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Roman graphique et bandes dessinées

La disparition de Josef Mengele

Le roman graphique "La disparition de Josef Mengele"
Le roman graphique « La disparition de Josef Mengele »

Le roman graphique « La disparition de Josef Mengele » constitue une très belle surprise pour moi, autant au niveau du scénario que du graphisme. Tous ceux qui s’intéressent aux histoires vécues dévoreront ce bouquin tant il représente une mine d’or d’informations étonnantes sur la vie, ou plutôt la survie, du criminel nazi en Amérique Latine.

Qui lui fournit l’argent dont il a besoin ? Comment assure-t-il sa protection ? Mène-t-il une vie de pacha ? Comment se comporte-t-il à l’étranger ? Sa réflexion sur les races connaît-elle un semblant d’évolution ou demeure-t-elle sclérosée ? Pourquoi l’Argentine favorise-t-elle la venue de ces assassins en fuite ?

Pour la population en général, il y a deux catégories de criminels nationaux-socialistes: la première concerne les noms les plus médiatisés lors du tribunal de Nuremberg. La deuxième implique les criminels nazis qui se sont enfuis à l’étranger, grâce à des soutiens politiques ou familiaux. Josef Mengele fait partie des deux groupes. Il se terre en Amérique latine et sait que plusieurs organisations le recherchent sérieusement, dont le Mossad israélien.

Comment demeure-t-il en liberté sur une si longue période? On comprend vite que le Mossad ne se concentre pas seulement sur les criminels nazis en fuite. Le bouquin nous présente quelques autres priorités pour l’agence, dont une très urgente : l’élimination d’anciens scientifiques allemands qui travaillent en Égypte à créer des armes à déchets radioactifs destinés à détruire Israël. Les services secrets doivent choisir entre Mengele, une menace passée, ou un danger plus immédiat. Les ressources des agences de renseignement étant limitées, ces dernières doivent s’ajuster et parer au plus pressant.

Des nazis se fondent dans le nouveau gouvernement allemand de l’époque.

Il y a cependant une troisième catégorie dont la population n’a que très peu entendu parler et dont on discute également dans le roman graphique : il s’agit de nazis qui ont réintégré le nouveau gouvernement allemand quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En effet, les puissances alliées de l’époque que sont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Union soviétique administrent les zones d’occupation du territoire allemand après la Seconde Guerre mondiale. Mais les tensions entre l’Est et l’Ouest s’accroissent rapidement. On s’accuse mutuellement d’expansionnisme impérialiste ou communiste.

Pour offrir une résistance mieux organisée face à l’Union soviétique, on doit rapidement redonner à l’Allemagne son autonomie. Les anciens nazis possèdent une expérience de gouvernance tout de suite disponible.

Si les Alliés adoptent la position tranchée d’empêcher les nazis d’atteindre des fonctions essentielles dans l’appareil public de la future République de Bonn, on doit alors trouver et former des personnes sans ou avec peu d’expérience pour remplir les tâches plus complexes. Le temps manque autant que la volonté d’aller au fond des choses.

De très nombreux nazis dénichent donc du travail au sein d’organismes du gouvernement. De fil en aiguille, certains de ces anciens nazis recyclés en agents de l’État feront partie des cercles rapprochés qui protégeront les criminels de guerre les plus importants enfuis à l’étranger. Josef Mengele tire profit de ce support en haut lieu.

Mais plusieurs autres Allemands, également haut placés, agiront dans le sens contraire, en tentant de débusquer les plus grands criminels, au risque de leur propre santé et sécurité. Une de ces personnes nous est présentée dans le livre : Fritz Bauer. Cet homme contacte le Mossad avec des informations qui mènent éventuellement à la capture d’Adolf Eichmann. Ce dernier subit son procès en Israël et connaît sa sentence : la pendaison. 

Eichmann et Mengele se rencontrent.
Eichmann et Mengele se rencontrent.

Mengele lit les journaux et se doute bien que sa fin ressemblera à celle d’Eichmann. Le roman graphique l’expose comme un animal traqué, qui parle tout seul. Il éloigne par ses propos racistes et passéistes les gens qui pourraient le plus l’aider dans les dernières années de sa vie. Il dépérit lentement et meurt sur une plage du Brésil en 1979. Mais on ne l’apprend officiellement qu’en 1985.

Le livre couvre une période de plusieurs décennies. On y trouve notamment un bref résumé des actions de Mengele comme médecin à Auschwitz. Il n’est pas seul, même s’il demeure le plus connu pour la population. En effet, de très nombreux adjoints scientifiques effectuent des expériences sur les humains, dont un deviendra recteur à l’université de Münster après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Les auteurs mentionnent au passage cette idée d’un quatrième Reich   poursuivie par Mengele et ses semblables. Bref, le lecteur ne s’ennuie pas avec ce roman graphique très habilement construit.

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Titre : La disparition de Josef Mengele

Auteurs : Olivier Guez et Matz-Jörg Mailliet

Éditions : Les Arènes, Paris, 2022

ISBN : 979-10-375-0714-3

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Romans

« Papa » par Régis Jauffret

Le roman "Papa" de Régis Jauffret.
Le roman « Papa » de Régis Jauffret.

Autant Sorj Chalandon, dans son roman « Enfant de salaud », que Régis Jauffret dans « Papa » tentent de saisir la personnalité énigmatique de leur père. Celui de Sorj Chalandon aurait été résistant et traître à la fois, alors que le père de Régis Jauffret aurait été filmé en sortant d’une séance d’interrogatoire de la Gestapo, la terreur sur le visage. Où se situe la vérité ? Qui sont vraiment ces pères ?

Dans un texte précédent, j’ai présenté le livre « Enfant de salaud ». Au tour maintenant du roman « Papa » de Régis Jauffret.

Comme on peut s’y attendre avec Régis Jauffret, le style d’écriture diffère radicalement. L’auteur est lauréat du prix Goncourt de la nouvelle (2018) pour son roman « Microfictions 2018 ». Son sens de la synthèse, de l’humour noir et même du cynisme fait de ce retour dans le passé du père une aventure littéraire autant qu’historique. Le lecteur comprend rapidement que l’auteur se fait plaisir en présentant ses découvertes. Il ajoute même un peu de fiction au besoin.

Fidèle à mon habitude quand il s’agit de Régis Jauffret, je présenterai son livre à travers des citations choisies. En effet, l’intérêt du livre réside autant dans le contenu que dans la façon dont Régis s’exprime pour éclairer son propos. Voici donc quelques citations susceptibles de donner le ton du bouquin :

« Elle me raccompagne ravie, limite hilare, en me donnant de légères tapes dans le dos ».

« — J’ai communié.

Quelqu’un m’a fait remarquer en sortant que je n’étais pas croyant.

   — Justement, une hostie ou des chips.

      J’ai souri mais après ce blasphème je n’en menais pas large. Quand on a été éduqué religieusement on conserve toujours dans un repli de son cerveau la terreur de Dieu ».  

« Il venait d’avoir un AVC qui loin de le handicaper semblait l’avoir ragaillardi ».

« Elle me raconta que l’humidité avait fait sauter le bois de placage [du cercueil]. Ne restait plus qu’une caisse de planches noircies. Je n’étais pas d’humeur assez badine pour appeler la dame des pompes funèbres afin de faire jouer la garantie éternelle dont jouit sans doute ce genre de produits métaphysiques ».

« Un de ces souvenirs de bonheur qui vous donnent raison de n’être jamais entré chez un armurier pour acheter de quoi vous tirer une balle dans la tête ».

« […] Alfred avait pour consigne de serrer les dents pendant le coït sans émettre un soupir tandis qu’elle demeurerait aussi stoïque que lorsque sans anesthésie le dentiste taquinait une de ses molaires du bout de sa fraise ».

 « Par l’entremise du vaste pavillon en cuivre d’un gramophone perché sur un piédestal dont on avait volé la statue, Édith Piaf gueulait “J’ai dansé avec l’amour” tandis que du sous-sol montaient les cris des martyrs ».

« Écrire sur soi-même est une forme d’incontinence ».

« On est condescendant avec les sourds sans statut ni talent mais on préfère les fréquenter parcimonieusement. Quand on ne les a pas aperçus assez tôt pour s’être planqué derrière un engin de chantier ou un homme volumineux, on les salue de loin en filant ».

« Si je n’avais pas vu ces images, tu serais resté dans les égouts de ma mémoire ».

« Si je dure aussi longtemps que Madeleine, je serai un centenaire qui ruminera inopinément son père dans son cerveau desséché comme un raisin de Corinthe tandis qu’un aide-soignant bâti comme un colosse balancera jambes en l’air mon corps décharné pour changer ma couche ».

« Minable descendante de protozoaires devenus difficultueusement êtres multicellulaires pourvus d’encéphale, l’humanité n’a aucun motif de pavoiser ».

« C’est héroïque en temps de guerre d’assumer le rôle de bourreau quitte à se tromper parfois puisque dans les situations extrêmes le doute ne profite jamais à l’accusé ».

« Il discourait du matin au soir. La moindre personne connue de lui rencontrée dans la rue se voyait douchée de langage comme un imprudent sur une jetée un jour de tempête par une déferlante. À son bureau, tout le monde en était trempé. Si bien qu’on le fuyait mais il parvenait toujours à trouver quelqu’un qui par gentillesse se laissait inonder ».

« Je ne l’ai jamais entendu non plus parler de sa journée. Il avait fait beau, il avait neigé, il avait plu, un chamois avait traversé la piste en queue-de-pie, un homme touché par l’orage s’était enflammé, une dame était tombée dans une crevasse en chantant une cantate de Jean-Sébastien Bach ».

« Pendant ce temps, Jean-Jacques et Honoré entreprirent les sœurs rouges comme de la viande bleue de se retrouver en présence de deux garçons dont les pantalons à la mode du temps moulaient l’appareil génital dont elles redoutaient par avance la piqûre ».

Bonne lecture !

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Titre : Papa

Auteur : Régis Jauffret

Éditions : Roman/Seuil, 2020.

ISBN : 978-2-02-145035-4

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Guerre Romans

Enfant de salaud.

Roman "Enfand de salaud" de Sorj Chalandon
Roman « Enfand de salaud » de Sorj Chalandon

Sorj Chalandon est journaliste et a travaillé des décennies durant aux journaux français Libération et Canard enchaîné. Au cours de sa carrière, il a reçu de nombreux prix : Albert Londres (1988), Médicis (2006), Grand Prix de l’Académie française (2011), Goncourt des Lycéens (2013) et son plus récent prix, le Goncourt 2021 des lecteurs de 20 Minutes.  

« Enfant de salaud » est l’histoire vécue de l’auteur qui tente de faire la lumière sur le passé extrêmement nébuleux de son père durant la Seconde Guerre mondiale, au moment où les Allemands occupent la France.

Ayant eu accès aux archives officielles, il découvre progressivement que son père a traversé la guerre en s’engageant dans cinq armées qu’il a toutes désertées. Il a servi l’ennemi de toutes les façons, mais s’est toujours ménagé des portes de sortie en s’assurant que les quelques gestes qu’il posait pour la France soient répertoriés quelque part, en cas d’enquête lorsque la guerre serait terminée.

Le chef de la Sûreté nationale de Lille qui a interrogé le père au lendemain de la guerre dit de lui : « Cet individu est un menteur, doué d’une imagination étonnante. Il doit être considéré comme très dangereux et traité comme tel. »

Entre les réflexions et les découvertes du fils sur le passé et la psychologie du père, le lecteur assiste en parallèle au procès de Klaus Barbie, ce psychopathe et grand criminel de guerre nazi qui est mort en prison en France en 1991. Des passages du livre glacent le sang, même si on sait un peu à quoi s’attendre quand il est question de nazis, de SS et des membres de la Gestapo.

Lorsque le survivant d’un camp de concentration, Isaac Lathermann,  s’avance à la barre lors du procès de Barbie, il annonce que « [dans les camps], à hauteur d’homme, il n’y avait plus d’écorce aux arbres, tout avait été mangé. Plus d’herbe non plus. Mangée, elle aussi ».

Heureusement, le lecteur ne navigue pas en territoire aussi sombre tout au long du roman. Il découvre la résistante incroyable qu’est Lise Lesèvre   qui, même torturée pendant des jours par Klaus Barbie, ne lâche pas une seule information. Un exemple phénoménal de courage, de détermination et de patriotisme.

« Enfant de salaud » est le voyage intérieur de l’auteur sur plusieurs décennies. Le fait que le livre porte sur une histoire vécue rend la lecture encore plus captivante.

Bonne lecture.

Titre : Enfant de salaud

Auteur : Sorj Chalandon

Éditions : Grasset et Fasquelle, 2021.

ISBN : 978-2-246-82815-0

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Pionniers de l'aviation

Hans Baur: J’étais le pilote de Hitler.

Couverture du livre Hans Baur: J'étais le pilote de Hitler
Couverture du livre Hans Baur: J’étais le pilote de Hitler

Le livre « J’étais le pilote de Hitler » qui relate une histoire vécue a initialement été publié en 1957. L’édition 2020 est présentée et annotée par Claude Quétel, et cela fait toute la différence. Cette fois, le lecteur comprend mieux qui est vraiment Hans Baur, un des fondateurs de la Lufthansa en 1926 et qui fût aussi le pilote de Hitler, mais également un officier nazi SS haut-gradé et un proche du Führer.

Les informations offertes par Hans Baur sont d’un grand intérêt. Il ne faut pas oublier que nous avons affaire, au début de la carrière de Hans Baur, à un pionner de l’aviation. À l’époque, les avions ne contiennent pratiquement aucun instrument de navigation aérienne pouvant aider un pilote volant dans des conditions météorologiques difficiles. Les Alpes représentent un défi par beau temps, alors on peut s’imaginer que par mauvais temps et dans un avion peu équipé, le pilotage se complique grandement. Si en plus on ajoute les conditions verglaçantes, des pannes de moteur, des cabines qui ne sont pas chauffées et qui ne sont pas équipées d’appareils fournissant de l’oxygène supplémentaire aux pilotes, il y a alors des vols qui relèvent plus de l’exploit qu’autre chose. Cet aspect du livre est donc très intéressant.

J’ai également apprécié toutes les anecdotes de Hans Baur concernant les exigences de Hitler à son égard. Être pilote pour le Führer n’était pas une mince tâche. Hitler avait de très grandes attentes face à la performance et à la ponctualité de son pilote personnel, et ce dernier a certainement démontré des capacités hors du commun pour satisfaire son supérieur.

Là où il faut être circonspect, c’est que nous avons tout de même affaire à un pilote SS, qui était membre de l’organisation nazie avant qu’Hitler ne prenne le pouvoir. Il faut s’interroger sur ses valeurs personnelles et sur ce qui est omis dans le livre. Les massacres en règle perpétrés lors de l’opération Barbarossa en Russie, ou l’élimination de six millions de Juifs ne sont pas abordés, car le pilote SS soutient qu’il ne s’est jamais occupé de politique. Il transportait les passagers sans se poser de questions, mais il avait choisi le nazisme comme mouvement politique. Quand on est quotidiennement invité à la table d’Hitler et que l’on fait donc partie de son cercle rapproché, il est clair que le nazi que représente Hans Baur s’exprime sur autre chose que le pilotage.

L’expérience vécue dans les prisons russes est décrite comme inhumaine par Hans Baur, qui a dû y séjourner dix ans. Il parle du transport de prisonniers allemands dans des wagons à bestiaux, de très mauvaise nourriture, etc. Mais je n’ai pu m’empêcher de me demander sur quelle planète il vivait pour dénoncer sa condition de prisonnier tout en passant sous silence le traitement réservé par les Allemands aux Russes et à tous les gens qui ont été déportés et massacrés. Les Einsatzgruppen  n’étaient pas des enfants de chœur. D’ailleurs, Claude Quétel relève aussi cette remarque de Hans Baur, en ajoutant que « quoique très dures, les conditions de vie et de travail dans les camps soviétiques n’ont rien à voir – comme on le lit parfois – avec celles des camps de concentration allemands » (p.381).

Il y a aussi quelques imprécisions et parfois des faussetés que Claude Quétel n’hésite pas à relever. Il s’agit parfois d’erreurs anodines résultant d’une mémoire défaillante. Par contre, d’autres faits d’importance sont carrément inexacts. Comme dans ce passage où Baur dit que Hitler a décidé d’attaquer la Russie quatre semaines avant le début de la guerre, ce qui est faux. La conquête de l’Est et d’un espace vital est spécifiquement énoncée dans Mein Kampf et on parle d’un livre écrit lorsque Hitler est en prison en 1923 à la suite d’un coup d’État manqué.

Conclusion.

Le livre « J’étais le pilote de Hitler » est un livre très intéressant, un de plus sur l’Allemagne nazie. L’histoire de l’Allemagne est fascinante et complexe, depuis l’époque du Saint-Empire romain jusqu’à aujourd’hui. Mais il semble que ce sera toujours les douze années de la période nazie qui obtiendront le plus de succès en librairie. À tort ou à raison.

Bonne lecture!

Titre : J’étais le pilote de Hitler.

Auteur : Hans Baur

Éditions : Perrin

© 2020

ISBN : 978-2-262-08168-3

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Sujets controversés

L’extase totale — Le Troisième Reich, les Allemands et la drogue

L’auteur est un journaliste et documentariste allemand qui a travaillé pour Stern et Der Spiegel. Il est également l’auteur de quatre autres livres. Le titre original de son livre écrit en allemand est : « Der totale Rausch. Drogen im Dritten Reich ».

La recherche effectuée pour ce livre démontre que durant les années précédant la Seconde Guerre mondiale, la population allemande utilisait régulièrement des drogues pour supporter plus facilement la défaite de la Première Guerre mondiale. La consommation de narcotiques était banalisée. Il fallait changer les habitudes de la population.

Couverture du livre "L'extase totale" par Normand Ohler
Couverture du livre « L’extase totale » par Normand Ohler

Hitler est alors présenté comme « un modèle de vie pure à tous égards […], l’ascète, l’ennemi des drogues qui fait fi de ses propres besoins » (p.25). Mais s’il y a quelqu’un en Allemagne qui en vient à utiliser régulièrement des drogues et a même accès à son fournisseur personnel, en l’occurrence le fameux docteur Morell, c’est bien Hitler.

Dans les documents présentés par l’auteur, Hitler est aussi décrit comme le Patient A. « Hitler s’habitue aux piqûres à répétition ainsi qu’à ces mystérieuses substances qui coulent dans ses veines pour soi-disant le revigorer ». (P.37.)

En 1937, les usines Temmler créent la première méthylamphétamine allemande, appelée aussi pervitine. L’utilisation généralisée se répand dans la population allemande de même que dans l’armée. La pervitine, c’est le coup de fouet artificiel qui dure plus de douze heures. C’est le remède artificiel qui « règle les problèmes » et qui tient aussi en éveil le soldat allemand pendant plusieurs jours d’affilée. « En consommer devient aussitôt aussi naturel que de prendre une tasse de café » (p.44)

L’armée allemande, qui ne dort que tous les deux ou trois jours, fonce à travers l’Europe. C’est le fameux Blitzkrieg. Les blindés ne s’arrêtent plus. Alors que les soldats alliés doivent sommeiller à tour de rôle, le soldat allemand fonce sans prendre de repos, énergisé à la méthamphétamine.

La Pologne est la première surprise. « […] pourvue de drogue à foison, mais privée d’indications posologiques, la Wehrmacht fond sur le voisin polonais qui, lui, n’est pas dopé et n’a pas idée de ce qui l’attend. » (p.63)

Trente-cinq millions de doses sont commandées pour l’armée et la Luftwaffe. « La Wehrmacht devient ainsi la première armée au monde à tabler sur la drogue chimique […]. Une nouvelle forme de guerre va faire son apparition. » (p.76)

Peter Steinkamp, un historien de la médecine, affirme que « le Blitzkrieg a été mené grâce à la méthamphétamine, pour ne pas dire qu’il était fondé sur l’usage de la méthamphétamine » (p.85)

Les officiers allemands n’obéissent plus aux ordres, grisés par les victoires rapides. « Guderian […] continue son offensive alors qu’il a formellement reçu l’ordre de faire halte » (p.86). C’est la même chose pour Rommel, qui n’obéit plus aux ordres du général Hoth : « Il a perdu tout sens du danger [ce qui est] un symptôme typique d’une consommation excessive de méthamphétamine. Il poursuit son offensive de jour comme de nuit ». (P.88.) Hitler ne contrôle plus les généraux des divisions blindées qui agissent maintenant de façon autonome.

Décidé à reprendre le contrôle sur ses officiers, Hitler prendra alors une décision qui évacue momentanément toute stratégie militaire. Il ordonne à ses troupes de s’arrêter pendant dix jours, alors que celles-ci ont pratiquement terminé d’encercler les Alliés. Les officiers allemands insistent auprès d’Hitler pour achever la campagne militaire, mais « Hitler veut montrer à l’armée de terre que c’est lui et personne d’autre qui mène cette guerre » (p.95). À Dunkerque, « plus de 340,000 soldats français, belges et britanniques s’échappent ainsi par la mer » (p.95).

Endos du livre: L'extase totale par Normand Ohler
Endos du livre: L’extase totale par Normand Ohler

L’auteur cite de nombreux documents de recherche faisant état des témoignages de soldats et officiers consommant massivement des produits dopants. Cette consommation excessive est pratiquée jusqu’aux plus hauts niveaux de la hiérarchie militaire. La population civile en consomme également : « Il ne faut pas bien longtemps pour que le nombre de comprimés qui ont atterri dans les estomacs et le sang des Allemands passe la barre des cent millions de doses » (p.114).

Un Hitler quotidiennement dopé et au jugement altéré commet une autre grave erreur stratégique quant aux combats qui font rage en Russie. Il interdit tout mouvement de repli des troupes allemandes sans son autorisation. La Wehrmacht subit ainsi de lourdes pertes face aux divisions d’élite russes « fraîchement arrivées de Sibérie » (p.135).

Une autre erreur stratégique survient en décembre 1941 alors que l’Allemagne décide de déclarer la guerre aux États-Unis : « [L’Allemagne] est déjà épuisée par les combats qu’elle mène sur les différents fronts tandis que le colosse industriel d’outre-Atlantique est, lui, prêt à mener bataille » (p.139).

L’entêtement d’Hitler « à ne pas vouloir céder un pouce des territoires conquis trouve ici une raison plus profonde : que les cheminées fonctionnent le plus longtemps possible à l’est, dans les champs d’extermination d’Auschwitz, Treblinka, Sobibor, Chelmno, Majdanek et Belzec. Tenir toutes les positions, jusqu’à ce que tous les Juifs aient été tués. S’éloignant toujours un peu plus des lois humaines [Hitler] continue sa guerre contre les faibles » (p.140).

L’auteur poursuit son récit quant aux autres erreurs de stratégie militaire d’Hitler. Il donne également des précisions quant à la liaison étroite qui lie le Dr Morell et Hitler, de même que des détails pointus quant aux cocktails de médicaments consommés quotidiennement par Hitler, dont l’Eucodal, la cocaïne et la morphine. Profitant de son lien étroit avec le patient A, le Dr Morell en profite également pour accroître son influence et sa fortune personnelle.

Le lecteur constate le déclin progressif du Führer et les conséquences des décisions désespérées de ce dernier. Il est tout de même étonnant que dans les biographies d’Hitler cette consommation aussi intensive de drogues et ses conséquences soient à peine soulignées.

Vers la fin du livre se trouvent des passages importants, particulièrement difficiles, sur certaines expériences effectuées sur les prisonniers des camps de concentration.

Le livre « L’extase totale » permet de comprendre de façon différente la Seconde Guerre mondiale et la psychologie du peuple allemand à cette époque. Il est extrêmement surprenant de constater à quel point les drogues chimiques ont joué un rôle primordial avant et pendant ce conflit mondial. Même la compréhension du Blitzkrieg s’en trouve altérée.

La technologie de pointe et la stratégie militaire allemande combinée à l’usage intensif de drogues chimiques par les troupes ont, dans un premier temps, donné un avantage important aux Allemands. Cependant, avec le temps, un manque de contrôle adéquat sur ces drogues et une absence volontaire de sensibilisation quant aux effets secondaires de la pervitine et autres mixtures chimiques ont eu des conséquences négatives irréversibles sur un grand nombre de soldats et d’officiers et occasionné de graves erreurs de stratégie militaire. La dérape idéologique a également occasionné la perte de millions de vies humaines.

Titre : L’extase totale – Le Troisième Reich, les Allemands et la drogue
Auteur : Normand Ohler
Éditions : La découverte
© 2016
ISBN : 978-2-7071-9072-7