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Dans le ventre de Klara par Régis Jauffret.

Couverture du roman "Dans le ventre de Klara" par Régis Jauffret
Couverture du roman « Dans le ventre de Klara » par Régis Jauffret

« En juillet 1888, aux alentours de la Saint-Jacques, Oncle me fit grosse ». C’est ainsi que commence le roman « Dans le ventre de Klara » de Régis Jauffret, ce maître des phrases chocs et de la synthèse. La Klara en question, c’est Klara Hitler, qui au moment du récit porte en elle un Adolf Hitler déjà capable de lui insuffler à l’occasion des visions du désastre qu’il orchestrera des années plus tard.

L’auteur a trouvé une façon unique de positionner dans le texte les prémonitions terribles de Klara. Ils les imposent soudainement au milieu des rêveries quotidiennes de la future mère, souvent au beau milieu d’un paragraphe ou d’une phrase.

Dans ce récit naviguant entre les faits vécus et la fiction, l’épouse doit demeurer à sa place et ne rien espérer. L’écrivain fait dire à Klara : « Je suis affligée de la manie d’espérer autre chose que mon sort ». Le mari décide de tout. Le confesseur de l’église locale aimerait bien surpasser l’autorité de l’époux, mais cela s’avère plus difficile que prévu. Le mari et l’abbé représentent bien les pouvoirs excessifs dont ils jouissent sur les femmes de cette époque. Un militaire gradé sans grande expérience de combat qui dicte sa conduite à sa conjointe comme à un soldat, et un abbé fanatique qui impose les règles arbitraires d’une religion qui rend malade, asservit la femme et impose ses dogmes à distance aux couples.

Quatrième de couverture "Dans le ventre de Klara" par Régis Jauffret
Quatrième de couverture « Dans le ventre de Klara » par Régis Jauffret

L’auteur écrit, en parlant de Dieu et de la femme : « Une chrétienne doit enfanter, contribuer à peupler la Terre qu’Il nous a donnée pour théâtre à nos péchés ». Et lorsque Klara se trouve de nouveau au confessionnal et se fait tancer par l’abbé : « Foin de la voix du Christ envolée, c’était maintenant l’abbé Probst qui s’employait à me faire passer par les verges du langage. Des phrases longues comme des lanières. Des mots lourds, contondants comme des matraques. Des mots subtils, acérés, par endroits hérissés de pointes rougies. Une ponctuation de verre brisé […]. » Vous voyez le style…

J’apprécie particulièrement la plume de Régis Jauffret pour avoir lu d’autres de ses œuvres dont « La ballade de Rikers Island », « Le dernier bain de Gustave Flaubert », « Papa  » et les trois volumes intitulés Microfictions, parus respectivement en 2007, 2018 et 2022. Il a d’ailleurs remporté le Goncourt de la Nouvelle pour l’édition de 2018.

Régis Jauffret explique en quelques minutes l’intention derrière son dernier roman dans une vidéo sur Youtube, si cela vous intéresse de creuser davantage le sujet.

Bonne lecture !

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Titre : Dans le ventre de Klara

Auteur : Régis Jauffret

Éditions : Récamier

© Régis Jauffret et les éditions Récamier, 2024

ISBN : 978-2-38577-057-0

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Romans

Von Westmount

Couverture du livre "Von Westmount" par Jules Clara
Couverture du livre « Von Westmount » par Jules Clara

Avec tout ce qui se publie aujourd’hui dans une année, on doit forcément prendre des risques ici et là. Au Salon du livre de Québec 2023, j’ai tenté ma chance avec deux ou trois bouquins dont je n’avais pas entendu parler. Celui qui m’a surpris le plus était un petit roman du nom de Von Westmount.

Le design de la couverture attirait l’attention. En voyant la maison cossue et le terme Westmount, je me doutais bien qu’un détour dans l’ouest de Montréal s’imposerait. Pour les personnes n’habitant pas le Québec, on connaît Westmount en tant qu’un secteur plus aisé financièrement et où la majorité des habitants utilisent la langue anglaise comme moyen de communication, dans un Québec majoritairement francophone.

Pendant l’année où l’on suit Aline, l’héroïne de Jules Clara, elle abat péniblement des petits boulots et mène sa vie tant bien que mal jusqu’à ce que le hasard lui permette de tenter sa chance avec un nouvel emploi.

Elle se retrouve éventuellement dans le milieu anglophone de l’ouest de Montréal et, à travers elle, nous témoignons du mode de vie et des conversations se déroulant dans une résidence privée de la ville de Westmount.  Est-ce que l’héroïne une fois installée dans cette résidence cossue saura s’adapter rapidement à ses nouvelles fonctions et faire les choix conformes à ses intérêts et ses valeurs? Comment évoluera sa vision de Montréal au sens propre et figuré?

J’ai adoré ce petit livre jusqu’à la fin. Il convient de noter que certaines personnes ont eu de la difficulté à comprendre la conclusion, une conclusion qui me semblait certainement un choix logique à inclure dans une histoire de ce genre.

Des gens ont aussi contesté l’utilisation de la langue anglaise pour quelques sections du roman.  En ce qui me concerne, je crois que cette langue avait tout à fait sa place et jouait un rôle important dans le déroulement du récit. Mais il faut bien connaître l’anglais et non en balbutier quelques mots.

Bref, vous passerez un très bon moment avec Von Westmount si vous appréciez un livre bilingue et que vous vous intéressez à la dynamique spéciale entre l’ouest et l’est de Montréal.

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Titre: Von Westmount

Autrice : Jules Clara

Éditions : La Mèche

© 2022

ISBN : 9 782 897 071 769

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Roman graphique et bandes dessinées

Tintin et l’île noire (2 de 2)

Peinture acrylique en progression de Tintin et l'île noire.
Peinture acrylique en progression de Tintin et l’île noire.

Bienvenue dans la deuxième et dernière partie de « Tintin et l’île noire ». La photo ci-dessus montre les nuages presque complétés. Les régions de ciel en jaune ont posé un problème, car, une fois sur la toile, la couleur est devenue trop sombre en séchant. J’ai dû trouver une recette de jaune plus pâle que celle de la couverture originale pour qu’en séchant la couleur devienne plus foncée et rejoigne celle de l’album.

Détail du château de Tintin et l'île noire.
Détail du château de Tintin et l’île noire.

La photo ci-dessus montre la progression du château et de l’île, mais cette fois avec les oiseaux en prime. Hergé a dessiné beaucoup d’oiseaux noirs autour du château, ce qui ajoute à l’air sinistre de l’endroit. Mais il a aussi pensé à dessiner deux oiseaux plus gros au premier plan, dont un qui semble se diriger vers Tintin.

Peinture en progression de Tintin et l'île noire.
Peinture en progression de Tintin et l’île noire.

Le tableau avance rapidement. J’y ai déjà travaillé près d’une centaine d’heures pour me rendre à ce stade. La mer a reçu toutes ses touches de peinture noire pour former l’apparence de vagues.

Copie à l'échelle de Tintin et l'île noire.
Copie à l’échelle de Tintin et l’île noire.

La photo ci-dessus donne une idée de la grandeur du tableau. On doit souvent poser le tableau sur une table pour peindre les éléments qui nécessitent une très grande précision.

En arrière-plan sur la photo, on aperçoit à la télévision un journaliste de la chaîne canadienne de nouvelles RDI. Il commente la situation de blocage des rues à Ottawa par des camionneurs durant la pandémie de Covid-19. Les protestataires se battent pour leurs droits, mais ne respectent pas les droits des citoyens d’Ottawa qui, pendant des semaines, se retrouvent prisonniers de leur quartier. Le gouvernement canadien mettra finalement un terme à la situation en invoquant la Loi sur les mesures d’urgence    avec, en prime, une poursuite de 306 millions de dollars intentée par les résidents contre les manifestants.

Tableau 24x36 de Tintin et l'île noire complété.
Tableau 24×36 de Tintin et l’île noire complété.

Ci-dessus se trouve le tableau une fois complété. Vous noterez que les tons de blancs de la barque diffèrent à l’arrière et sur le côté. On retrouve du blanc combiné avec du noir et une touche de jaune pour le côté de la barque, plutôt que le blanc pur requis pour l’arrière. Ce n’est qu’à force d’effectuer des essais de couleurs que je me suis rendu compte de la nécessaire présence du jaune.

Les vagues aplaties par la barque ne sont plus que des bouillons de forme arrondie derrière l’embarcation. Cependant, sur les côtés, l’apparence diffère car le mouvement du bateau casse les vagues : Hergé s’assure donc d’un traitement différent de l’écume. Il a pensé à tout, comme d’habitude !

Il est maintenant temps de passer à un autre projet, possiblement « Blake et Mortimer » ces héros de Edgar P. Jacobs, ce grand maître du style de la ligne claire qui a initialement travaillé avec Hergé.

Glénat vient d’ailleurs de publier un livre sur le sujet, dont le titre est : Edgar P. Jacobs le rêveur d’apocalypes. Si le sujet vous intéresse…

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Roman graphique et bandes dessinées

Tintin et l’île noire (1 de 2).

Figurines de Tintin et du docteur Müller.
Figurines de Tintin et du docteur Müller.

Dans la photo ci-dessus, vous avez certainement reconnu Tintin habillé en Écossais alors qu’il fait face au méchant docteur Müller. Ces deux personnages font partie de l’album de bandes dessinées Tintin et l’île noire . Les Francophones ont probablement tous lu cet album dans leur jeunesse. Et, même devenus adultes, certains d’entre nous (j’en suis) avons revisité cette œuvre de Hergé pour y rechercher des détails qui nous ont forcément échappé jadis.

Les restrictions et le confinement liés à la pandémie de Covid-19 m’ont permis de consacrer davantage de temps au dessin et à la peinture. J’ai décidé de recopier la couverture de l’album de Tintin « L’île noire » en employant de l’acrylique.  

Le dessin à l’échelle d’un album Tintin se rapproche d’un ratio 2 : 3 et donc le format 24 pouces par 36 pouces faisait parfaitement l’affaire. Ci-dessous, on peut comparer la différence d’échelle entre le livre original et le dessin en devenir.

Dessin au crayon et à l'échelle de Tintin.
Dessin au crayon et à l’échelle de Tintin.

Un crayon à mine 2H pour le dessin sur la toile exigera moins de travail au moment d’effacer les traits les plus évidents et de poser la peinture. Celui que j’ai utilisé (HB) était trop foncé et a demandé plus d’attention que prévu.

Reproduire un album de Tintin nous amène à constater progressivement le génie de Hergé, ce créateur belge. On s’attarde sur ses choix éditoriaux, la composition, les angles. Dessiner les rochers de l’île noire et leurs ombres est, à cet égard, très révélateur.

Dessin 24x36 de Tintin et l'île noire
Dessin 24×36 de Tintin et l’île noire

Dans la photo ci-dessus, Tintin se dirige vers l’Île noire. On le sent anxieux, d’où sa posture légèrement penchée vers l’avant. Il scrute l’île droit devant. Hergé aurait pu le dessiner bien droit sur son bateau, confiant. Il a choisi de le positionner comme étant plutôt observateur d’une situation problématique. De même, Milou nous regarde avec un air inquiet et on doit répéter exactement son expression pour ne pas changer l’atmosphère de la scène.

Il manque encore les oiseaux noirs autour de l’île, dont un semble se diriger tout droit vers Tintin. Vous les verrez dans le prochain article : ils sont nombreux, noirs et ne semblent pas très amicaux.

Le ciel, quant à lui, n’est pas couvert de jolis cumulus mais plutôt de nuages striés et effilés envahissant l’horizon, plusieurs ayant l’apparence pointue d’une dague. Placés de façon oblique à travers la couverture pour plus de dynamisme, Hergé leur a également donné une forme légèrement circulaire.

Le ciel est peint en premier sur le tableau de Tintin.
Le ciel est peint en premier sur le tableau de Tintin.

Au moment de peindre les lettres, on se rend compte des choix éditoriaux de Hergé. Plusieurs de ces particularités exigent notre attention, dont la lettre « O » qui n’est pas ronde mais ovale et penchée sur le côté. Également, Hergé aligne les deux mots du titre à droite et cela a une incidence au moment de calculer les espaces entre les lettres.

En essayant de reproduire exactement une couleur, on doit effectuer plusieurs essais pour découvrir la recette. Souvent, on combine trois ou quatre couleurs afin d’en arriver à un résultat satisfaisant. Et lorsque la tonalité nous satisfait, une surprise nous attend : une fois posée sur la toile, la peinture acrylique change de couleur et devient beaucoup plus foncée en séchant. Tenter de prévoir le résultat après séchage devient nécessaire pour éviter d’avoir à recommencer.

(à suivre…)

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Romans

« Papa » par Régis Jauffret

Le roman "Papa" de Régis Jauffret.
Le roman « Papa » de Régis Jauffret.

Autant Sorj Chalandon, dans son roman « Enfant de salaud », que Régis Jauffret dans « Papa » tentent de saisir la personnalité énigmatique de leur père. Celui de Sorj Chalandon aurait été résistant et traître à la fois, alors que le père de Régis Jauffret aurait été filmé en sortant d’une séance d’interrogatoire de la Gestapo, la terreur sur le visage. Où se situe la vérité ? Qui sont vraiment ces pères ?

Dans un texte précédent, j’ai présenté le livre « Enfant de salaud ». Au tour maintenant du roman « Papa » de Régis Jauffret.

Comme on peut s’y attendre avec Régis Jauffret, le style d’écriture diffère radicalement. L’auteur est lauréat du prix Goncourt de la nouvelle (2018) pour son roman « Microfictions 2018 ». Son sens de la synthèse, de l’humour noir et même du cynisme fait de ce retour dans le passé du père une aventure littéraire autant qu’historique. Le lecteur comprend rapidement que l’auteur se fait plaisir en présentant ses découvertes. Il ajoute même un peu de fiction au besoin.

Fidèle à mon habitude quand il s’agit de Régis Jauffret, je présenterai son livre à travers des citations choisies. En effet, l’intérêt du livre réside autant dans le contenu que dans la façon dont Régis s’exprime pour éclairer son propos. Voici donc quelques citations susceptibles de donner le ton du bouquin :

« Elle me raccompagne ravie, limite hilare, en me donnant de légères tapes dans le dos ».

« — J’ai communié.

Quelqu’un m’a fait remarquer en sortant que je n’étais pas croyant.

   — Justement, une hostie ou des chips.

      J’ai souri mais après ce blasphème je n’en menais pas large. Quand on a été éduqué religieusement on conserve toujours dans un repli de son cerveau la terreur de Dieu ».  

« Il venait d’avoir un AVC qui loin de le handicaper semblait l’avoir ragaillardi ».

« Elle me raconta que l’humidité avait fait sauter le bois de placage [du cercueil]. Ne restait plus qu’une caisse de planches noircies. Je n’étais pas d’humeur assez badine pour appeler la dame des pompes funèbres afin de faire jouer la garantie éternelle dont jouit sans doute ce genre de produits métaphysiques ».

« Un de ces souvenirs de bonheur qui vous donnent raison de n’être jamais entré chez un armurier pour acheter de quoi vous tirer une balle dans la tête ».

« […] Alfred avait pour consigne de serrer les dents pendant le coït sans émettre un soupir tandis qu’elle demeurerait aussi stoïque que lorsque sans anesthésie le dentiste taquinait une de ses molaires du bout de sa fraise ».

 « Par l’entremise du vaste pavillon en cuivre d’un gramophone perché sur un piédestal dont on avait volé la statue, Édith Piaf gueulait “J’ai dansé avec l’amour” tandis que du sous-sol montaient les cris des martyrs ».

« Écrire sur soi-même est une forme d’incontinence ».

« On est condescendant avec les sourds sans statut ni talent mais on préfère les fréquenter parcimonieusement. Quand on ne les a pas aperçus assez tôt pour s’être planqué derrière un engin de chantier ou un homme volumineux, on les salue de loin en filant ».

« Si je n’avais pas vu ces images, tu serais resté dans les égouts de ma mémoire ».

« Si je dure aussi longtemps que Madeleine, je serai un centenaire qui ruminera inopinément son père dans son cerveau desséché comme un raisin de Corinthe tandis qu’un aide-soignant bâti comme un colosse balancera jambes en l’air mon corps décharné pour changer ma couche ».

« Minable descendante de protozoaires devenus difficultueusement êtres multicellulaires pourvus d’encéphale, l’humanité n’a aucun motif de pavoiser ».

« C’est héroïque en temps de guerre d’assumer le rôle de bourreau quitte à se tromper parfois puisque dans les situations extrêmes le doute ne profite jamais à l’accusé ».

« Il discourait du matin au soir. La moindre personne connue de lui rencontrée dans la rue se voyait douchée de langage comme un imprudent sur une jetée un jour de tempête par une déferlante. À son bureau, tout le monde en était trempé. Si bien qu’on le fuyait mais il parvenait toujours à trouver quelqu’un qui par gentillesse se laissait inonder ».

« Je ne l’ai jamais entendu non plus parler de sa journée. Il avait fait beau, il avait neigé, il avait plu, un chamois avait traversé la piste en queue-de-pie, un homme touché par l’orage s’était enflammé, une dame était tombée dans une crevasse en chantant une cantate de Jean-Sébastien Bach ».

« Pendant ce temps, Jean-Jacques et Honoré entreprirent les sœurs rouges comme de la viande bleue de se retrouver en présence de deux garçons dont les pantalons à la mode du temps moulaient l’appareil génital dont elles redoutaient par avance la piqûre ».

Bonne lecture !

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Titre : Papa

Auteur : Régis Jauffret

Éditions : Roman/Seuil, 2020.

ISBN : 978-2-02-145035-4