« Quand on n’a plus rien à perdre, on peut prendre tous les risques… ». Voici la phrase que l’on retrouve à l’endos de la bande dessinée « 13 h 17 dans la vie de Jonathan Lassiter » et qui résume le mieux cette œuvre francophone parue en 2023.
Jonathan Lassiter travaille comme assureur à Keanway, une petite ville reculée du Nebraska. Du jour au lendemain, sa femme le quitte, il perd son emploi, se fait voler son portefeuille. Bref sa vie embrasse soudainement un virage inattendu. Il a deux choix : soit il s’apitoie sur son sort, soit il se transforme. Sa rencontre fortuite avec Edward, homme « distingué, cultivé et cynique » le forcera à se positionner.
C’est d’abord la qualité du graphisme qui m’a accroché. Ce n’est pas une de ces publications dont on se demande si sa conception tient en un mois et qui se veut originale à travers l’absence de détails, et du même coup de travail. Cet album a nécessité un effort très important et cela se voit au premier coup d’œil.
Tout s’y trouve : le choix judicieux des angles, le dessin raffiné et d’une grande maîtrise, le maintien habile de l’atmosphère à travers des couleurs bien dosées et sous-saturées, le scénario très bien ficelé. Cette bande dessinée conserve l’intérêt du lecteur du début à la fin, sans aucun temps mort.
Le personnage principal m’a fait penser au célèbre acteur Vincent Price.
Il était très connu à l’époque pour ses rôles dans des films d’horreur. La grande ressemblance ne m’apparaît pas fortuite. Mais cela n’enlève rien à la vraisemblance de l’histoire, au contraire.
Le roman graphique « Un tournage en enfer : au cœur d’Apocalypse Now » nous plonge au centre de la création du fameux film de Francis Ford Coppola porté à l’écran en 1979. Comme le signale le réalisateur, « […] nous étions dans la jungle. Nous étions trop nombreux. Nous avions accès à trop d’argent et de matériel, et, peu à peu, nous sommes tous devenus fous… ».
Cela avait mal commencé. Dès le début, le réalisateur ne peut convaincre des acteurs bien connus de s’impliquer dans son film. Tour à tour, des comédiens comme Jack Nicholson, Al Pacino, Robert Redford et James Caan refusent de s’associer à l’aventure. Coppola poursuit ses recherches et les entrevues.
En tant que lecteurs, nous pénétrons sur les lieux de production et recevons les confidences des proches du cinéaste. Le tournage commence dans la jungle des Philippines, même si Coppola n’a encore aucune idée du scénario de la fin de son œuvre. Cela le hantera tout au long de la réalisation, lui causant des nuits blanches alors qu’il est déjà passablement épuisé.
Les dépassements de coûts s’enchaînent et la pression des bailleurs de fonds s’accroît toujours davantage sur le metteur en scène. On lui demande de boucler son œuvre cinématographique au plus tôt, ce qu’il s’avère incapable d’accomplir. Coppola en vient à garantir les fonds requis en s’engageant à rembourser lui-même la dette si les recettes en salle n’atteignent pas $40 millions de dollars.
De plus, on a tenu pour acquis que le gouvernement américain fournirait les hélicoptères de combat nécessaires à l’action du film. Mais, au lendemain de la guerre du Vietnam, l’intérêt des politiciens américains pour ce genre de demande diminue. Le réalisateur doit se tourner vers le président des Philippines d’alors, Ferdinand Marcos, pour obtenir des hélicos et du personnel, moyennant certaines rétributions et compensations. Mais ces appareils quittent parfois la scène sur ordre de Marcos pour aller chasser les ennemis du régime. On prend encore du retard…
On a pensé qu’Harvey Keitel serait le comédien idéal pour donner la réplique à Robert Duvall. De nombreuses séquences plus tard, l’évidence apparaît : l’homme ne fait pas le poids pour plusieurs raisons. On court à la catastrophe et on doit d’urgence contacter Martin Sheen et le supplier de remplacer Keitel. On doit reprendre de multiples scènes avec le nouvel acteur, les retards s’accumulent, et donc les frais associés.
Toutes sortes d’autres embûches attendent le réalisateur et son équipe tout au long du tournage, dont la barrière de langue avec les Philippins et une tempête qui détruit le décor. L’usage généralisé de drogues et d’alcool par le personnel et les pilotes d’hélicoptères n’aide en rien la situation.
Les moustiques, la chaleur et les exigences constantes de Coppola épuisent des acteurs. Martin Sheen tombe gravement malade et on doit employer son frère pour certaines scènes secondaires. Plutôt que de n’utiliser que des figurants pour simuler des morts, un membre du personnel se rend à la morgue et revient avec un cadavre. Cela provoque l’arrivée des forces policières et on règle le problème avec de généreuses sommes d’argent.
Bien d’autres facteurs viennent encore retarder la clôture du tournage et en augmenter les coûts. Il faut citer en exemple les exigences de Marlon Brando. On réussit à le ramener sur le plateau de tournage pour une journée supplémentaire, à condition de débourser 70 000 $ de plus que prévu.
Le tournage se termine finalement en 1977. L’équipe affrète un avion privé pour transporter 381 kilomètres de pellicule originale vers les États-Unis. Le montage du film s’avère cependant un calvaire. On dispose de trop de matériel à analyser. En 2001, Coppola présentera une mouture modifiée de sa production originale de 1979. Il livrera enfin en 2019 une dernière version de 182 minutes, Apocalype Now « Final cut » , soit plus de quarante ans après la sortie initiale.
Les recettes rencontreront les espérances du réalisateur et il gagnera finalement son pari. En tout, le film aura généré $140 millions à partir d’un budget total de $30 millions.
Au moyen de dessins et de superbes photographies, ce roman graphique relate les évènements qui ont contribué à la création de Magnum, la célèbre agence internationale de photographie.
Avant Magnum, on ne trouve que des photographes qui tentent de se faire connaître et de gagner un mince pécule face aux géants comme Time et autres médias qui dictent leurs volontés. Ces grandes compagnies recadrent les images originales, ne reconnaissent pas le droit d’auteur et engrangent des profits gigantesques sur le dos des photographes comme Robert Capa, David « Chim » Seymour, Gerda Taro, Henri Cartier-Bresson et George Rodger. C’est en réaction aux abus que ces photographes créeront la nouvelle agence.
Le livre nous conscientise sur les risques énormes pris pour ramener des clichés des différents conflits planétaires. Robert Capa et Gerda Taro y perdront même la vie dans le feu de l’action.
On assiste à l’évolution de Magnum, son internationalisation et le changement de sa vocation première. D’un travail initialement axé sur la couverture des guerres, les photographes se tournent progressivement vers une diversification de leurs activités, autant pour accommoder les besoins spécifiques des médias que des productions cinématographiques.
L’agence les protège désormais des abus. Les photographes réalisent cependant qu’ils doivent demeurer à l’écoute des donneurs de contrats pour survivre financièrement. Ils se réservent tout de même une marge de manœuvre pour la création pure, selon la personnalité de chacun et chacune et l’humeur du jour.
De garder en vie cette agence constituée de professionnels aux ambitions différentes n’est pas une mince tâche. Elle connaît des crises, des schismes, des réinventions toutes essentielles à l’évolution de cette institution de renommée internationale.
Pour ceux qui ignorent tout de Magnum, ce roman graphique propose une première approche très accessible.
Le roman graphique « Jours de sable » se veut un rappel historique du fameux Dust Bowl qui a frappé le centre des États-Unis entre 1930 et 1940. Ce furent dix années de misère qui inspirèrent John Steinbeck pour son œuvre « Les raisins de la colère ».
Les tempêtes de sable et de poussière qui ont envahi une partie de l’Oklahoma, du Kansas, du Texas, du Nouveau-Mexique et du Colorado provenaient d’une multitude de causes combinées, dont la surutilisation du sol par les agriculteurs et des sécheresses à répétition.
En rajoutant les facteurs liés à la crise économique et aux multiples épidémies, on peut comprendre l’exode massif des ménages américains. Ils laissèrent tout derrière eux, incluant plusieurs membres de leur famille décédés des suites de complications respiratoires dues à la poussière. La plupart se dirigèrent vers la côte ouest, mais cet afflux important de la population ne fit qu’augmenter le chômage déjà présent dans cette région.
Le plus étrange, c’est que des décennies plus tard, les changements climatiques vécus aujourd’hui dans ces mêmes états pourraient aider à la répétition du phénomène, sans qu’il couvre nécessairement une période aussi longue.
L’autrice Aimée de Jongh met en scène des personnes fictives, mais le scénario respecte la réalité vécue par la population. Dans son histoire, un jeune photographe quitte New York en 1937 avec le mandat d’aller faire un reportage sur le Dust Bowl. On lui a indiqué les sujets à couvrir, mais il prend conscience assez vite qu’il a affaire à un drame humain aux proportions insoupçonnées.
De demander à des gens qui souffrent et qui ont tout perdu de prendre la pose pour des médias de New York ne s’avère pas aussi simple qu’il l’avait cru. La situation se complique encore davantage lorsqu’il apprend à connaître ces personnes et qu’il peut lui-même expérimenter leurs difficultés.
En plus des cases habilement dessinées qui font le régal du lecteur, ce dernier a accès à de nombreuses photos d’époque glanées dans plusieurs musées, ainsi qu’à du contenu historique officiel. J’ai adoré ce bouquin gagnant de plusieurs prix en Europe.
J’ai finalement complété la dernière étape de la toile de 24 po x 36 po de Blake et Mortimer« La vallée des immortels, tome 1 ». Je croyais terminer le tout avant l’été, mais d’autres obligations plus pressantes ont bouleversé l’horaire prévu.
L’ensemble aura pris à peu près 200 heures et nécessité la création d’environ 130 couleurs pour tenter d’imiter l’album, du moins en partie.
J’ai volontairement éclairci l’œuvre originale, surtout le côté gauche, car je suspends le tableau sur un mur et je trouvais la scène beaucoup trop foncée. Ma version respecte l’idée du clair-obscur tout en ajoutant un peu de lumière. Peindre la toile soi-même permet aussi de jouer davantage avec les différentes nuances des briques du mur de gauche.
Pour la progression des différentes étapes au cours de la dernière année, cliquez sur le lien de la section des romans graphiques et bandes dessinées sur mon blogue. Plusieurs publications s’y trouvent, mais vous y arriverez peu à peu.
Avec « Super canon — Le marchand d’armes qui visait les étoiles », l’auteur Philippe Girard nous offre un roman graphique de très grande qualité, autant par le scénario que par le dessin et les choix de couleurs. Pour cette œuvre, il a bénéficié d’une résidence d’auteur à Liège.
Il a certainement mieux apprécié son expérience en Belgique que sa résidence d’écrivain en Pologne où il avait dû se débrouiller seul, car les hôtes n’avaient pas respecté les présentations et rendez-vous prévus à l’horaire. À l’époque, il s’était servi de sa malchance pour, malgré tout, produire un ouvrage très intéressant portant le nom de « Le Starzec — un mois à Cracovie ».
« Super canon » se base sur une histoire vécue, celle de l’ingénieur canadien Gerald Vincent Bull. Bien sûr, il est impossible de retracer pas à pas la vie de cet homme et l’auteur a donc créé un personnage désigné Docteur Gerry.
À la lecture du bouquin, on réalise le talent incroyable de Gerald Bull, ce scientifique qui a révolutionné la balistique. On témoigne de son destin en dents de scie, tourmenté qu’il était entre ses rêves de jeunesse et ses ambitions sans limites.
Pour boucler ses budgets de recherche et garder sa compagnie à flot, il se transforme progressivement en marchand d’armes. Il se met au service de multiples États, dont le Canada, les États-Unis, Israël, l’Irak, l’Iran, la Chine. Ce faisant, il devient l’objet d’une surveillance constante de la part de plusieurs agences et accumule les ennemis.
On a de toute évidence affaire à un génie qui a à dessein bloqué toute réflexion critique quant à ses armes de destruction. Il rêve d’un canon très puissant pour envoyer des satellites dans l’espace, mais les organismes de renseignement d’autres pays ont des projets très différents pour ses canons.
Il croit naïvement qu’il pourra servir plusieurs maîtres aux intérêts divergents, sans que cela puisse lui causer le moindre problème. Cela frise le raisonnement enfantin, l’aveuglement volontaire dans le but de s’offrir la grande vie.
Ma seule réserve à propos du contenu concerne la première page du récit. Je trouve qu’il existe une ambiguïté à propos de l’Irak et les armes de destruction massive (case 5, page 3). C’était effectivement la crainte initiale soulevée par les États-Unis, mais des suivis répétés des inspecteurs des Nations Unies avaient montré que Saddam Hussein ne possédait pas de pareilles armes. On ne pouvait justifier l’invasion de l’Irak sur une telle base. Cette invasion a tout de même eu lieu, et on n’a pu trouver aucune de ces supposées armes en Irak. J’aurais souhaité que les conclusions de l’ONU soient mentionnées. Cela aurait permis que le scénario du bouquin s’établisse à partir d’une base ne laissant planer aucun doute.
Autrement, chose certaine, vous apprécierez ce roman graphique extrêmement bien conçu.
Le roman graphique « La disparition de Josef Mengele » constitue une très belle surprise pour moi, autant au niveau du scénario que du graphisme. Tous ceux qui s’intéressent aux histoires vécues dévoreront ce bouquin tant il représente une mine d’or d’informations étonnantes sur la vie, ou plutôt la survie, du criminel nazi en Amérique Latine.
Qui lui fournit l’argent dont il a besoin ? Comment assure-t-il sa protection ? Mène-t-il une vie de pacha ? Comment se comporte-t-il à l’étranger ? Sa réflexion sur les races connaît-elle un semblant d’évolution ou demeure-t-elle sclérosée ? Pourquoi l’Argentine favorise-t-elle la venue de ces assassins en fuite ?
Pour la population en général, il y a deux catégories de criminels nationaux-socialistes: la première concerne les noms les plus médiatisés lors du tribunal de Nuremberg. La deuxième implique les criminels nazis qui se sont enfuis à l’étranger, grâce à des soutiens politiques ou familiaux. Josef Mengele fait partie des deux groupes. Il se terre en Amérique latine et sait que plusieurs organisations le recherchent sérieusement, dont le Mossad israélien.
Comment demeure-t-il en liberté sur une si longue période? On comprend vite que le Mossad ne se concentre pas seulement sur les criminels nazis en fuite. Le bouquin nous présente quelques autres priorités pour l’agence, dont une très urgente : l’élimination d’anciens scientifiques allemands qui travaillent en Égypte à créer des armes à déchets radioactifs destinés à détruire Israël. Les services secrets doivent choisir entre Mengele, une menace passée, ou un danger plus immédiat. Les ressources des agences de renseignement étant limitées, ces dernières doivent s’ajuster et parer au plus pressant.
Des nazis se fondent dans le nouveau gouvernement allemand de l’époque.
Il y a cependant une troisième catégorie dont la population n’a que très peu entendu parler et dont on discute également dans le roman graphique : il s’agit de nazis qui ont réintégré le nouveau gouvernement allemand quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En effet, les puissances alliées de l’époque que sont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Union soviétique administrent les zones d’occupation du territoire allemand après la Seconde Guerre mondiale. Mais les tensions entre l’Est et l’Ouest s’accroissent rapidement. On s’accuse mutuellement d’expansionnisme impérialiste ou communiste.
Pour offrir une résistance mieux organisée face à l’Union soviétique, on doit rapidement redonner à l’Allemagne son autonomie. Les anciens nazis possèdent une expérience de gouvernance tout de suite disponible.
Si les Alliés adoptent la position tranchée d’empêcher les nazis d’atteindre des fonctions essentielles dans l’appareil public de la future République de Bonn, on doit alors trouver et former des personnes sans ou avec peu d’expérience pour remplir les tâches plus complexes. Le temps manque autant que la volonté d’aller au fond des choses.
De très nombreux nazis dénichent donc du travail au sein d’organismes du gouvernement. De fil en aiguille, certains de ces anciens nazis recyclés en agents de l’État feront partie des cercles rapprochés qui protégeront les criminels de guerre les plus importants enfuis à l’étranger. Josef Mengele tire profit de ce support en haut lieu.
Mais plusieurs autres Allemands, également haut placés, agiront dans le sens contraire, en tentant de débusquer les plus grands criminels, au risque de leur propre santé et sécurité. Une de ces personnes nous est présentée dans le livre : Fritz Bauer. Cet homme contacte le Mossad avec des informations qui mènent éventuellement à la capture d’Adolf Eichmann. Ce dernier subit son procès en Israël et connaît sa sentence : la pendaison.
Mengele lit les journaux et se doute bien que sa fin ressemblera à celle d’Eichmann. Le roman graphique l’expose comme un animal traqué, qui parle tout seul. Il éloigne par ses propos racistes et passéistes les gens qui pourraient le plus l’aider dans les dernières années de sa vie. Il dépérit lentement et meurt sur une plage du Brésil en 1979. Mais on ne l’apprend officiellement qu’en 1985.
Le livre couvre une période de plusieurs décennies. On y trouve notamment un bref résumé des actions de Mengele comme médecin à Auschwitz. Il n’est pas seul, même s’il demeure le plus connu pour la population. En effet, de très nombreux adjoints scientifiques effectuent des expériences sur les humains, dont un deviendra recteur à l’université de Münster après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Les auteurs mentionnent au passage cette idée d’un quatrième Reich poursuivie par Mengele et ses semblables. Bref, le lecteur ne s’ennuie pas avec ce roman graphique très habilement construit.
Lorsqu’ils entendent le nom de Mohammed Ben Salmane (MBS), la plupart des gens ne réagissent pas, faute de pouvoir l’associer à quoi que ce soit. Si on leur dit que c’est lui qui a fait découper un journaliste en petits morceaux et mis dans des sacs à poubelle dans l’ambassade d’Arabie Saoudite en Turquie, cela résonne davantage.
Le roman graphique « MBS — L’enfant terrible d’Arabie Saoudite » nous présente la vie de ce dirigeant implacable qui tente de tisser des liens avec les grandes puissances. En négociant son appui avec les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde ou la France, il cherche à positionner son pays comme un joueur majeur sur l’échiquier mondial.
Le livre constitue également une première approche très intéressante de l’histoire de l’Arabie Saoudite, spécialement en ce qui a trait à la famille Saoud et son règne. On réalise l’importance des alliances et des manœuvres radicales pour atteindre un jour le pouvoir suprême.
La stabilité intérieure et de la région demeure une priorité de tous les instants pour MBS. Il doit ménager la chèvre et le chou sur plusieurs plans. Même s’il désire moderniser la société et plaire à la jeunesse, il doit en même temps éviter de trop mécontenter les religieux Wahhabites. Ces derniers bénéficient d’un prestige ancestral et possèdent une influence marquée sur la façon dont le peuple se comporte et réfléchit.
Quant à la façon d’imposer ses idées, MBS n’a rien inventé. Comme la plupart des dirigeants des grands pays de ce monde, il a appris à utiliser les médias et ne ménage aucune dépense pour obtenir les résultats escomptés.
Les patrons des organismes de renseignements et de nouvelles connaissent très bien les limites à l’intérieur desquelles ils peuvent opérer. Vous ne verrez pas de photos des conjointes ni d’articles qui permettraient d’éclairer la population sur la vie nocturne du leader et de ses amis.
Ce roman graphique conserve l’intérêt en intercalant des anecdotes surprenantes et des informations pertinentes accessibles à tous. Comme on peut le lire au verso du bouquin « Ce prince ambitieux se trouve être notre allié au Moyen-Orient : pétrole, lutte antiterroriste, paix israélo-arabe, vente d’armes… nous avons besoin de lui. Mais quel sera le prix à payer ? »
Cette bande dessinée publiée en 2023 constitue la troisième de la série Warbirds, aux éditions Soleil.
Le 18 avril 1942, quelques mois après le raid sur Pearl Harbor, seize bombardiers B-25B Mitchell décollent du nouveau porte-avions Hornet pour une attaque-surprise sur cinq villes japonaises. Il s’agit en fait d’une mission connue sous le nom de « Raid Doolittle ».
Ces machines qui ne sont pas conçues pour opérer à partir d’un porte-avions ne pourront rejoindre leurs cibles et revenir à bon port en sécurité, faute de carburant suffisant. Tous les pilotes en sont parfaitement conscients et se portent volontaires.
La flotte de seize appareils, commandée par Jimmy Doolittle, atteint avec succès son objectif visant à semer la confusion chez l’adversaire et montrer que le Japon demeure vulnérable pour des attaques-surprises. Les Japonais se demandent comment des bombardiers américains ont pu atteindre et frapper leur pays ? D’où sont-ils décollés ? Ils savent bien que les B-25 Mitchell ne sont pas conçus pour décoller d’un porte-avions et qu’ils demeurent incapables de s’y poser.
Le génie de l’intervention tient à la combinaison de multiples décisions très risquées qui, ensemble, surprennent l’ennemi. Premièrement, faute de pouvoir faire atterrir les avions sur le Hornet, on les installe avec une grue, en sachant bien que jamais ils ne reviendront sur le navire.
De plus, on entraîne les commandants de bord à décoller sur des distances impensables pour eux, au moyen d’une technique poussée à l’extrême. Le déplacement rapide du vaisseau améliore la composante de vent de face si indispensable pour des manœuvres aussi périlleuses.
Les pilotes doivent faire preuve d’une très grande maîtrise pour respecter la trajectoire de départ sur une plateforme qui bouge de gauche à droite en pleine tempête. On doit absolument éviter les bâtiments sur le côté du Hornet et l’écart disponible entre le bout de l’aile et la tour du navire ne dépasse pas deux mètres. Malgré tous les obstacles, l’ensemble des B-25 réussit à décoller. Ce sera une mission sans retour vers le Japon.
Doolittle pilote le premier B-25 qui décollera du porte-avions. Il ne bénéficie que d’une très petite portion du pont pour s’exécuter, car il y a encore quinze autres bombardiers qui attendent leur tour pour s’envoler. Le deuxième pilote à quitter le pont évite de justesse un amerrissage, alors que l’appareil s’enfonce légèrement et qu’une roue du train d’atterrissage touche à l’eau. Mais l’avion gagne juste assez de vitesse pour demeurer en l’air.
Les bombardiers et équipages connaissent des sorts différents, une fois les pilonnages effectués sur les objectifs japonais. Les auteurs concluent ainsi : « Le raid détruisit 112 bâtiments et fit 87 morts, en environ 6 minutes. […] La destruction de 15 des 16 B-25, incapables de rejoindre un terrain chinois pour s’y poser, fut tout de même à déplorer, le 16e B-25 ayant atterri sans encombre en URSS. À déplorer aussi la mort accidentelle de trois aviateurs (avions 3 et 6) et la capture de 8 autres (avions 6 et 16) par les Japonais, dont 4 ne revinrent jamais au pays, 3 ayant été exécutés comme “criminels de guerre” et le 4e étant mort en captivité. Bien pire encore, les Japonais se vengèrent des Chinois, qui avaient aidé tous les aviateurs survivants, en organisant le massacre d’environ 250 000 civils dans les provinces du Zhejiang et du Jiangxi alors sous leur contrôle. Ce qui laissera des traces… ».
Des tests d’atterrissage et de décollage sur un autre porte-avions, le Forrestal, ont aussi été effectués des décennies plus tard avec un C-130 Hercules. J’ai tenté de reprendre l’expérience en simulation de vol. Le vol se trouve dans la section « vols virtuels exigeants » de mon blogue. Le Forrestal n’étant pas disponible sous forme virtuelle, je me suis servi du porte-avions USS Enterprise.
L’auteur Andrew S. Weiss a travaillé à la Maison-Blanche, au Pentagone, au département d’État, etc. Il signale : « Si à l’époque on m’avait dit qu’un ancien sous-officier du KGB – qui n’avait jamais vraiment brillé – un certain Vladimir Poutine […] – serait promu des arrière-salles du Kremlin directement à la tête du pays, je vous aurais dit d’aller vous faire soigner ». Il ajoute : « Ce que nous croyons savoir de lui est souvent un savant mélange de psychologie de comptoir et d’interprétations erronées de l’histoire millénaire de la Russie ». Sa mise en scène comme un dur à cuire « lui permet de passer pour plus intelligent – et plus compétent – qu’il ne l’est réellement. […] ».
Le roman graphique « Tsar par accident » raconte les hasards de la vie qui ont fait en sorte que Vladimir Poutine s’est retrouvé au pouvoir au moment où sa carrière plutôt sans éclats le destinait à un poste moins élevé. Mais on pourrait dire la même chose de certains dictateurs, présidents, rois et ministres de par le monde au cours des âges auxquels la chance a souri. Eux aussi ont su profiter des occasions favorables pour gravir des échelons trop importants pour leur talent naturel. La nation en paie alors le prix jusqu’au renversement, exil ou décès du personnage.
Il faut quand même donner à Poutine le fait qu’il s’obstine, qu’il s’accroche, malgré les revers et les refus. Pour accéder au KGB, on lui dit de faire des études ou d’entrer dans l’armée. Il s’exécute et reçoit son diplôme.
Il se retrouve donc au KGB en 1975. Mais ce ne sont pas les grandes missions dont il rêvait qui l’attendent, mais du travail de terrain local. Il n’impressionne pas ses supérieurs avec les résultats obtenus. À la suite d’une bagarre dans le métro, on le mute à Dresde en 1985 pour des missions vides de sens, faute de budget. En 1999, on apprend au président Clinton que Poutine sera le prochain président russe. Que s’est-il passé entre 1985 et 1999 pour que soudainement Poutine sorte à ce point de l’obscurité et soit propulsé comme président de la Russie ?
Il faut créditer son éthique de travail, mais avant toute chose sa loyauté envers ses patrons dans cette organisation qui privilégie les liens personnels. Eltsine, le président de l’époque, sentait sa fin venir et proposa un marché à Poutine. L’auteur écrit : « Il ferait de lui le président s’il acceptait de les protéger, lui et sa famille ».
Tout comme Hindenburg croyait pouvoir manipuler Hitler en lui permettant d’accéder aux hautes sphères du gouvernement, Eltsine pensait faire de même avec Poutine. Dans les deux cas, ce fut une erreur coûteuse pour l’Europe et le monde.
Le bouquin passe en revue la montée des oligarques russes, le rapprochement du pouvoir pour les amis de Poutine. Andrew Weiss souligne : « L’un des points que les étrangers ne saisissent pas toujours c’est que la Russie est une société qui fonctionne sur la base des liens personnels, plutôt que dans le cadre d’institutions ou d’un état de droit. »
Dans les années suivant la chute du Mur de Berlin, on constate la mainmise de secteurs importants de l’économie russe par des fonctionnaires et agents du KGB corrompus, de même que par la mafia. Comme l’écrit l’auteur : « Vladimir Koumarine, patron tout-puissant du gang notoire Tambov, faisait la loi dans le pays ».
Le support de Vladimir Poutine envers les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 le rapproche de George W. Bush et de son père George H. W. Bush avec lesquels il va même à la pêche à Kennebunkport. Il espérait ainsi relancer l’économie moribonde russe et gagner en liberté pour contrôler les médias russes.
Le plus étonnant pour moi demeure le fait que Poutine approuva durant cette période l’implantation hautement controversée de bases américaines et de l’OTAN à travers l’ex-Union soviétique (Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizistan). Par ce geste, il recherchait une stabilisation avec l’Ouest. Les causes des attentats du 11 septembre 2001 étant encore discutées aujourd’hui à travers le monde, spécialement dans les cercles les plus informés, Poutine a dû réfléchir plus tard à la pertinence et aux conséquences de sa décision d’autoriser de nouvelles bases américaines et de l’OTAN près de la Russie.
Le président russe s’aperçoit rapidement qu’il ne pèse pas lourd dans la balance diplomatique face à un superpouvoir comme les États-Unis. On ne le reconnaît pas en tant que joueur sur lequel il faut compter. Dans l’optique d’une meilleure compréhension entre l’Occident et la Russie, l’auteur souligne l’importance de mieux appréhender les griefs des deux camps. Il signale que cela manque cruellement.
D’autant plus que le Kremlin a la certitude que « les revendications de changement politique sont toujours le fait de conspirations soutenues par les Occidentaux ». À force de se surveiller les unes les autres et tenter d’influer sur la gestion intérieure d’autres pays, toutes les grandes nations projettent leurs intentions et ne croient plus qu’une manifestation peut provenir de la base à partir d’un désir sérieux d’amélioration de certaines politiques détestables.
L’auteur effectue un retour sur les problèmes entourant la sécurité territoriale de la Russie à travers les époques, envahie tour à tour par les Mongols, Napoléon et Hitler : « [La Russie] se repose traditionnellement sur les territoires annexés pour faire tampon entre la mère patrie et toute menace extérieure ». Il traite également du conflit tchétchène, de la lutte contre le terrorisme, de l’ingérence politique dans les États voisins et de l’implication russe dans les élections américaines de 2016.
Andrew S. Weiss couvre large et d’autres thèmes trouvent leur place dans le bouquin : l’histoire de la Guerre froide, Trump, Snowden, Wikileaks, les JO de Sotchi et le travail de Maria Butina, une agente russe qui réussit à pénétrer les cercles supérieurs du parti républicain américain.
C’est sa croyance dans le déclin irréversible de l’Occident qui a permis à Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine. L’auteur conclut avec une remarque sur l’invasion de ce pays et le bombardement sans discernement des cibles civiles : « Le monde est en train de comprendre que Poutine n’a jamais été le stratégiste qu’il a prétendu être. C’est un improvisateur pris dans son propre piège ».
Je me permets une remarque concernant l’invasion de l’Ukraine. Ce pays doit recevoir des avions de combat des États alliés pour protéger son territoire, ce qui offusque profondément la Russie. J’aimerais tout de même rappeler le fait que lors de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique a accepté énormément d’aide provenant de l’extérieur pour sa défense sur le Front de l’Est. Pour ne citer qu’un seul appareil et pays, l’Union soviétique a obtenu 877 bombardiers B-25 Mitchell des États-Unis.