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Roman graphique et bandes dessinées

Tintin et l’île noire (1 de 2).

Figurines de Tintin et du docteur Müller.
Figurines de Tintin et du docteur Müller.

Dans la photo ci-dessus, vous avez certainement reconnu Tintin habillé en Écossais alors qu’il fait face au méchant docteur Müller. Ces deux personnages font partie de l’album de bandes dessinées Tintin et l’île noire . Les Francophones ont probablement tous lu cet album dans leur jeunesse. Et, même devenus adultes, certains d’entre nous (j’en suis) avons revisité cette œuvre de Hergé pour y rechercher des détails qui nous ont forcément échappé jadis.

Les restrictions et le confinement liés à la pandémie de Covid-19 m’ont permis de consacrer davantage de temps au dessin et à la peinture. J’ai décidé de recopier la couverture de l’album de Tintin « L’île noire » en employant de l’acrylique.  

Le dessin à l’échelle d’un album Tintin se rapproche d’un ratio 2 : 3 et donc le format 24 pouces par 36 pouces faisait parfaitement l’affaire. Ci-dessous, on peut comparer la différence d’échelle entre le livre original et le dessin en devenir.

Dessin au crayon et à l'échelle de Tintin.
Dessin au crayon et à l’échelle de Tintin.

Un crayon à mine 2H pour le dessin sur la toile exigera moins de travail au moment d’effacer les traits les plus évidents et de poser la peinture. Celui que j’ai utilisé (HB) était trop foncé et a demandé plus d’attention que prévu.

Reproduire un album de Tintin nous amène à constater progressivement le génie de Hergé, ce créateur belge. On s’attarde sur ses choix éditoriaux, la composition, les angles. Dessiner les rochers de l’île noire et leurs ombres est, à cet égard, très révélateur.

Dessin 24x36 de Tintin et l'île noire
Dessin 24×36 de Tintin et l’île noire

Dans la photo ci-dessus, Tintin se dirige vers l’Île noire. On le sent anxieux, d’où sa posture légèrement penchée vers l’avant. Il scrute l’île droit devant. Hergé aurait pu le dessiner bien droit sur son bateau, confiant. Il a choisi de le positionner comme étant plutôt observateur d’une situation problématique. De même, Milou nous regarde avec un air inquiet et on doit répéter exactement son expression pour ne pas changer l’atmosphère de la scène.

Il manque encore les oiseaux noirs autour de l’île, dont un semble se diriger tout droit vers Tintin. Vous les verrez dans le prochain article : ils sont nombreux, noirs et ne semblent pas très amicaux.

Le ciel, quant à lui, n’est pas couvert de jolis cumulus mais plutôt de nuages striés et effilés envahissant l’horizon, plusieurs ayant l’apparence pointue d’une dague. Placés de façon oblique à travers la couverture pour plus de dynamisme, Hergé leur a également donné une forme légèrement circulaire.

Le ciel est peint en premier sur le tableau de Tintin.
Le ciel est peint en premier sur le tableau de Tintin.

Au moment de peindre les lettres, on se rend compte des choix éditoriaux de Hergé. Plusieurs de ces particularités exigent notre attention, dont la lettre « O » qui n’est pas ronde mais ovale et penchée sur le côté. Également, Hergé aligne les deux mots du titre à droite et cela a une incidence au moment de calculer les espaces entre les lettres.

En essayant de reproduire exactement une couleur, on doit effectuer plusieurs essais pour découvrir la recette. Souvent, on combine trois ou quatre couleurs afin d’en arriver à un résultat satisfaisant. Et lorsque la tonalité nous satisfait, une surprise nous attend : une fois posée sur la toile, la peinture acrylique change de couleur et devient beaucoup plus foncée en séchant. Tenter de prévoir le résultat après séchage devient nécessaire pour éviter d’avoir à recommencer.

(à suivre…)

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Roman graphique et bandes dessinées Sujets controversés

Mégantic – Un train dans la nuit.

Bande dessinée "Mégantic - Un train dans la nuit".
Bande dessinée «Mégantic – Un train dans la nuit».

Nous avons tous entendu parler du drame vécu par les habitants de Lac-Mégantic en 2013, alors qu’un train pétrolier sans conducteur de la compagnie CP tirant des centaines de wagons de pétrole explosif, déraille en pleine nuit, explose et tue 47 habitants de la ville.

La bande dessinée (ou roman graphique pour certains) « Mégantic – Un train dans la nuit » vient compléter ce que l’on pensait connaître de cette histoire vécue, en exposant plusieurs informations capitales passées sous silence ou survolées trop rapidement par les médias.

L’autrice Anne-Marie Saint-Cerny a travaillé durant des années sur le dossier et, pour bien transmettre le contenu et les émotions en images, s’est assuré le concours de Christian Quesnel. Le résultat est extrêmement intéressant. La formule fonctionne : les dessins sont d’une grande précision, la mise en page laisse de l’espace pour la réflexion, les couleurs sont choisies judicieusement.

Dans l’explosion du train à Lac-Mégantic, il y a plusieurs facteurs en jeu, dont :

  1. Des dirigeants de la compagnie CP qui font des choix catastrophiques.
  2. Un désir de satisfaire, comme toujours, les exigences des actionnaires. On coupe le personnel et on s’auto-évalue quant à la sécurité.
  3. Un seul chauffeur est autorisé pour un train transportant des centaines de citernes d’explosifs.
  4. Les politiciens donnent leur accord avec les nouvelles coupes proposées par la compagnie.
  5. On a affaire à de la pensée magique : en cas de pépin avec le chauffeur, le train s’arrête tout seul grâce à un mécanisme qui, pourtant, est toujours susceptible de faire défaut éventuellement.
  6. Les rails ne sont pas ce qu’il y a de plus récent.
  7. Le transport de la marchandise dangereuse est accordé à une compagnie à la réputation douteuse, la MMA.
  8. Les citernes DOT-111 utilisées sont décriées comme étant trop fragiles pour les matières dangereuses et ciblées dans plus de 25 enquêtes.
  9. Il y a également une entente pour trafiquer les bons de connaissement du pétrole. Au lieu d’indiquer comme il se doit le code PG1 (le plus dangereux, le plus explosif), on décide d’inscrire PG111 (pas dangereux).
  10. La locomotive de tête est usée au maximum.
  11. Le chauffeur signale un problème avec sa vieille locomotive. On lui dit de forcer la note, de continuer sa route.
  12. À Lac-Mégantic, le train chauffe. On dit au chauffeur d’appliquer les freins, de laisser l’engin fonctionner, qu’il va refroidir. On autorise le chauffeur à quitter les lieux et aller se coucher. C’est une des répercussions d’autoriser un seul conducteur.
  13. Dans la nuit, un feu est signalé sur la locomotive de tête, celle qui avait des problèmes. Le moteur est coupé par les pompiers. « En éteignant le moteur, la pression d’air dans les freins pneumatiques est relâchée. Éventuellement, le train commencera à se mettre en mouvement seul et descendre la pente vers Lac-Mégantic ».

Avec un seul chauffeur qui est forcément aller dormir huit heures, il y a maintenant 5 000 000 de litres d’explosifs en marche que personne n’arrêtera.

« Les pompiers croient combattre du pétrole peu inflammable. Ils ignorent que le CP et World Fuel ont falsifié les papiers, camouflant leur pétrole classé le plus explosif et dangereux ». Il y a 47 morts, dont plusieurs suicidés.

Maintenant qu’il y a eu une catastrophe, les personnes impliquées directement ou indirectement se renvoient la balle, comme c’est la coutume lors de tragédies. Le livre mentionne, au niveau politique, les noms de Denis Lebel, Lisa Raitt, John Baird et plus tard Marc Garneau. Au niveau des compagnies, l’autrice mentionne Hunter Harrison, PDG de CP, et Edward Burkhardt, PDG de MMA.

Les changements se produisent, mais pas ceux que l’on pense…

Naomi Klein analyse la « stratégie du choc » conçue par Milton Friedman. Dans l’étape 1, « on profite de ce que la population est encore étourdie : elle ne pourra s’opposer à ce que l’on veut lui imposer ». On change le zonage en vitesse pour inclure l’expropriation de maisons qui sont totalement en dehors de la zone touchée par la catastrophe. Il y en a qui s’intéressent aux terrains…

Dans l’étape 2 de la « stratégie du choc », on « prétexte une décontamination obligatoire pour faire table rase de l’Ancien Monde. Exclure la population du lieu du drame, pour qu’elle ne puisse s’y accrocher, pour qu’il n’y ait plus de retour possible ».

Enfin l’étape 3 : « Face à une population dont le choc a été exacerbé par la destruction de ses repères et habitudes, on peut lancer une reconstruction ou « réinvention » qui sera reçue avec une acceptation résignée ». On a le cas de gens vivant à Fatima, un secteur éloigné et épargné par la catastrophe : le propriétaire doit signer en vitesse son expropriation sinon il perd tout. Quand les proprios sont enfin tassés, c’est une pharmacie Jean Coutu qui vient s’installer sur les terrains libérés.

Côté légal, on arrête les petits joueurs et on limite l’enquête au maximum. Des prises de contrôle sont effectuées et les rendements aux actionnaires démultipliés.

Le livre fait étalage de certaines manœuvres politiques et entrepreneuriales visant à protéger les compagnies ferroviaires. Même à l’aube de 2022, soit huit ans plus tard, les rails passent toujours au centre-ville de Lac-Mégantic.

« MMA-Canada, essentiellement en faillite, n’a rien payé et n’a pas été poursuivie en justice ».

« Rien n’a changé dans les lois ferroviaires au Canada depuis la tragédie : les compagnies s’auto-réglementent, s’auto-surveillent et, en cas d’accident, s’auto-enquêtent. Ainsi, c’est le CP lui-même qui a enquêté sur la mort de trois de ses employés lors d’un accident survenu en février 2019 en Colombie-Britannique. L’enquêteur du CP, empêché d’enquêter, a dénoncé son employeur et réclamé une enquête indépendante de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et du Bureau de la Sécurité des transports du Canada (BST), une enquête immédiatement acceptée par l’enquêteur en chef responsable du cas au BST. Le jour même, cet enquêteur du BST a été démis de ses fonctions. L’enquêteur du CP a conclu sur un no-fault du CP ».

Titre : Mégantic – Un train dans la nuit.

Auteur : Anne-Marie Saint-Cerny

Éditions : Écosociété, 2021

ISBN : 978-2-89719-686-8

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Chroniques de jeunesse

Roman graphique Chroniques de jeunesse, de Guy Delisle
Roman graphique Chroniques de jeunesse, de Guy Delisle

Quand on se promène dans le Vieux-Québec et que l’on fait un détour par les remparts dans la haute-ville, en regardant vers le club nautique, il est impossible de manquer l’énorme tour à étages de l’usine qui fût successivement appelée l’Anglo Canadian Pulp and Paper Mills en 1927, puis la Reed Paper en 1975, puis la Daishowa en 1988, la Stadacona en 2001 et depuis 2004 la White Birch.

L’immense panache de fumée qui s’échappe de cette cheminée attire immédiatement le regard, d’autant plus que les grosses usines ne sont pas très nombreuses à Québec. Avec son nouveau roman graphique « Chroniques de jeunesse », Guy Delisle nous invite à visiter l’intérieur du bâtiment au moyen d’un retour dans le passé, alors qu’il y a travaillé pendant quelques étés comme étudiant.

Le livre est encore une fois très réussi. Le style unique et sans fioritures de Guy Delisle nous amène immédiatement dans un autre monde, celui de l’étudiant qui fait des quarts de nuit dans une usine pour gagner un salaire minimum. On y rencontre les journaliers de l’époque, de même que le père de l’auteur qui a travaillé à l’usine comme dessinateur industriel pendant des décennies. L’auteur ne manque pas de souligner l’absence de communication qui existait alors entre un père et son fils, de même que les échanges assez directs qui existaient entre les journaliers et un étudiant qui faisait son possible pour apprendre sans faire trop d’erreurs.

Page du roman graphique "Chroniques de jeunesse" de Guy Delisle
Page du roman graphique «Chroniques de jeunesse» de Guy Delisle

J’aime lire des histoires vécues et j’ai apprécié le ton très humain et humoristique emprunté par Guy Delisle, que ce soit à travers ses textes ou ses illustrations. En 152 pages, le lecteur rencontre une foule de personnages intéressants et ne peut qu’être surpris par le danger qui est toujours présent dans les opérations quotidiennes à l’intérieur d’une usine telle que la White Birch.

Bref, encore une fois, Guy Delisle a relevé le défi de présenter au lecteur un roman graphique qui nous apprend quelque chose tout en nous divertissant, en s’assurant toujours d’ajouter cette touche d’humanité et d’humour qui a fait le succès de l’auteur.

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Titre : Chroniques de jeunesse

Auteur : Guy Delisle

Éditions : Pow Pow

ISBN : 9782924049914

© 2021

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S’enfuir récit d’un otage.

S'enfuir récit d'un otage
S’enfuir récit d’un otage

Guy Delisle a mis quinze ans à écrire ce roman graphique qui raconte l’histoire de l’enlèvement contre rançon (K&R) en 1997 d’un citoyen français, Christophe André, alors qu’il travaillait pour une ONG médicale dans la région du Caucase.

Fidèle à ses habitudes, cet auteur né à Québec nous offre un récit passionnant et plein d’humanité. Une œuvre qui se penche sur une histoire vécue apporte souvent, lorsqu’elle est bien ficelée, un supplément d’intérêt. C’est ce qui se produit avec le travail de Guy Delisle. S’enfuir est un roman graphique de 428 pages mais il se lit d’un trait!

Comme cela se produit souvent lors d’événements dramatiques, l’être humain se découvre un caractère et des forces insoupçonnées qui lui permettent de faire face à la maltraitance, à la solitude et au stress.

S'enfuir récit d'un otage par Guy Delisle
S’enfuir récit d’un otage par Guy Delisle

Le rythme et la qualité des dessins et du scénario font en sorte qu’il est facile pour le lecteur de plonger dans l’histoire et de s’imaginer à la place du captif. Est-ce que les décisions prises par l’otage auraient également été prises par le lecteur? Aurait-il utilisé d’autres moyens pour faire face à sa captivité?

Je décourage tout de suite le lecteur de tenter de connaître la conclusion de cette prise d’otage avant d’entreprendre la lecture du bouquin parce qu’alors une partie de la tension inhérente au sujet disparaît. Résistez à la tentation, l’effort en vaut la peine!

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Titre : S’enfuir – récit d’un otage .

Auteur : Guy Delisle

Éditions : Dargaud

©2016 et 2017

ISBN : 978-2205-07547-2