Pour se faire, il procède un peu comme Mussolini et change les façons de faire morceau par morceau.

Non seulement il attaque les institutions représentant la justice, comme le FBI, mais il s’en prend également aux médias qui ne disent pas comme lui. Nous sommes à deux doigts de voir la création d’un organisme de presse financé par Trump et qui deviendra le porte-parole du Président américain.

Trump crée des ennemis fictifs, en l’occurrence tous les gens des pays qui sont désormais interdits d’entrée aux États-Unis, alors que toutes les statistiques indiquent que les crimes et attentats sont bien davantage commis par des désaxés à la gâchette facile vivant déjà dans le pays. Et ils sont Américains.

Donald Trump veut devenir, pour la base qui le supporte envers et contre tous, le seul objet de la confiance du peuple. Le seul rempart qui protège des ennemis imaginaires qu’il plante dans la tête des gens. Il invente même un mur qui serait supposément payé par le Mexique, une proposition ridicule qui aurait dû faire rigoler dès le début et qui a pourtant convaincu les électeurs américains. C’est tout dire!

À travers les phrases creuses et les mensonges, que beaucoup des gens qui l’appuient n’ont pas l’intérêt, sinon la capacité de vérifier, il déforme la réalité et installe la peur de l’autre. Il compte sur la lâcheté de plusieurs élus républicains qui ont cessé de s’interroger sur les faits et gestes du Président pour ne se tourner que vers une nécessaire réélection.

Ceux qui prennent Donald Trump à la légère risquent de le payer cher. Combien s’étaient même aperçus que pour préparer sa campagne politique, Cambridge Analytica était déjà au travail?