Le roman « Que notre joie demeure » de Kevin Lambert a suscit de la grogne au moment de sa parution. Alors qu’il rdigeait son bouquin, l’auteur aurait consult des personnes pour s’assurer qu’elles ne se sentiraient pas blesses par les propos du livre. Certains y ont vu un dsir d’être politiquement correct envers les divers groupes d’intrêt reprsents dans l’histoire.
Une fois la crise passe et les critiques adresses, je dois souligner l’excellence de la trame et l’habilet avec laquelle l’crivain nous transporte dans les salons de la grande bourgeoisie. Le roman a d’ailleurs obtenu le prix Mdicis 2023.
À travers les fenêtres ouvertes d’une luxueuse proprit de Montral, nous pntrons en courant d’air dans l’univers des gens aiss et devenons tmoins des attitudes, conversations et intrigues ayant cours tout au long de cette soire mondaine où une architecte de renom tient le rôle principal.
Nous participons la vie et l’histoire de cette femme clèbre qui planifie la construction d’un immense bâtiment dans un secteur moins nanti de Montral. D’où vient-elle et comment a-t-elle acquis ses lettres de noblesse ? Comment une personne du sexe fminin est-elle considre dans le milieu architectural et quelles embûches doit-elle encore affronter pour prserver sa rputation dans un environnement où le genre masculin prdomine largement ?
Le rcit se veut une prsentation habile des contraintes auxquelles doivent faire face les crateurs au Qubec et spcialement Montral lorsqu’il s’agit d’architecture. La nouvelle construction empiètera sur des espaces adopts de longue date par les moins nantis. Quel rôle joue l’information et comment les groupes de pression s’organisent-ils pour tenter de contrecarrer le projet en cours ? Quels sont les excès auxquels on doit s’attendre?
Le personnage principal traverse une tempête mdiatique un moment de sa vie où elle s’approche d’une retraite bien mrite. Comment considère t’elle sa contribution et de quelle façon s’ajuste-t-elle, si elle s’ajuste ?
L’auteur conserve notre intrêt du dbut la fin et adopte un style littraire favorisant l’immersion. Il utilise galement le genre fminin lorsque possible.
Bonne lecture !
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Gou Tanabe nous prsente le chef-d’œuvre d’H.P. Lovecraft « Les montagnes hallucines » sous forme de manga en deux tomes. Dj que de feuilleter Lovecraft constitue en soi un voyage dans l’trange, le faire en commençant par la fin d’un bouquin et en lisant de droite gauche ajoute encore la bizarrerie de l’exprience.
Cette transposition de Lovecraft en manga rejoint efficacement les amateurs de Lovecraft. D’ailleurs, les statistiques le prouvent. Les 382 valuations laisses sur Amazon dmontrent une satisfaction très nette de la clientèle, avec un total de 4,9/5 toiles au moment d’crire ces lignes.
Je prfère normalement les bandes dessines et les romans graphiques en couleurs, mais l’interprtation en noir et blanc de la production de Lovecraft va merveille ce monde fantastique dans lequel nous plonge Tanabe.
Lovecraft rend crdible une œuvre fantasmagorique en intgrant dans la trame un mlange bien dos d’lments rels et de fiction. À moins d’être soi-même archologue et palontologue, on peut difficilement vrifier quelles donnes appartiennent vritablement la science. Cela permet d’encadrer davantage le lecteur. On reconnaît les instants de pure imagination, mais on reste accroch.
Je me mets la place d’une personne qui vivait l’poque de Lovecraft, au moment où l’Antarctique ne constituait qu’un continent mystrieux et encore inexplor dans sa totalit. Une histoire remplie d’lments de fiction gagnerait en crdibilit, alors que personne ne pourrait vraiment confirmer ou infirmer certains propos de l’auteur.
On trouve dans « Les montagnes hallucines » des propos sur la navigation voile, l’aviation, la mto extrême, la survie dans les espaces glacs et isols. Le lecteur assiste aux problèmes vcus par les diffrents quipages partis explorer l’Antarctique. Les dcouvertes de plus en plus saisissantes des scientifiques les forcent prendre des dcisions risques qui les plongent dans un monde inconnu. Bref, des thèmes qui plaisent encore aujourd’hui la plupart des gens.
Les deux tomes totalisent autour de 650 pages qu’on feuillette avec intrêt en une journe puisque plusieurs planches n’incluent aucun texte.
L’histoire se passe en 1977 en Allemagne de l’Ouest. Un accident de la route qui coûte la vie une femme et son enfant attire l’attention d’un employ de la morgue, un homme professionnel et bien apprci de ses patrons.
Cet employ, c’est Monsieur Martin, un ancien soldat qui autrefois a combattu lors de la Deuxième Guerre mondiale et pour qui le mot « responsabilit » pèse lourd dans son quotidien d’homme plus âg. Il mène sa propre enquête et drange naturellement des personnages haut placs qui ont dcid de regarder ailleurs pour prserver leurs acquis.
Un tel thème sera toujours d’actualit, car il touche non seulement la socit allemande mais toutes les nations travers la planète où les gens qui ont le plus perdre dans une situation se dtournent de leurs responsabilits, malgr les injustices.
Je n’ai que de bons mots pour le roman graphique « L’expert », autant pour la qualit du graphisme, le scnario, le choix des couleurs, la priode et l’endroit où s’inscrit l’histoire. Les Allemands ont certainement dû apprcier sa parution en 2022.
« En juillet 1888, aux alentours de la Saint-Jacques, Oncle me fit grosse ». C’est ainsi que commence le roman « Dans le ventre de Klara » de Rgis Jauffret, ce maître des phrases chocs et de la synthèse. La Klara en question, c’est Klara Hitler, qui au moment du rcit porte en elle un Adolf Hitler dj capable de lui insuffler l’occasion des visions du dsastre qu’il orchestrera des annes plus tard.
L’auteur a trouv une façon unique de positionner dans le texte les prmonitions terribles de Klara. Ils les imposent soudainement au milieu des rêveries quotidiennes de la future mère, souvent au beau milieu d’un paragraphe ou d’une phrase.
Dans ce rcit naviguant entre les faits vcus et la fiction, l’pouse doit demeurer sa place et ne rien esprer. L’crivain fait dire Klara : « Je suis afflige de la manie d’esprer autre chose que mon sort ». Le mari dcide de tout. Le confesseur de l’glise locale aimerait bien surpasser l’autorit de l’poux, mais cela s’avère plus difficile que prvu. Le mari et l’abb reprsentent bien les pouvoirs excessifs dont ils jouissent sur les femmes de cette poque. Un militaire grad sans grande exprience de combat qui dicte sa conduite sa conjointe comme un soldat, et un abb fanatique qui impose les règles arbitraires d’une religion qui rend malade, asservit la femme et impose ses dogmes distance aux couples.
L’auteur crit, en parlant de Dieu et de la femme : « Une chrtienne doit enfanter, contribuer peupler la Terre qu’Il nous a donne pour thâtre nos pchs ». Et lorsque Klara se trouve de nouveau au confessionnal et se fait tancer par l’abb : « Foin de la voix du Christ envole, c’tait maintenant l’abb Probst qui s’employait me faire passer par les verges du langage. Des phrases longues comme des lanières. Des mots lourds, contondants comme des matraques. Des mots subtils, acrs, par endroits hrisss de pointes rougies. Une ponctuation de verre bris […]. » Vous voyez le style…
J’apprcie particulièrement la plume de Rgis Jauffret pour avoir lu d’autres de ses œuvres dont « La ballade de Rikers Island », « Le dernier bain de Gustave Flaubert », « Papa » et les trois volumes intituls Microfictions, parus respectivement en 2007, 2018 et 2022. Il a d’ailleurs remport le Goncourt de la Nouvelle pour l’dition de 2018.
Rgis Jauffret explique en quelques minutes l’intention derrière son dernier roman dans une vido sur Youtube, si cela vous intresse de creuser davantage le sujet.
Brüsel comblera les amateurs de bandes dessines bien ficeles. Il y a de tout dans ce bouquin : la très grande qualit du graphisme, l’attention aux dtails, une imagination dbordante des auteurs, un peu d’humour et de sensualit, une touche de cynisme.
On se retrouve avec des thèmes familiers, mais dvelopps l’envers du bon sens pour piquer la curiosit du lecteur. La socit sera donc sauve par l’avènement du plastique, une vritable rvolution. Et l’on va enfin pouvoir se dbarrasser des vgtaux dont on doit sans cesse s’occuper, qui dprissent et exigent continuellement un peu d’eau.
Les auteurs abordent galement de façon originale la dgradation des soins hospitaliers. Le scnario nous montre un patient qui reçoit toujours des promesses de traitements incroyables grâce un mdecin dont la rputation n’est plus faire. Cependant, aucun geste valable et intelligent n’est pos et, force de ne pas être soign, le malade gurit graduellement.
Le hros du rcit et une employe rencontre par hasard forment un duo non conventionnel et nous entraînent dans les mandres d’une ville en devenir qu’un mgalomane conçoit sans consultation avec les citoyens.
Les quelques responsables dsigns pour obir aux dsirs d’un seul homme se promènent avec des bâtiments rduits l’chelle sous les bras et placent ici et l les gratte-ciels de la maquette de la future cit. Tout cela se dcide en vase clos et favorise l’intrêt de quelques-uns, comme cela arrive parfois dans la planification des villes.
Bref, si vous cherchez un rcit et du graphisme sortant de l’ordinaire pour vous chapper un peu du dj vu, cette bande dessine est pour vous.
« Quand on n’a plus rien perdre, on peut prendre tous les risques… ». Voici la phrase que l’on retrouve l’endos de la bande dessine « 13 h 17 dans la vie de Jonathan Lassiter » et qui rsume le mieux cette œuvre francophone parue en 2023.
Jonathan Lassiter travaille comme assureur Keanway, une petite ville recule du Nebraska. Du jour au lendemain, sa femme le quitte, il perd son emploi, se fait voler son portefeuille. Bref sa vie embrasse soudainement un virage inattendu. Il a deux choix : soit il s’apitoie sur son sort, soit il se transforme. Sa rencontre fortuite avec Edward, homme « distingu, cultiv et cynique » le forcera se positionner.
C’est d’abord la qualit du graphisme qui m’a accroch. Ce n’est pas une de ces publications dont on se demande si sa conception tient en un mois et qui se veut originale travers l’absence de dtails, et du même coup de travail. Cet album a ncessit un effort très important et cela se voit au premier coup d’œil.
Tout s’y trouve : le choix judicieux des angles, le dessin raffin et d’une grande maîtrise, le maintien habile de l’atmosphère travers des couleurs bien doses et sous-satures, le scnario très bien ficel. Cette bande dessine conserve l’intrêt du lecteur du dbut la fin, sans aucun temps mort.
Le personnage principal m’a fait penser au clèbre acteur Vincent Price.
Il tait très connu l’poque pour ses rôles dans des films d’horreur. La grande ressemblance ne m’apparaît pas fortuite. Mais cela n’enlève rien la vraisemblance de l’histoire, au contraire.
J’ai finalement complt la dernière tape de la toile de 24 po x 36 po de Blake et Mortimer« La valle des immortels, tome 1 ». Je croyais terminer le tout avant l’t, mais d’autres obligations plus pressantes ont boulevers l’horaire prvu.
L’ensemble aura pris peu près 200 heures et ncessit la cration d’environ 130 couleurs pour tenter d’imiter l’album, du moins en partie.
J’ai volontairement clairci l’œuvre originale, surtout le côt gauche, car je suspends le tableau sur un mur et je trouvais la scène beaucoup trop fonce. Ma version respecte l’ide du clair-obscur tout en ajoutant un peu de lumière. Peindre la toile soi-même permet aussi de jouer davantage avec les diffrentes nuances des briques du mur de gauche.
Pour la progression des diffrentes tapes au cours de la dernière anne, cliquez sur le lien de la section des romans graphiques et bandes dessines sur mon blogue. Plusieurs publications s’y trouvent, mais vous y arriverez peu peu.
Autant Sorj Chalandon, dans son roman « Enfant de salaud », que Rgis Jauffret dans « Papa » tentent de saisir la personnalit nigmatique de leur père. Celui de Sorj Chalandon aurait t rsistant et traître la fois, alors que le père de Rgis Jauffret aurait t film en sortant d’une sance d’interrogatoire de la Gestapo, la terreur sur le visage. Où se situe la vrit ? Qui sont vraiment ces pères ?
Dans un texte prcdent, j’ai prsent le livre « Enfant de salaud ». Au tour maintenant du roman « Papa » de Rgis Jauffret.
Comme on peut s’y attendre avec Rgis Jauffret, le style d’criture diffère radicalement. L’auteur est laurat du prix Goncourt de la nouvelle (2018) pour son roman « Microfictions 2018 ». Son sens de la synthèse, de l’humour noir et même du cynisme fait de ce retour dans le pass du père une aventure littraire autant qu’historique. Le lecteur comprend rapidement que l’auteur se fait plaisir en prsentant ses dcouvertes. Il ajoute même un peu de fiction au besoin.
Fidèle mon habitude quand il s’agit de Rgis Jauffret, je prsenterai son livre travers des citations choisies. En effet, l’intrêt du livre rside autant dans le contenu que dans la façon dont Rgis s’exprime pour clairer son propos. Voici donc quelques citations susceptibles de donner le ton du bouquin :
« Elle me raccompagne ravie, limite hilare, en me donnant de lgères tapes dans le dos ».
« — J’ai communi.
Quelqu’un m’a fait remarquer en sortant que je n’tais pas croyant.
— Justement, une hostie ou des chips.
J’ai souri mais après ce blasphème je n’en menais pas large. Quand on a t duqu religieusement on conserve toujours dans un repli de son cerveau la terreur de Dieu ».
« Il venait d’avoir un AVC qui loin de le handicaper semblait l’avoir ragaillardi ».
« Elle me raconta que l’humidit avait fait sauter le bois de placage [du cercueil]. Ne restait plus qu’une caisse de planches noircies. Je n’tais pas d’humeur assez badine pour appeler la dame des pompes funèbres afin de faire jouer la garantie ternelle dont jouit sans doute ce genre de produits mtaphysiques ».
« Un de ces souvenirs de bonheur qui vous donnent raison de n’être jamais entr chez un armurier pour acheter de quoi vous tirer une balle dans la tête ».
« […] Alfred avait pour consigne de serrer les dents pendant le coït sans mettre un soupir tandis qu’elle demeurerait aussi stoïque que lorsque sans anesthsie le dentiste taquinait une de ses molaires du bout de sa fraise ».
« Par l’entremise du vaste pavillon en cuivre d’un gramophone perch sur un pidestal dont on avait vol la statue, Edith Piafgueulait “J’ai dans avec l’amour” tandis que du sous-sol montaient les cris des martyrs ».
« Ecrire sur soi-même est une forme d’incontinence ».
« On est condescendant avec les sourds sans statut ni talent mais on prfère les frquenter parcimonieusement. Quand on ne les a pas aperçus assez tôt pour s’être planqu derrière un engin de chantier ou un homme volumineux, on les salue de loin en filant ».
« Si je n’avais pas vu ces images, tu serais rest dans les gouts de ma mmoire ».
« Si je dure aussi longtemps que Madeleine, je serai un centenaire qui ruminera inopinment son père dans son cerveau dessch comme un raisin de Corinthe tandis qu’un aide-soignant bâti comme un colosse balancera jambes en l’air mon corps dcharn pour changer ma couche ».
« Minable descendante de protozoaires devenus difficultueusement êtres multicellulaires pourvus d’encphale, l’humanit n’a aucun motif de pavoiser ».
« C’est hroïque en temps de guerre d’assumer le rôle de bourreau quitte se tromper parfois puisque dans les situations extrêmes le doute ne profite jamais l’accus ».
« Il discourait du matin au soir. La moindre personne connue de lui rencontre dans la rue se voyait douche de langage comme un imprudent sur une jete un jour de tempête par une dferlante. À son bureau, tout le monde en tait tremp. Si bien qu’on le fuyait mais il parvenait toujours trouver quelqu’un qui par gentillesse se laissait inonder ».
« Je ne l’ai jamais entendu non plus parler de sa journe. Il avait fait beau, il avait neig, il avait plu, un chamois avait travers la piste en queue-de-pie, un homme touch par l’orage s’tait enflamm, une dame tait tombe dans une crevasse en chantant une cantate de Jean-Sbastien Bach ».
« Pendant ce temps, Jean-Jacques et Honor entreprirent les sœurs rouges comme de la viande bleue de se retrouver en prsence de deux garçons dont les pantalons la mode du temps moulaient l’appareil gnital dont elles redoutaient par avance la piqûre ».