Une biographie raconte généralement l’histoire d’une personne qui a marqué son environnement et la société. Pourquoi alors prendre le temps de rédiger un bouquin sur l’existence d’un individu parfaitement inconnu, qui passe à travers la vie comme un fantôme ?
Paul Reichstein, « l’homme en mouvement », est l’énigmatique grand-oncle de l’auteur, le journaliste Patrick Straumann. Ce dernier tente de mieux connaître ce « mouton noir » de la famille en effectuant des recherches approfondies.
Pourquoi « mouton noir » ? C’est que Paul est né dans une famille talentueuse, dont un des frères, Tadeus (surnommé Tadjik) a même obtenu le prix Nobel en collaboration avec deux Américains pour avoir réussi à isoler la cortisone. Ses autres frères ont tous décroché un diplôme qui les a lancés dans la vie. Sauf Paul, qui s’intéresse à tout, mais se fatigue rapidement d’un sujet ou d’un endroit.
Paul naît à Kiev en 1905 et passe sa jeunesse en Suisse, plus précisément Zurich. On le retrouve un peu partout, mais de façon éphémère. En Russie, il assiste au retour des survivants du brise-glace Tcheliouskine. Il travaille dans une usine de tracteurs durant l’ère stalinienne. Il devient instructeur alpiniste et gravit de très hautes montagnes pour la gloire du régime. (À ce titre, voir également le volume « Les alpinistes de Staline » sur mon blogue).
Il s’engage également dans la marine américaine comme militaire. Il réussit à se faire expulser deux fois de la Suisse, fait un passage en prison, sillonne l’océan Pacifique en trimant pour la marine marchande, vend des terrains et des cabanes à Anchorage en Alaska et travaille plusieurs mois dans une mine au Chili, avant de faire un détour par l’Australie.
Il est hospitalisé à de nombreux endroits comme Rochester, Oakland, Yokohama suite à des accidents. On le suit aussi à San Francisco, Baltimore, Palm Springs, sur les bords de la Volga, Pusan, Séoul, en Chine et aux Philippines.
Il meurt en 1995 et, ayant survécu à tous ses frères, il n’y a plus qu’une dizaine de personnes à son enterrement qui ne savent trop quoi dire sur cet insaisissable « homme en mouvement ».
En 140 pages, l’auteur réussit à brosser un portrait généreux et sans jugement de ce grand-oncle. Les ennuis et errements de Paul rendent cet homme très attachant.
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Le peintre allemand Otto Mueller crée la toile « Deux filles nues » en 1919. À travers cette œuvre qui survit à tous les dangers, nous suivons le destin d’une Allemagne en évolution et les différents acquéreurs du tableau au cours des décennies.
L’auteur use de beaucoup d’imagination pour nous présenter la vie du couple Mueller en début de bouquin. Le peintre décède en 1930 et le tableau change une première fois de main trois ans plus tard. À cette époque, l’inflation fait rage en Allemagne et l’insatisfaction de la population mène à la nomination d’Adolf Hitler à la chancellerie par Hindenburg.
Entre 1933 et 1946, le tableau survit miraculeusement à la censure et la destruction des œuvres qualifiées de dégénérées par les nazis. Des milliers d’œuvres d’art moderne allemand sont incendiées par les autorités.
Les pogroms se multiplient à travers l’Allemagne. On saisit les tableaux de propriété juive. Lorsque la Gestapo impose la mise aux enchères d’une partie de la collection d’Ismar Littmann, (lien allemand, lien anglais) elle sélectionne 64 œuvres dont 53 sont immédiatement brûlées.
Durant la même période, une exposition itinérante intitulée « Entartete Kunst » (« Art dégénéré ») est commandée par Joseph Goebbels et 730 œuvres voyagent entre Munich et d’autres grandes villes de l’Allemagne. Situation ironique, cet art dégénéré attire en fin de compte trois fois plus de visiteurs que pour le savoir-faire allemand considéré acceptable et dont les œuvres sont présentées dans les bâtiments voisins.
Jusqu’en 1946, la peinture « Deux filles nues » change à maintes reprises de possesseur et continue de survivre aux bombardements, à la destruction organisée et aux vols d’œuvres d’art opérés par les nazis.
Après la guerre, on modifie le nom du tableau. Il passe de Zwei Mädchenakte (« Deux filles nues ») à Zwei weibliche Halbakte (« Deux demi-nus féminins ») et effectue le tour de l’Allemagne et du monde. En 1976, il est exposé au musée Ludwig de Cologne. Les anciens propriétaires Ruth et Chaim Haller sont finalement réunifiés avec leur tableau en 1999. Ruth est la fille d’Ismar Littmann dont il est question en début d’article.
Le musée restitue officiellement l’œuvre aux propriétaires, mais, dans la même année, fait une offre de rachat qui est acceptée par les Haller. On retrouve aujourd’hui le tableau exposé dans la section expressionniste du musée Ludwig de Cologne.
À travers sa recherche considérable et la publication de son roman graphique, l’auteur souligne l’importance de demeurer alerte face aux censures politiques et culturelles qui ressurgissent régulièrement.
À la fin du livre se trouve la chronologie des événements de même que les biographies des acteurs principaux. L’auteur cherche toutes les manières pour ne pas nous montrer de quoi à l’air le tableau « Deux filles nues » jusqu’à ce que l’on soit rendu pratiquement à la fin du récit ! Une façon très habile de conserver notre curiosité.
Ce roman graphique relate des événements entourant la montée au pouvoir de Vladimir Poutine et l’établissement de sa fortune personnelle. Cette dernière se bâtit à travers l’exfiltration de sommes colossales appartenant au peuple russe et qui sont redirigées vers des sociétés-écrans et des paradis fiscaux.
Étant donné que le récit s’étale sur plusieurs décennies, le lecteur se familiarise avec une multitude de noms de compagnies et de personnages clés dans le domaine politique et économique.
On y trouve également, comme pour d’autres grandes puissances, des règlements de compte politique et des magouilles économiques.
La structure de fonctionnement du pouvoir en Russie diverge du système politique occidental. Les relations tissées avec le président y jouent un rôle beaucoup plus important qu’à l’Ouest. Les avantages sont accordés en échange d’une fidélité indéfectible. On mentionne entre autres les liens entre Silvio Berlusconi et Poutine.
L’échelle des sorties d’argent de la Russie à des fins discrètes surprend. Pour ne citer qu’un exemple, l’auteur note la création de l’opération Luch (une fuite de capitaux estimée à 50 milliards de dollars) en 1990 pour parer aux changements provoqués par Gorbatchev. Il s’agissait de piger dans les fonds secrets du KGB à l’étranger pour enrichir une caisse pouvant servir à assurer la survie du parti et d’autres intérêts particuliers.
« Depuis que Poutine est arrivé au pouvoir, le montant global d’argent sale sorti de Russie et blanchi par les banques de l’Ouest a été au minimum de 1 000 000 000 $ (mille milliards de dollars) ! ».
L’Occident n’a donc pas les mains propres face à ce qui se passe en Russie. Quand il y a de l’argent rapide à faire et que des actionnaires s’attendent à un bilan déraisonnable, la vertu s’efface devant le sens pratique. Parmi les complicités européennes : Danske Bank, SEB et Swedbank, Crédit Suisse, Banca Intesa, Deutsche Bank Russia, Appleby-Estera (cabinet de services offshore), Chypre (cabinets de services financiers), Price Waterhouse Coopers.
Le lecteur constate également l’accumulation des suicides de responsables de tout acabit au cours des années. Par exemple, l’auteur note les suicides déguisés de Nikolai Kruchina, Georgy Pavlov et Dimitri Lissovolik. Ces hommes à l’équilibre précaire avaient tous la fâcheuse habitude de prendre l’air sur un balcon trop élevé pour leur capacité. Le KGB doutait de la fiabilité de ces hommes qui géraient les fonds secrets du parti à l’Ouest.
L’empoisonnement (par le poison Novitchok) est aussi une méthode privilégiée pour aplanir les différends politiques. Mais cet état de fait est déjà connu des Occidentaux, car la plupart des opérations manquées ou réussies font l’objet de nombreux articles dans les médias. Par exemple, cela a été le cas pour Navalny et Skripal. Pour Iouchtchenko, le gagnant des élections présidentielles en Ukraine, un autre poison fût utilisé, mais la source n’a pu être confirmée.
Sous Poutine, les oligarques peuvent conserver les fortunes acquises à travers les nombreuses privatisations, mais il n’est plus question pour eux de s’immiscer dans les affaires politiques. Le bouquin s’attarde aussi sur la détérioration du rapport entre Poutine et des oligarques comme Berezovski (retrouvé pendu dans sa salle de bain à Londres) et Khodorkovski.
Si un dévoué collaborateur change de camp, il peut, dans le meilleur des cas, survivre en quittant le pays et en demeurant apolitique. Autrement, son avion peut exploser en vol, comme pour Prigojine.
Le bouquin montre comment Ivan Rybkyn, un opposant politique de Poutine en 2004, s’est désisté suite à une promenade improvisée en fourgonnette. Il semblerait qu’il ait été saisi et rentré de force dans le véhicule. Cette expérience et les discussions probables qui ont eu lieu durant la balade ont suffi à convaincre le candidat qu’il n’avait pas vraiment le feu sacré pour la politique.
Dans les années 90, le clan mafieux Tambov protège Poutine et Sobchak et participe à la gestion du port de Saint-Pétersbourg. Cela n’empêche pas un « accident » de la route impliquant les filles et la conjointe de Vladimir Poutine. Ceux qui sont insatisfaits de leur part du gâteau font monter les enchères et Poutine doit réunir les familles pour qu’elles s’arrangent entre elles. Pragmatique, il envoie tout de même ses filles en Allemagne pour leur sécurité. Le gardien légal est Matthias Warnig, un ancien de la STASI.
L’auteur signale que de l’argent russe a servi à influer sur le résultat du Brexit (51,89 %), ceci dans le but de fragiliser l’Europe. Ensuite, comme nous le savons déjà, la Russie a influencé le résultat du vote dans les états clés des États-Unis pour aider à l’élection de Donald Trump.
Le roman graphique se termine par un dossier documentaire, avec photos, dessins et références pour ceux qui désirent obtenir davantage d’informations.
Et la fortune de Poutine dans tout ça ? Selon les recherches effectuées par les auteurs, elle s’établirait entre 150 et 250 milliards d’euros.
Le roman graphique « Carcajou » fait partie des très bons achats que j’ai faits cette année. Les auteurs ont créé une œuvre quasiment parfaite, tant côté scénario que graphisme et couleurs.
Les vastes forêts de l’Alberta, grande province de l’ouest du Canada, servent de cadre au déroulement de cette fable. Le lecteur fait la connaissance de nombreux personnages hauts en couleur qui tentent de tirer leur épingle du jeu dans un environnement sauvage. Tous ne possèdent pas les qualités requises pour faire honneur à leur fonction, mais c’est là la réalité de la vie dans les bleds perdus en développement.
En 1895, l’Alberta attire chercheurs d’or et hommes d’affaires intéressés par l’exploitation pétrolière. Certains territoires sont acquis de façon plus ou moins éthique et les autochtones perdent au change. Cependant, leurs croyances ancestrales persistent malgré les injustices et les rapports de force inégaux.
Les auteurs abordent plusieurs thèmes significatifs dans le développement de l’histoire du Canada : le manque de respect face aux Premières Nations, les effets néfastes de l’alcool dans les régions éloignées, le courage et la ténacité nécessaires aux femmes pour imposer le respect, la violence causée par les armes à feu, une police qui parfois navigue dans la criminalité.
Tous ces aspects développés par des auteurs moins talentueux produiraient une trame négative. Le génie des auteurs est d’avoir élaboré le récit de façon très dynamique tout en passant des messages essentiels. Il n’y a pas vraiment de pause dans l’action. L’intrigue tient le lecteur en alerte jusqu’à la fin.
J’ai adoré les personnages et la trame intelligente de « Carcajou » et recommande cette œuvre superbe aux amateurs de romans graphiques.
Le roman graphique « Le murmure de la mer » se veut un hommage au travail de l’équipage de l’Ocean Viking, ce navire de sauvetage du groupe SOS Méditerranée. Sa mission consiste à secourir les migrants quittant le nord de l’Afrique, particulièrement l’enfer libyen.
Ces derniers se retrouvent en surnombre sur des embarcations de fortune et dérivent pendant des jours au milieu d’une mer Méditerranée parfois déchaînée. Souvent, les radeaux frôlent les plateformes pétrolières libyennes. De jour comme de nuit, les garde-côtes poursuivent les migrants et les ramènent en Lybie de brutale façon.
Après que sa première tentative de participer à un sauvetage ait été bloquée, l’auteur monte à bord de l’Ocean Viking en 2020 comme journaliste, dessinateur et membre d’équipage. Il participe directement aux opérations de récupération et relate son expérience à travers de très beaux croquis et de touchantes photos.
Le lecteur constate la très grande discipline et les préparatifs requis pour effectuer des sauvetages de façon ordonnée et sécuritaire pour tous. La sentimentalité n’a pas sa place quand on procède à la récupération de migrants en crise. Toute procédure non respectée peut engendrer des décès supplémentaires, incluant ceux des membres d’équipage.
Nous témoignons des succès et des échecs de l’équipage dans ses tentatives de rescaper le plus de gens possible. Les marins de l’Ocean Viking font face à des blocages administratifs de l’Italie qui cherche à limiter l’arrivée considérable de réfugiés.
Parmi ces tentatives de nuire aux interventions de secours, on note en premier l’obligation du navire de rester à quai pendant de longues périodes pour les raisons les plus diverses.
Vient ensuite l’obligation de transférer les nouveaux migrants dans des ports éloignés de la position du Ocean Viking. Ces ports sont volontairement choisis par le gouvernement italien pour engendrer des frais de carburant et des délais importants entre chaque opération de secours. Ces tracasseries empêchent le sauvetage de milliers de réfugiés.
On doit cependant se questionner sur la participation des autres États au moment d’admettre les migrants. Est-ce l’affaire seulement de l’Italie ? L’infortune des habitants de pays défavorisés à cause d’une dictature impitoyable, des changements climatiques ou de la pauvreté accélérée par le pillage des richesses demeure la responsabilité de tous.
Une fois les réfugiés sur le bateau, l’équipage doit encore s’activer à les sécuriser, les soigner, les préparer pour un transfert vers leur prochaine terre d’accueil. On connaît tous l’histoire de ces navires qui ont récupéré des centaines d’Africains en difficulté et qui demeurent immobilisés pendant des semaines en attendant une autorisation pour transférer les rescapés sur un nouveau territoire. Pourtant, le droit de la mer est clair : tout capitaine de vaisseau qui apprend que des êtres humains sont en péril sur un plan d’eau doit porter assistance.
Bref, une lecture passionnante et informative qui augmente notre connaissance des défis que doivent relever les équipages qui décident de porter secours aux personnes en danger sur la mer Méditerranée.
Le roman « Que notre joie demeure » de Kevin Lambert a suscité de la grogne au moment de sa parution. Alors qu’il rédigeait son bouquin, l’auteur aurait consulté des personnes pour s’assurer qu’elles ne se sentiraient pas blessées par les propos du livre. Certains y ont vu un désir d’être politiquement correct envers les divers groupes d’intérêt représentés dans l’histoire.
Une fois la crise passée et les critiques adressées, je dois souligner l’excellence de la trame et l’habileté avec laquelle l’écrivain nous transporte dans les salons de la grande bourgeoisie. Le roman a d’ailleurs obtenu le prix Médicis 2023.
À travers les fenêtres ouvertes d’une luxueuse propriété de Montréal, nous pénétrons en courant d’air dans l’univers des gens aisés et devenons témoins des attitudes, conversations et intrigues ayant cours tout au long de cette soirée mondaine où une architecte de renom tient le rôle principal.
Nous participons à la vie et à l’histoire de cette femme célèbre qui planifie la construction d’un immense bâtiment dans un secteur moins nanti de Montréal. D’où vient-elle et comment a-t-elle acquis ses lettres de noblesse ? Comment une personne du sexe féminin est-elle considérée dans le milieu architectural et quelles embûches doit-elle encore affronter pour préserver sa réputation dans un environnement où le genre masculin prédomine largement ?
Le récit se veut une présentation habile des contraintes auxquelles doivent faire face les créateurs au Québec et spécialement à Montréal lorsqu’il s’agit d’architecture. La nouvelle construction empiètera sur des espaces adoptés de longue date par les moins nantis. Quel rôle joue l’information et comment les groupes de pression s’organisent-ils pour tenter de contrecarrer le projet en cours ? Quels sont les excès auxquels on doit s’attendre?
Le personnage principal traverse une tempête médiatique à un moment de sa vie où elle s’approche d’une retraite bien méritée. Comment considère t’elle sa contribution et de quelle façon s’ajuste-t-elle, si elle s’ajuste ?
L’auteur conserve notre intérêt du début à la fin et adopte un style littéraire favorisant l’immersion. Il utilise également le genre féminin lorsque possible.
Bonne lecture !
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J’ai longtemps hésité à me procurer ce roman graphique qui ne se trouvait que dans une des sept librairies que je côtoie régulièrement. À l’heure où les couvertures sont souvent tapageuses et où les thèmes abordés accrochent l’attention du potentiel client, je me retrouvais face à ce livre tranquille prétendant nous parler des sept vies d’un parfait inconnu. Que faire ?
En fin de compte, je me suis décidé à l’acquérir et je l’ai trouvé tellement intéressant que je l’ai lu d’une traite. Une très belle surprise, quoique j’aurais dû me douter que la qualité serait au rendez-vous en voyant le nom de l’auteur, Charles Masson. J’avais auparavant lu un autre roman graphique très intéressant de cet auteur. Le bouquin s’intitulait « Droit du sol » et portait sur les difficultés vécues par les autochtones qui doivent composer avec le colonialisme.
« Sept vies à vivre » raconte de façon très intelligente et humaine la vie d’un homme ordinaire nommé René. Oubliez les ordinateurs et les réseaux sociaux. Le lecteur retrouve René et sa famille il y a plusieurs décennies dans le massif des Bauges alors qu’il y passe son enfance et adolescence dans l’absence de confort et de luxe. Les habitants triment dur pour survivre dans ce coin de pays.
René a perdu sept frères et sœurs alors qu’ils étaient en bas âge et il est bien déterminé à vivre pleinement. Il descend dans la vallée pour changer son existence. Les sept vies de René, ce sont les sept grands moments qui viennent modifier le destin de cet homme. Comme beaucoup d’entre nous, les événements le bousculent. Dans son cas, ce sont la Seconde Guerre mondiale, l’entraînement militaire obligatoire de 1946 en France, les rencontres fortuites, et j’en passe. Comment s’adapter et conserver son humanité à travers les surprises que réserve l’existence ?
Le scénario est solide et le graphisme intéressant. Il n’y a pas de temps mort, ce qui est tout de même à souligner pour un récit de 225 pages. Une belle trouvaille à rajouter dans votre bibliothèque.
Le livre « La face cachée de la photo – prendre et diffuser des images en toute légalité » n’est plus disponible en librairie, mais il vaut la peine de se le procurer en version usagée ne serait-ce que pour les organigrammes qui vous permettent de savoir si la photo que vous désirez prendre est légale et si vous avez la liberté de la diffuser.
Car on peut très bien avoir le droit de photographier sans avoir le droit de diffuser ultérieurement. Il faut en plus connaître les nuances entre diffusion éditoriale et commerciale, de même que comprendre comment obtenir une autorisation écrite lorsque cela s’applique.
Il y a également des nuances entre les lois protégeant la vie privée entre les deux groupes suivants : le premier formé par le Québec et la France et le deuxième constitué du reste du Canada, des États-Unis et de la majorité des pays occidentaux.
De plus, on doit faire une distinction entre la personne qui est le sujet principal de la photo et celle qui n’est qu’accessoire. Les lois changent aussi selon que la photo est prise à partir d’un lieu public ou d’un lieu privé. Enfin, il y a toujours des exceptions à chaque catégorie. Comme vous voyez, rien n’est simple dans ce domaine…
L’auteur se sert de la jurisprudence pour mieux étoffer ses propos. Il discute également des limites des pouvoirs des policiers et des agents de sécurité et de ce qui est juridiquement permis sur Facebook et autres réseaux sociaux quant à la diffusion d’une image.
Il élabore aussi sur la différence entre les droits patrimoniaux, moraux, droits à l’intégrité et droits de paternité. Il développe même sur les changements quant aux droits d’auteur avant et après le 7 novembre 2012. Une section de l’ouvrage vous renseigne sur la manière de détecter si vos images sont utilisées de façon illégale et sur la méthode pour demander des corrections et compensations.
Enfin, Francis Vachon utilise les dernières sections de son bouquin pour nous présenter les méthodes permettant d’obtenir des photos de façon légitime, et parfois sans frais. Il vous renseigne également sur la façon de se protéger d’une poursuite.
Bref, un livre rempli d’informations capitales pour le photographe amateur et professionnel, de même que pour tous les usagers des médias sociaux. Beaucoup de ces utilisateurs sont remplis de bonnes intentions, mais peuvent se retrouver dans le pétrin assez rapidement pour une négligence involontaire.
Gou Tanabe nous présente le chef-d’œuvre d’H.P. Lovecraft « Les montagnes hallucinées » sous forme de manga en deux tomes. Déjà que de feuilleter Lovecraft constitue en soi un voyage dans l’étrange, le faire en commençant par la fin d’un bouquin et en lisant de droite à gauche ajoute encore à la bizarrerie de l’expérience.
Cette transposition de Lovecraft en manga rejoint efficacement les amateurs de Lovecraft. D’ailleurs, les statistiques le prouvent. Les 382 évaluations laissées sur Amazon démontrent une satisfaction très nette de la clientèle, avec un total de 4,9/5 étoiles au moment d’écrire ces lignes.
Je préfère normalement les bandes dessinées et les romans graphiques en couleurs, mais l’interprétation en noir et blanc de la production de Lovecraft va à merveille à ce monde fantastique dans lequel nous plonge Tanabe.
Lovecraft rend crédible une œuvre fantasmagorique en intégrant dans la trame un mélange bien dosé d’éléments réels et de fiction. À moins d’être soi-même archéologue et paléontologue, on peut difficilement vérifier quelles données appartiennent véritablement à la science. Cela permet d’encadrer davantage le lecteur. On reconnaît les instants de pure imagination, mais on reste accroché.
Je me mets à la place d’une personne qui vivait à l’époque de Lovecraft, au moment où l’Antarctique ne constituait qu’un continent mystérieux et encore inexploré dans sa totalité. Une histoire remplie d’éléments de fiction gagnerait en crédibilité, alors que personne ne pourrait vraiment confirmer ou infirmer certains propos de l’auteur.
On trouve dans « Les montagnes hallucinées » des propos sur la navigation à voile, l’aviation, la météo extrême, la survie dans les espaces glacés et isolés. Le lecteur assiste aux problèmes vécus par les différents équipages partis explorer l’Antarctique. Les découvertes de plus en plus saisissantes des scientifiques les forcent à prendre des décisions risquées qui les plongent dans un monde inconnu. Bref, des thèmes qui plaisent encore aujourd’hui à la plupart des gens.
Les deux tomes totalisent autour de 650 pages qu’on feuillette avec intérêt en une journée puisque plusieurs planches n’incluent aucun texte.
« Wagner » est un roman graphique de qualité, fruit d’une recherche sérieuse basée sur de très nombreuses sources connues ou confidentielles.
Grâce au fait qu’une grande concentration de données pertinentes se retrouve dans un seul volume, le lecteur comprend rapidement et mieux le rôle international de ce groupe de mercenaires que supporte Vladimir Poutine et qui a pu s’implanter progressivement au Mali, en Centrafrique, en Lybie et en Syrie, avant d’attaquer les Ukrainiens.
On y trouve les noms de multiples compagnies, sociétés et fondations (société Concord, IRA [Internet Research Agency], SEWA Security Services, Lobaye Invest, M-Finance, M-Invest, Meroe Gold, Midas Resources, First Industrial Company, International Global Logistic [IGL], Alpha Development, Marko Mining, Prime Security, etc.) et une foule d’intervenants ayant joué un rôle majeur dans le partage du contrôle des ressources naturelles (mines, forêts, etc) en Centrafrique et au Mali.
Le bouquin montre comment le manque de clairvoyance de certains politiciens et des services de renseignements permet à Wagner de s’implanter sans trop de difficultés en Afrique. Il éclaire ainsi le départ précipité des Français au Mali et des Chinois au sud de Bamako.
Les dirigeants africains et la douane ferment les yeux sur les opérations de transfert de l’or et du diamant vers la Russie. Mais je n’ai pas besoin de creuser bien loin dans ma mémoire pour souligner que de nombreuses grandes puissances ont pu bénéficier d’un traitement similaire dans d’autres endroits sur notre belle planète.
Le scénariste et dessinateur Thierry Chavant prend soin de ne pas censurer outre mesure les actions des mercenaires de Wagner qui se prennent parfois pour des soldats. Les dessins explicites éclairent les crimes commis par ces tueurs, dont les viols, la torture et l’élimination systématique de centaines de personnes à la fois.
Malgré ces méthodes radicales, les mercenaires n’ont pas la vie facile face à des opposants bien déterminés. Wagner perdra de nombreux combattants en Afrique en se mesurant aux jihadistes, mais beaucoup moins qu’en Ukraine où ce sera littéralement une débâcle pour le groupe, avec des dizaines de milliers de morts et de blessés.
Même Evgueni Prigojine et Dmitri Outkine y laisseront leur vie quand le jet privé dans lequel ils se trouvent explosera au-dessus de la Russie. La question que je me pose encore aujourd’hui : comment peut-on être assez innocent pour continuer de survoler la Russie en toute quiétude après avoir tenté de s’emparer du pouvoir par la force ?
Le livre confirme que la géostratégie internationale a deux visages : un côté acceptable, où les diplomates et hommes d’affaires s’activent pour obtenir des avantages pour eux ou pour leur pays. Mais il y a aussi ce travail dans l’ombre, beaucoup plus violent et où les grands principes s’effacent devant le désir de gagner de nouveaux territoires avec les richesses qui s’y trouvent. Et là, tous les moyens sont bons pour arriver au but, qu’il s’agisse de financement obscur, de menaces, d’exécutions sommaires, de renversement de gouvernement et même d’esclavage moderne.