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Histoires vécues en tant que pilote et FSS: apprentissage du pilotage

Le vol de St-Jean-sur-Richelieu, Québec, vers Edmonton, Alberta, en 1981

(Histoire précédente: des cellules orageuses imprévues)

Je me retrouvai donc aux commandes d’un Cessna 170B (roue de queue) sur un vol à travers le Canada, de St-Jean-sur-Richelieu, Québec vers Edmonton, Alberta. Je pilotais l’appareil en compagnie du propriétaire qui, lui, n’avait pas encore terminé son cours de pilote privé. L’avion volait bien, mais datait de 1952 et ne possédait absolument aucun instrument de navigation aérienne, pas même un VOR ou un ADF. Et l’ère du GPS portatif n’était pas encore arrivée.

Quatorze cartes VFR 1:500, 000 couvrant le vol prévu furent pliées, collées et numérotées. Je traçai les trajectoires prévues sur chaque carte, avec des points de repère séparés de 10 miles entre eux. Cela faciliterait le suivi de notre progression, faute d’équipement de navigation. La préparation effectuée, le décollage se fit par une belle journée d’été de 1981.

Cartes VFR 1:500,000 ayant servies à la préparation et au suivi du vol vers Edmonton, Canada, en 1981
Cartes VFR 1:500,000 ayant servies à la préparation et au suivi du vol vers Edmonton, Canada, en 1981

Il y eut des escales à Gatineau, North Bay, Sudbury et Wawa.

Courte pause à Sudbury lors du vol VFR vers Edmonton en 1981
Courte pause à Sudbury lors du vol VFR vers Edmonton en 1981

Par la suite, le tour du lac Supérieur fut effectué et les prochains points d’étape se succédèrent, via Thunder Bay et Fort Frances. Au-dessus des grandes étendues boisées, sans aucun repère important, il fallait corriger la précession gyroscopique fréquemment de façon à ne pas trop s’éloigner de la trajectoire prévue. Parfois, lorsque cela facilitait la navigation, nous suivions une voie ferrée, et à d’autres moments des routes principales. Par endroit, les vents soufflaient tellement fort de l’ouest que notre déplacement par rapport au sol était plus lent que celui des voitures.

De Fort Frances vers Kenora en 1981, en Cessna C170B
De Fort Frances vers Kenora en 1981, en Cessna C170B

La trajectoire suivie nous tenait volontairement à l’écart des zones de trafic aérien important. Nous avions choisi de voler au nord de la région de contrôle terminale de Winnipeg, évitant ainsi d’avoir à trop échanger avec le contrôle aérien dans un anglais incertain au moyen d’une radio encore moins performante.

Cette option nous amena à devoir traverser le lac Winnipeg, dans sa portion sud. Nous avions l’altitude requise pour être à distance de vol plané du littoral, en cas de panne moteur. Cependant, la masse d’air froid au-dessus du lac nous faisait perdre graduellement plusieurs milliers de pieds, et ce, même si nous utilisions la puissance maximale. La descente non désirée se termina finalement, mais il fallait maintenant que le moteur tienne bon, sinon nous ne pourrions plus éviter un amerrissage…

Traversée du lac Winnipeg avec un Cessna C170B en 1981
Traversée du lac Winnipeg avec un Cessna C170B en 1981

Près de Lundar au Manitoba, les vieux cadrans de l’appareil indiquèrent une perte importante de carburant. Le plein avait pourtant été effectué récemment. Par mesure de sécurité, il fallait poser l’avion sur la piste la plus proche, mais les vents de côté excédaient fortement les capacités de l’appareil. Une tentative fut tout de même effectuée avec pour résultat que seule la roue gauche accepta le contact avec le bitume. Dès que la roue droite entrait également en contact avec la piste, l’avion se remettait à voler.

Un champ tout près fut donc choisi pour effectuer un atterrissage de précaution, histoire de vérifier l’état du carburant. Un survol à basse altitude fut effectué au-dessus des vaches et fils électriques, et l’avion se posa sans problème à une vitesse sol n’excédant pas 15 nœuds. Dans son pick-up rouge, un fermier vint nous rejoindre afin d’offrir son aide. Après avoir vérifié que les réservoirs étaient pratiquement pleins et n’avaient besoin que de quelques litres d’essence, il était temps de continuer le voyage. Les aiguilles des jauges à essence ne seraient plus désormais d’aucune utilité…

Atterrissage dans un champ de Lundar au Manitoba, en 1981, avec un Cessna C170B.
Atterrissage dans un champ de Lundar au Manitoba, en 1981, avec un Cessna C170B.

Dauphin fut survolé et peu de temps après nous disions au revoir au Manitoba. Bienvenue en Saskatchewan! Si nous devions connaître une panne de moteur au-dessus de terrains aussi uniformes, les risques de problèmes à l’atterrissage seraient pratiquement inexistants.

Près de Yorkton, Saskatchewan, en vol avec un Cessna C170B en 1981
Près de Yorkton, Saskatchewan, en vol avec un Cessna C170B en 1981

La météo se dégrada lentement. Nous devions désormais nous poser à Watson, en Saskatchewan, sur la piste la plus proche.

La surface d’atterrissage était constituée de terre boueuse et de gazon, le tout délimité par des petits panneaux de bois peint en rouge. Dès le touché des roues, la boue sur les pneus éclaboussa l’appareil et vint se coller sous les ailes.

La piste de Watson, Saskatchewan, en 1981
La piste de Watson, Saskatchewan, en 1981
Le motel King George à Watson, Saskatchewan en 1981
Le motel King George à Watson, Saskatchewan en 1981

Finalement, le temps s’améliora et il fut possible de redécoller en direction de North Battleford, la dernière escale avant Edmonton. Le terrain en pente nous contraignit à voler de plus en plus bas près d’Edmonton, sous un couvert de stratocumulus, limitant notre vision pour apercevoir à l’avance le bon aéroport parmi les trois disponibles (international, civil, militaire). Tout se passa bien quant au choix du bon aéroport et de l’approche, mais on ne peut en dire autant des communications radio. Le son qui sortait du vieux haut-parleur était pourri et l’anglais parlé par le contrôleur beaucoup trop rapide pour notre niveau de compréhension. La combinaison de ces deux facteurs obligea le contrôleur à répéter plus d’une fois ses instructions jusqu’à ce qu’il se décide finalement à ralentir le rythme et que nous puissions lui dire officiellement : « Roger! »

Après un court séjour à Edmonton vint le moment du vol de retour vers St-Jean. Celui-ci se fit beaucoup plus facilement et rapidement, car les vents de l’ouest poussaient l’appareil. La vitesse-sol était parfois le double de ce que nous avions réussi à obtenir lors de notre voyage vers Edmonton. Le trajet nous aura finalement pris vingt-cinq heures à l’aller et dix-huit au retour.

Cessna C170B en vol au-dessus du Canada, été 1981.
Cessna C170B en vol au-dessus du Canada, été 1981.
En montée vers 9,500 pieds lors du retour vers St-Jean-sur-Richelieu, en 1981.
En montée vers 9,500 pieds lors du retour vers St-Jean-sur-Richelieu, en 1981.
VFR "on top" avec un Cessna C170B en 1981 au-dessus du Canada
VFR « on top » avec un Cessna C170B en 1981 au-dessus du Canada

Au-dessus de North Bay, le temps est idéal. Mais nous devrons atterrir à Ottawa en attendant que des cellules orageuses s’éloignent de Montréal et de St-Jean-sur-Richelieu. Après un grand total de quarante-trois heures de vol, le vieux Cessna 170B était de nouveau posé à St-Jean-sur-Richelieu.

(Prochaine histoire: la licence d’instructeur de vol)

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