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Roman graphique et bandes dessinées

Huit heures à Berlin

Blake et Mortimer: Huit heures à Berlin.
Blake et Mortimer: Huit heures à Berlin.

Ce nouvel album des aventures de Blake et Mortimer constitue une très belle surprise. C’est la première fois que José-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromental et Antoine Aubin travaillent ensemble et le résultat de cette collaboration en a étonné plus d’un.

Depuis plusieurs années, les combinaisons d’auteurs et de dessinateurs se succèdent pour assurer un rythme constant de publication, c’est-à-dire une bande dessinée de Blake et Mortimer par année.

Pour Dargaud-Lombard, il s’agit d’une source de revenus non négligeable, cette série ayant des adeptes à travers le monde depuis plusieurs décennies.

« Huit heures à Berlin » nous plonge dans la guerre froide, au moment où le mur de Berlin vient d’être construit. Les lecteurs plus âgés connaissent les événements entourant la construction du mur, mais pour les plus jeunes il s’agira généralement d’une première approche de cette période.

Tout y est dans cet album : quelques notions d’histoire et de politique, les reconstitutions d’époque quant à l’architecture extérieure, le mobilier, les véhicules, les couleurs judicieusement choisies par Laurence Croix et surtout un scénario suffisamment bien ficelé pour empêcher le lecteur de prévoir le déroulement de l’intrigue.

On se promène entre l’Allemagne et les anciens pays du bloc communiste, on marche dans un tunnel créé à l’époque par l’Occident pour écouter les conversations ayant lieu à Berlin-Est, on pénètre dans un ancien asile supposément abandonné depuis longtemps. De plus, comme toujours dans cette bande dessinée, le mélange entre le réel et la science-fiction ajoute à l’intérêt.

Les auteurs s’efforcent de rajeunir un peu le vieux Mortimer sans toutefois perdre en chemin les inconditionnels. Les femmes obtiennent parfois un rôle positif, parfois négatif, mais elles ne sont plus des potiches tenant un sac à main. Difficile à imaginer qu’on aurait pu voir un jour dans un album de cette série un nu sur un calendrier de garage. Quel scandale ! Ça n’aurait pas passé à l’époque où Edgar P. Jacobs travaillait avec Hergé pour les albums Tintin…

Bref, un beau succès que ce vingt-neuvième album de la série. Il est évident que ce trio de créateurs se verra confier d’autres albums.

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Titre : Les aventures de Blake et Mortimer : Huit heures à Berlin

Auteurs : José-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromental et Antoine Aubin

Édition : Éditions Blake et Mortimer/Studio Jacobs (Dargaud-Lombard s.a.)

© 2022

ISBN : 978-2-8709-7236-6

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Géopolitique

L’Allemagne et le réarmement

Vladimir Poutine affirme qu’il se sent coincé par l’OTAN. Pour améliorer sa position stratégique, il envahit l’Ukraine et rase toutes ses installations d’importance, qu’elles soient civiles ou militaires, en tuant et affamant au passage des milliers de personnes.

Les grandes puissances, et spécialement les dictatures, éprouvent une infinie difficulté à réfléchir de façon originale et intelligente quand elles savent qu’elles ont accès à une solution militaire. Les soldats et les bombes régleront rapidement ce différend qui perdure et on pourra passer à autre chose.

En adoptant un schème de pensée datant du Moyen, Vladimir Poutine a créé un effet rebond. De très nombreux pays voisins vivent maintenant dans la crainte d’une attaque injustifiée. Plutôt que de diminuer la capacité militaire des pays voisins comme il le souhaite, Poutine n’a réussi qu’à renforcer leur volonté de s’unir et se réarmer.

Par exemple, l’Allemagne devait développer, en partenariat avec d’autres pays, le prochain jet de combat à voler dans le ciel européen. Cela prendrait bien sûr des années à concevoir, mais on ne s’en souciait guère. Le pays avait clairement pris la voie du pacifisme depuis des décennies. L’invasion de l’Ukraine a tout changé. Les Allemands accélèrent tellement la cadence qu’ils commandent maintenant des appareils existants déjà sur le marché. Au diable la recherche, les délais et surtout le fait que l’avion proviendra des États-Unis.

Car le gouvernement allemand a retenu le F-35 américain. Ce jet militaire possède la caractéristique non négligeable de pouvoir transporter l’arme nucléaire de façon furtive.

La Russie devra désormais redoubler d’efforts pour surveiller dans le ciel d’Europe cet appareil performant, difficile à détecter et capable d’infliger de lourdes pertes en cas de conflit.

On a également constaté que la majorité des dommages en Ukraine provenaient d’attaques aériennes. Le système de défense antimissile Patriot n’étant efficace que sur une courte distance, les Allemands ont récemment visité Israël pour en connaître davantage sur le Arrow 3. Ce système d’interception défensif permet de détruire des missiles se trouvant à moyenne et longue portée, même ceux volant hors de l’atmosphère terrestre.

Un avion de combat furtif américain capable de transporter l’arme nucléaire et équipant les forces de l’air allemandes ? Un système de défense antimissile de longue portée sur le territoire allemand? Le pays était bien loin de toutes ces discussions au début de 2022. Les actions de Vladimir Poutine en Ukraine ont relancé la course aux armements pour de nombreux pays.

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Roman graphique et bandes dessinées

Tintin et l’île noire (2 de 2)

Peinture acrylique en progression de Tintin et l'île noire.
Peinture acrylique en progression de Tintin et l’île noire.

Bienvenue dans la deuxième et dernière partie de « Tintin et l’île noire ». La photo ci-dessus montre les nuages presque complétés. Les régions de ciel en jaune ont posé un problème, car, une fois sur la toile, la couleur est devenue trop sombre en séchant. J’ai dû trouver une recette de jaune plus pâle que celle de la couverture originale pour qu’en séchant la couleur devienne plus foncée et rejoigne celle de l’album.

Détail du château de Tintin et l'île noire.
Détail du château de Tintin et l’île noire.

La photo ci-dessus montre la progression du château et de l’île, mais cette fois avec les oiseaux en prime. Hergé a dessiné beaucoup d’oiseaux noirs autour du château, ce qui ajoute à l’air sinistre de l’endroit. Mais il a aussi pensé à dessiner deux oiseaux plus gros au premier plan, dont un qui semble se diriger vers Tintin.

Peinture en progression de Tintin et l'île noire.
Peinture en progression de Tintin et l’île noire.

Le tableau avance rapidement. J’y ai déjà travaillé près d’une centaine d’heures pour me rendre à ce stade. La mer a reçu toutes ses touches de peinture noire pour former l’apparence de vagues.

Copie à l'échelle de Tintin et l'île noire.
Copie à l’échelle de Tintin et l’île noire.

La photo ci-dessus donne une idée de la grandeur du tableau. On doit souvent poser le tableau sur une table pour peindre les éléments qui nécessitent une très grande précision.

En arrière-plan sur la photo, on aperçoit à la télévision un journaliste de la chaîne canadienne de nouvelles RDI. Il commente la situation de blocage des rues à Ottawa par des camionneurs durant la pandémie de Covid-19. Les protestataires se battent pour leurs droits, mais ne respectent pas les droits des citoyens d’Ottawa qui, pendant des semaines, se retrouvent prisonniers de leur quartier. Le gouvernement canadien mettra finalement un terme à la situation en invoquant la Loi sur les mesures d’urgence    avec, en prime, une poursuite de 306 millions de dollars intentée par les résidents contre les manifestants.

Tableau 24x36 de Tintin et l'île noire complété.
Tableau 24×36 de Tintin et l’île noire complété.

Ci-dessus se trouve le tableau une fois complété. Vous noterez que les tons de blancs de la barque diffèrent à l’arrière et sur le côté. On retrouve du blanc combiné avec du noir et une touche de jaune pour le côté de la barque, plutôt que le blanc pur requis pour l’arrière. Ce n’est qu’à force d’effectuer des essais de couleurs que je me suis rendu compte de la nécessaire présence du jaune.

Les vagues aplaties par la barque ne sont plus que des bouillons de forme arrondie derrière l’embarcation. Cependant, sur les côtés, l’apparence diffère car le mouvement du bateau casse les vagues : Hergé s’assure donc d’un traitement différent de l’écume. Il a pensé à tout, comme d’habitude !

Il est maintenant temps de passer à un autre projet, possiblement « Blake et Mortimer » ces héros de Edgar P. Jacobs, ce grand maître du style de la ligne claire qui a initialement travaillé avec Hergé.

Glénat vient d’ailleurs de publier un livre sur le sujet, dont le titre est : Edgar P. Jacobs le rêveur d’apocalypes. Si le sujet vous intéresse…

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Roman graphique et bandes dessinées

Tintin et l’île noire (1 de 2).

Figurines de Tintin et du docteur Müller.
Figurines de Tintin et du docteur Müller.

Dans la photo ci-dessus, vous avez certainement reconnu Tintin habillé en Écossais alors qu’il fait face au méchant docteur Müller. Ces deux personnages font partie de l’album de bandes dessinées Tintin et l’île noire . Les Francophones ont probablement tous lu cet album dans leur jeunesse. Et, même devenus adultes, certains d’entre nous (j’en suis) avons revisité cette œuvre de Hergé pour y rechercher des détails qui nous ont forcément échappé jadis.

Les restrictions et le confinement liés à la pandémie de Covid-19 m’ont permis de consacrer davantage de temps au dessin et à la peinture. J’ai décidé de recopier la couverture de l’album de Tintin « L’île noire » en employant de l’acrylique.  

Le dessin à l’échelle d’un album Tintin se rapproche d’un ratio 2 : 3 et donc le format 24 pouces par 36 pouces faisait parfaitement l’affaire. Ci-dessous, on peut comparer la différence d’échelle entre le livre original et le dessin en devenir.

Dessin au crayon et à l'échelle de Tintin.
Dessin au crayon et à l’échelle de Tintin.

Un crayon à mine 2H pour le dessin sur la toile exigera moins de travail au moment d’effacer les traits les plus évidents et de poser la peinture. Celui que j’ai utilisé (HB) était trop foncé et a demandé plus d’attention que prévu.

Reproduire un album de Tintin nous amène à constater progressivement le génie de Hergé, ce créateur belge. On s’attarde sur ses choix éditoriaux, la composition, les angles. Dessiner les rochers de l’île noire et leurs ombres est, à cet égard, très révélateur.

Dessin 24x36 de Tintin et l'île noire
Dessin 24×36 de Tintin et l’île noire

Dans la photo ci-dessus, Tintin se dirige vers l’Île noire. On le sent anxieux, d’où sa posture légèrement penchée vers l’avant. Il scrute l’île droit devant. Hergé aurait pu le dessiner bien droit sur son bateau, confiant. Il a choisi de le positionner comme étant plutôt observateur d’une situation problématique. De même, Milou nous regarde avec un air inquiet et on doit répéter exactement son expression pour ne pas changer l’atmosphère de la scène.

Il manque encore les oiseaux noirs autour de l’île, dont un semble se diriger tout droit vers Tintin. Vous les verrez dans le prochain article : ils sont nombreux, noirs et ne semblent pas très amicaux.

Le ciel, quant à lui, n’est pas couvert de jolis cumulus mais plutôt de nuages striés et effilés envahissant l’horizon, plusieurs ayant l’apparence pointue d’une dague. Placés de façon oblique à travers la couverture pour plus de dynamisme, Hergé leur a également donné une forme légèrement circulaire.

Le ciel est peint en premier sur le tableau de Tintin.
Le ciel est peint en premier sur le tableau de Tintin.

Au moment de peindre les lettres, on se rend compte des choix éditoriaux de Hergé. Plusieurs de ces particularités exigent notre attention, dont la lettre « O » qui n’est pas ronde mais ovale et penchée sur le côté. Également, Hergé aligne les deux mots du titre à droite et cela a une incidence au moment de calculer les espaces entre les lettres.

En essayant de reproduire exactement une couleur, on doit effectuer plusieurs essais pour découvrir la recette. Souvent, on combine trois ou quatre couleurs afin d’en arriver à un résultat satisfaisant. Et lorsque la tonalité nous satisfait, une surprise nous attend : une fois posée sur la toile, la peinture acrylique change de couleur et devient beaucoup plus foncée en séchant. Tenter de prévoir le résultat après séchage devient nécessaire pour éviter d’avoir à recommencer.

(à suivre…)

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Géopolitique

Vladimir Poutine et l’Allemagne.

La guerre contre l’Ukraine décidée par Vladimir Poutine aura finalement eu un effet inespéré : le réveil de l’Allemagne quant à sa sécurité nationale et sa responsabilité envers l’OTAN. Les Allemands ont annoncé qu’ils vont désormais investir massivement pour se doter de forces militaires dignes de ce nom. Le chancelier allemand Olaf Scholz a parlé de dépenses de l’ordre de 100 milliards d’euros au cours des prochaines années.

L’invasion injustifiée de l’Ukraine par la Russie a certainement fait remonter de vieux souvenirs en Allemagne. Avec l’Opération Barbarossa de 1941, les Allemands avaient attaqué par surprise la Russie, malgré une parole donnée, ce qui avait donné lieu à la plus grande bataille de tous les temps. Ce seul conflit avait provoqué la mort de millions de personnes.

Une entente de non-agression entre deux pays ne demeure valide que jusqu’au moment où un des deux partenaires change d’idée. Cela ne vaut pas davantage. Les Allemands l’ont montré à la Russie en 1941 et ils deviennent susceptibles de se faire jouer le même tour des décennies plus tard. Leur désintérêt pour la protection de leur territoire les a placés soudainement dans une position vulnérable.

L’Allemagne se doit d’accroître son autonomie face à une attaque potentielle, spécialement du fait que la plupart des membres de l’OTAN ne prennent pas leur responsabilité au niveau des dépenses militaires. De plus, elle ne peut plus vraiment compter sur l’intervention des États-Unis.  La politique extérieure des Américains et leur vision de l’OTAN risquent désormais de changer aux quatre ans, selon que Trump ou un de ses alliés est élu ou non. Ce n’est rien pour sécuriser l’Europe. Poutine a sonné la fin de la récréation.

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Romans

« Papa » par Régis Jauffret

Le roman "Papa" de Régis Jauffret.
Le roman « Papa » de Régis Jauffret.

Autant Sorj Chalandon, dans son roman « Enfant de salaud », que Régis Jauffret dans « Papa » tentent de saisir la personnalité énigmatique de leur père. Celui de Sorj Chalandon aurait été résistant et traître à la fois, alors que le père de Régis Jauffret aurait été filmé en sortant d’une séance d’interrogatoire de la Gestapo, la terreur sur le visage. Où se situe la vérité ? Qui sont vraiment ces pères ?

Dans un texte précédent, j’ai présenté le livre « Enfant de salaud ». Au tour maintenant du roman « Papa » de Régis Jauffret.

Comme on peut s’y attendre avec Régis Jauffret, le style d’écriture diffère radicalement. L’auteur est lauréat du prix Goncourt de la nouvelle (2018) pour son roman « Microfictions 2018 ». Son sens de la synthèse, de l’humour noir et même du cynisme fait de ce retour dans le passé du père une aventure littéraire autant qu’historique. Le lecteur comprend rapidement que l’auteur se fait plaisir en présentant ses découvertes. Il ajoute même un peu de fiction au besoin.

Fidèle à mon habitude quand il s’agit de Régis Jauffret, je présenterai son livre à travers des citations choisies. En effet, l’intérêt du livre réside autant dans le contenu que dans la façon dont Régis s’exprime pour éclairer son propos. Voici donc quelques citations susceptibles de donner le ton du bouquin :

« Elle me raccompagne ravie, limite hilare, en me donnant de légères tapes dans le dos ».

« — J’ai communié.

Quelqu’un m’a fait remarquer en sortant que je n’étais pas croyant.

   — Justement, une hostie ou des chips.

      J’ai souri mais après ce blasphème je n’en menais pas large. Quand on a été éduqué religieusement on conserve toujours dans un repli de son cerveau la terreur de Dieu ».  

« Il venait d’avoir un AVC qui loin de le handicaper semblait l’avoir ragaillardi ».

« Elle me raconta que l’humidité avait fait sauter le bois de placage [du cercueil]. Ne restait plus qu’une caisse de planches noircies. Je n’étais pas d’humeur assez badine pour appeler la dame des pompes funèbres afin de faire jouer la garantie éternelle dont jouit sans doute ce genre de produits métaphysiques ».

« Un de ces souvenirs de bonheur qui vous donnent raison de n’être jamais entré chez un armurier pour acheter de quoi vous tirer une balle dans la tête ».

« […] Alfred avait pour consigne de serrer les dents pendant le coït sans émettre un soupir tandis qu’elle demeurerait aussi stoïque que lorsque sans anesthésie le dentiste taquinait une de ses molaires du bout de sa fraise ».

 « Par l’entremise du vaste pavillon en cuivre d’un gramophone perché sur un piédestal dont on avait volé la statue, Édith Piaf gueulait “J’ai dansé avec l’amour” tandis que du sous-sol montaient les cris des martyrs ».

« Écrire sur soi-même est une forme d’incontinence ».

« On est condescendant avec les sourds sans statut ni talent mais on préfère les fréquenter parcimonieusement. Quand on ne les a pas aperçus assez tôt pour s’être planqué derrière un engin de chantier ou un homme volumineux, on les salue de loin en filant ».

« Si je n’avais pas vu ces images, tu serais resté dans les égouts de ma mémoire ».

« Si je dure aussi longtemps que Madeleine, je serai un centenaire qui ruminera inopinément son père dans son cerveau desséché comme un raisin de Corinthe tandis qu’un aide-soignant bâti comme un colosse balancera jambes en l’air mon corps décharné pour changer ma couche ».

« Minable descendante de protozoaires devenus difficultueusement êtres multicellulaires pourvus d’encéphale, l’humanité n’a aucun motif de pavoiser ».

« C’est héroïque en temps de guerre d’assumer le rôle de bourreau quitte à se tromper parfois puisque dans les situations extrêmes le doute ne profite jamais à l’accusé ».

« Il discourait du matin au soir. La moindre personne connue de lui rencontrée dans la rue se voyait douchée de langage comme un imprudent sur une jetée un jour de tempête par une déferlante. À son bureau, tout le monde en était trempé. Si bien qu’on le fuyait mais il parvenait toujours à trouver quelqu’un qui par gentillesse se laissait inonder ».

« Je ne l’ai jamais entendu non plus parler de sa journée. Il avait fait beau, il avait neigé, il avait plu, un chamois avait traversé la piste en queue-de-pie, un homme touché par l’orage s’était enflammé, une dame était tombée dans une crevasse en chantant une cantate de Jean-Sébastien Bach ».

« Pendant ce temps, Jean-Jacques et Honoré entreprirent les sœurs rouges comme de la viande bleue de se retrouver en présence de deux garçons dont les pantalons à la mode du temps moulaient l’appareil génital dont elles redoutaient par avance la piqûre ».

Bonne lecture !

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Titre : Papa

Auteur : Régis Jauffret

Éditions : Roman/Seuil, 2020.

ISBN : 978-2-02-145035-4

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Guerre Romans

Enfant de salaud.

Roman "Enfand de salaud" de Sorj Chalandon
Roman « Enfand de salaud » de Sorj Chalandon

Sorj Chalandon est journaliste et a travaillé des décennies durant aux journaux français Libération et Canard enchaîné. Au cours de sa carrière, il a reçu de nombreux prix : Albert Londres (1988), Médicis (2006), Grand Prix de l’Académie française (2011), Goncourt des Lycéens (2013) et son plus récent prix, le Goncourt 2021 des lecteurs de 20 Minutes.  

« Enfant de salaud » est l’histoire vécue de l’auteur qui tente de faire la lumière sur le passé extrêmement nébuleux de son père durant la Seconde Guerre mondiale, au moment où les Allemands occupent la France.

Ayant eu accès aux archives officielles, il découvre progressivement que son père a traversé la guerre en s’engageant dans cinq armées qu’il a toutes désertées. Il a servi l’ennemi de toutes les façons, mais s’est toujours ménagé des portes de sortie en s’assurant que les quelques gestes qu’il posait pour la France soient répertoriés quelque part, en cas d’enquête lorsque la guerre serait terminée.

Le chef de la Sûreté nationale de Lille qui a interrogé le père au lendemain de la guerre dit de lui : « Cet individu est un menteur, doué d’une imagination étonnante. Il doit être considéré comme très dangereux et traité comme tel. »

Entre les réflexions et les découvertes du fils sur le passé et la psychologie du père, le lecteur assiste en parallèle au procès de Klaus Barbie, ce psychopathe et grand criminel de guerre nazi qui est mort en prison en France en 1991. Des passages du livre glacent le sang, même si on sait un peu à quoi s’attendre quand il est question de nazis, de SS et des membres de la Gestapo.

Lorsque le survivant d’un camp de concentration, Isaac Lathermann,  s’avance à la barre lors du procès de Barbie, il annonce que « [dans les camps], à hauteur d’homme, il n’y avait plus d’écorce aux arbres, tout avait été mangé. Plus d’herbe non plus. Mangée, elle aussi ».

Heureusement, le lecteur ne navigue pas en territoire aussi sombre tout au long du roman. Il découvre la résistante incroyable qu’est Lise Lesèvre qui, même torturée pendant des jours par Klaus Barbie, ne lâche pas une seule information. Un exemple phénoménal de courage, de détermination et de patriotisme.

« Enfant de salaud » est le voyage intérieur de l’auteur sur plusieurs décennies. Le fait que le livre porte sur une histoire vécue rend la lecture encore plus captivante.

Bonne lecture.

Titre : Enfant de salaud

Auteur : Sorj Chalandon

Éditions : Grasset et Fasquelle, 2021.

ISBN : 978-2-246-82815-0

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Romans

Une vie entière.

Livre "Une vie entière" de Robert Seethaler
Livre « Une vie entière » de Robert Seethaler

En fouillant à gauche et à droite dans les différentes librairies de Québec, je fais souvent de très belles découvertes, comme ce livre de Robert Seethaler, publié initialement en allemand sous le titre de ,,Ein ganzes Leben’’ et qui en français se traduit par « Une vie entière ».

C’est un petit livre de seulement 145 pages mais dont l’écriture tellement limpide a le pouvoir de propulser immédiatement le lecteur au début des années 1900, au beau milieu des montagnes autrichiennes. C’est la période où commence la construction des premiers téléphériques qui vont changer toute la dynamique de la société en permettant graduellement aux touristes de plus en plus nombreux d’occuper un territoire autrefois très peu achalandé.

L’auteur raconte la vie d’Andreas Egger, un homme simple et attachant dont la force de caractère lui permet de traverser n’importe quelle épreuve. Il ne se distingue pas par son intelligence, qui est somme toute assez ordinaire, mais plutôt par sa capacité de survie et son désir de toujours aller de l’avant. C’est un être que l’on aime et à qui l’on ne souhaite que du bien.

Voici ce que dit l’éditeur au sujet de Robert Seethaler : « Une vie entière, élu livre de l’année (2014) par les libraires d’outre-Rhin, confirme ainsi la profondeur de son talent d’écrivain, capable de mener avec une grande simplicité son lecteur au plus près de ses émotions ».

En cette période de pandémie, il s’agit d’une lecture très rafraîchissante pour tous!

Titre : Une vie entière

Auteur : Robert Seethaler

Éditions : Gallimard (Folio 6409)

© Sabine Wespieser éditeur, 2015, pour la traduction française.

ISBN 978-2-07-079343-3

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Romans Sujets controversés

La ballade de Rikers Island.

La ballade de Rikers Island par Régis Jauffret.
La ballade de Rikers Island par Régis Jauffret.

Pour avoir écrit ce livre sur l’affaire du Sofitel impliquant Dominique Strauss-Kahn (qui n’est jamais nommé explicitement dans le roman), Régis Jauffret et la maison d’édition du Seuil ont été poursuivis en diffamation et condamnés par un tribunal français. Ils sont allés en appel et ont de nouveau perdu. La Ballade de Rikers Island n’en reste pas moins très bien écrit, dans un style qui est assez unique. Ceci dit, il me semble que le livre aurait pu être abrégé sans nuire au propos.

Pour ceux qui l’ignoreraient, Rikers Island est une prison aux États-Unis où Dominique Strauss-Kahn (DSK) a fait un séjour immédiatement après une histoire d’agression sexuelle qui aurait impliqué le défendeur et une préposée aux chambres, Nafissatou Diallo, de l’hôtel Sofitel de New York.

Voici quelques citations qui donnent une idée du style littéraire de l’auteur, un style où l’humour, parfois assez noir, est souvent présent. Pour ce qui est des extraits les plus durs en ligne avec le propos immédiat du livre, je me suis gardé une petite gêne dans ma sélection, mais vous pouvez toujours trouver le livre en format poche dans de multiples librairies. Voici cependant quelques extraits (sauf le dernier) qui ne devraient pas trop froisser les âmes sensibles.

« [Dans la cellule] … un petit lavabo où une main ne pourrait pas prendre un bain » p.79

« [Sur la table] … un peigne minuscule bon à coiffer le dernier toupet d’un chauve » p.79

« Elle s’en va. J’ouvre l’ordinateur, j’écris une minuscule histoire de Parisien perdu dans le métro. Dimitri frappe à la porte tandis que le malheureux tombe du quai ». p.168

« Il faisait confiance à l’Amérique, une démocratie où le doute profite toujours à l’accusé à condition de n’avoir pas un profil d’islamiste bon à être torturé à Guantanamo ». p.183

« Après avoir braillé avec les hyènes, nos journalistes vont rentrer dans le rang. Quand ils seront revenus à de meilleurs sentiments, nous les inviterons à déjeuner. On profitera de leur bouche ouverte pour leur enfoncer notre part de vérité à grosses bouchées ». p.262

« Une cohorte de prisonniers tirée au cordeau. Il se trouvait toujours un toxicomane rendu fou par le manque prêt à vous égorger pour canaliser son trop-plein d’énergie ». p.313

Au sujet des journalistes : « Un bloc indifférent aux folliculaires agglutinés tout autour, porcelets charmeurs toujours réclamant confidences, impressions, prêts à leur servir leurs parents débités en amuse-gueule pour une bribe d’interview ». p.318

« Un blanc-bec à qui son costume noir donnait un air de singe habillé a bredouillé une muflerie ». p. 324

« Il ne se sentait aucune affinité avec la population de ce siècle qui acceptait le collier, le harnais, les coups de cravache de la société contre la promesse de pouvoir lécher ses plaies dans le camp de vacances des retraités. La retraite, cette religion, cet opium des besogneux, cet au-delà pour les damnés de la Terre du monde du travail, incapables de réclamer le bonheur du jour ». p.337

« L’avenir est une œuvre d’art, chaque journée une autre toile blanche. La jubilation de ne rien savoir du lendemain. Les petits bonheurs embusqués dans les replis des années en attente dans les coulisses ». p.392

« Elle le sème en traversant un groupe de mormons venus du Wyoming serrés les uns contre les autres par peur du malin qui hante les sous-sols des métropoles fornicatrices ». p.398

« Il s’en irait, pauvre hère trouvant refuge auprès d’une bergère dont il mangerait la soupe, tarauderait les creux, maltraiterait les bosses, attendant la nuit pour courir à l’étable profaner le troupeau afin de se donner le frisson de l’adultère ». p.90

Pour obtenir davantage d’informations sur le dossier Jauffret/Strauss-Kahn, les documents suivants sont utiles :

Le Devoir

Ici.fr

bfmtv.com

Voici le lien pour d’autres romans et d’autres sujets controversés sur mon site.

Titre : La ballade de Rikers Island

Auteur : Régis Jauffret

Éditions : Seuil

©Régis Jauffret/Éditions du Seuil 2014

ISBN : 978-2-02-109759-7 (pour le grand format). Mais je sais que ce format est difficile à obtenir aujourd’hui. Cependant, le format poche est toujours en vente dans les librairies.

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Pionniers de l'aviation

Hans Baur: J’étais le pilote de Hitler.

Couverture du livre Hans Baur: J'étais le pilote de Hitler
Couverture du livre Hans Baur: J’étais le pilote de Hitler

Le livre « J’étais le pilote de Hitler » qui relate une histoire vécue a initialement été publié en 1957. L’édition 2020 est présentée et annotée par Claude Quétel, et cela fait toute la différence. Cette fois, le lecteur comprend mieux qui est vraiment Hans Baur, un des fondateurs de la Lufthansa en 1926 et qui fût aussi le pilote de Hitler, mais également un officier nazi SS haut-gradé et un proche du Führer.

Les informations offertes par Hans Baur sont d’un grand intérêt. Il ne faut pas oublier que nous avons affaire, au début de la carrière de Hans Baur, à un pionnier de l’aviation. À l’époque, les avions ne contiennent pratiquement aucun instrument de navigation aérienne pouvant aider un pilote volant dans des conditions météorologiques difficiles. Les Alpes représentent un défi par beau temps, alors on peut s’imaginer que par mauvais temps et dans un avion peu équipé, le pilotage se complique grandement. Si en plus on ajoute les conditions verglaçantes, des pannes de moteur, des cabines qui ne sont pas chauffées et qui ne sont pas équipées d’appareils fournissant de l’oxygène supplémentaire aux pilotes, il y a alors des vols qui relèvent plus de l’exploit qu’autre chose. Cet aspect du livre est donc très intéressant.

J’ai également apprécié toutes les anecdotes de Hans Baur concernant les exigences de Hitler à son égard. Être pilote pour le Führer n’était pas une mince tâche. Hitler avait de très grandes attentes face à la performance et à la ponctualité de son pilote personnel, et ce dernier a certainement démontré des capacités hors du commun pour satisfaire son supérieur.

Là où il faut être circonspect, c’est que nous avons tout de même affaire à un pilote SS, qui était membre de l’organisation nazie avant qu’Hitler ne prenne le pouvoir. Il faut s’interroger sur ses valeurs personnelles et sur ce qui est omis dans le livre. Les massacres en règle perpétrés lors de l’opération Barbarossa en Russie, ou l’élimination de six millions de Juifs ne sont pas abordés, car le pilote SS soutient qu’il ne s’est jamais occupé de politique. Il transportait les passagers sans se poser de questions, mais il avait choisi le nazisme comme mouvement politique. Quand on est quotidiennement invité à la table d’Hitler et que l’on fait donc partie de son cercle rapproché, il est clair que le nazi que représente Hans Baur s’exprime sur autre chose que le pilotage.

L’expérience vécue dans les prisons russes est décrite comme inhumaine par Hans Baur, qui a dû y séjourner dix ans. Il parle du transport de prisonniers allemands dans des wagons à bestiaux, de très mauvaise nourriture, etc. Mais je n’ai pu m’empêcher de me demander sur quelle planète il vivait pour dénoncer sa condition de prisonnier tout en passant sous silence le traitement réservé par les Allemands aux Russes et à tous les gens qui ont été déportés et massacrés. Les Einsatzgruppen  n’étaient pas des enfants de chœur. D’ailleurs, Claude Quétel relève aussi cette remarque de Hans Baur, en ajoutant que « quoique très dures, les conditions de vie et de travail dans les camps soviétiques n’ont rien à voir – comme on le lit parfois – avec celles des camps de concentration allemands » (p.381).

Il y a aussi quelques imprécisions et parfois des faussetés que Claude Quétel n’hésite pas à relever. Il s’agit parfois d’erreurs anodines résultant d’une mémoire défaillante. Par contre, d’autres faits d’importance sont carrément inexacts. Comme dans ce passage où Baur dit que Hitler a décidé d’attaquer la Russie quatre semaines avant le début de la guerre, ce qui est faux. La conquête de l’Est et d’un espace vital est spécifiquement énoncée dans Mein Kampf et on parle d’un livre écrit lorsque Hitler est en prison en 1923 à la suite d’un coup d’État manqué.

Conclusion.

Le livre « J’étais le pilote de Hitler » est un livre très intéressant, un de plus sur l’Allemagne nazie. L’histoire de l’Allemagne est fascinante et complexe, depuis l’époque du Saint-Empire romain jusqu’à aujourd’hui. Mais il semble que ce sera toujours les douze années de la période nazie qui obtiendront le plus de succès en librairie. À tort ou à raison.

Bonne lecture!

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Titre : J’étais le pilote de Hitler.

Auteur : Hans Baur

Éditions : Perrin

© 2020

ISBN : 978-2-262-08168-3