« Wagner » est un roman graphique de qualit, fruit d’une recherche srieuse base sur de très nombreuses sources connues ou confidentielles.
Grâce au fait qu’une grande concentration de donnes pertinentes se retrouve dans un seul volume, le lecteur comprend rapidement et mieux le rôle international de ce groupe de mercenaires que supporte Vladimir Poutine et qui a pu s’implanter progressivement au Mali, en Centrafrique, en Lybie et en Syrie, avant d’attaquer les Ukrainiens.
On y trouve les noms de multiples compagnies, socits et fondations (socit Concord, IRA [Internet Research Agency], SEWA Security Services, Lobaye Invest, M-Finance, M-Invest, Meroe Gold, Midas Resources, First Industrial Company, International Global Logistic [IGL], Alpha Development, Marko Mining, Prime Security, etc.) et une foule d’intervenants ayant jou un rôle majeur dans le partage du contrôle des ressources naturelles (mines, forêts, etc) en Centrafrique et au Mali.
Le bouquin montre comment le manque de clairvoyance de certains politiciens et des services de renseignements permet Wagner de s’implanter sans trop de difficults en Afrique. Il claire ainsi le dpart prcipit des Français au Mali et des Chinois au sud de Bamako.
Les dirigeants africains et la douane ferment les yeux sur les oprations de transfert de l’or et du diamant vers la Russie. Mais je n’ai pas besoin de creuser bien loin dans ma mmoire pour souligner que de nombreuses grandes puissances ont pu bnficier d’un traitement similaire dans d’autres endroits sur notre belle planète.
Le scnariste et dessinateur Thierry Chavant prend soin de ne pas censurer outre mesure les actions des mercenaires de Wagner qui se prennent parfois pour des soldats. Les dessins explicites clairent les crimes commis par ces tueurs, dont les viols, la torture et l’limination systmatique de centaines de personnes la fois.
Malgr ces mthodes radicales, les mercenaires n’ont pas la vie facile face des opposants bien dtermins. Wagner perdra de nombreux combattants en Afrique en se mesurant aux jihadistes, mais beaucoup moins qu’en Ukraine où ce sera littralement une dbâcle pour le groupe, avec des dizaines de milliers de morts et de blesss.
Même Evgueni Prigojine et Dmitri Outkine y laisseront leur vie quand le jet priv dans lequel ils se trouvent explosera au-dessus de la Russie. La question que je me pose encore aujourd’hui : comment peut-on être assez innocent pour continuer de survoler la Russie en toute quitude après avoir tent de s’emparer du pouvoir par la force ?
Le livre confirme que la gostratgie internationale a deux visages : un côt acceptable, où les diplomates et hommes d’affaires s’activent pour obtenir des avantages pour eux ou pour leur pays. Mais il y a aussi ce travail dans l’ombre, beaucoup plus violent et où les grands principes s’effacent devant le dsir de gagner de nouveaux territoires avec les richesses qui s’y trouvent. Et l, tous les moyens sont bons pour arriver au but, qu’il s’agisse de financement obscur, de menaces, d’excutions sommaires, de renversement de gouvernement et même d’esclavage moderne.
Le slogan politique de Donald Trump « Make America great again » (rendre l’Amrique sa grandeur) ne fait aucun sens lorsqu’analys en fonction de ses paroles et actions.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur si votre plateforme politique ne prsente pas un plan d’action dtaill pour la population. Des formules faciles telles que « Regardez-moi cette foule! », « Nous allons construire un mur! » et « J’aurais bien aim lui casser la gueule! » ne sont pas des promesses pour un futur glorieux.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur si vos ides conomiques impliquent d’isoler les Etats-Unis de ses partenaires commerciaux de longue date. Les Etats-Unis ont cr 255,000 emplois dans le seul mois de juillet (2016). Pour un pays qui, selon Trump, cède tout l’avantage de ses partenaires commerciaux, cela semble un peu contradictoire. Une plateforme populiste n’aidera pas les Amricains grandir et comprendre comment fonctionnent les affaires.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en accroissant les tensions entre groupes ethniques l’intrieur des Etats-Unis.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en mentant constamment. Plusieurs dclarations de Trump se sont avres mensongères.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur si les quelques propositions gnrales que vous mettez de l’avant se contredisent entre elles. Donald Trump promet d’abaisser le dficit amricain (23 trillions de dollars) et, du même coup, rpète qu’il dpensera des milliards et des milliards de dollars pour remettre jour la capacit militaire du pays. Ceci est totalement contradictoire et implique que la population amricaine devra payer pour les nouvelles dpenses en même temps qu’elle absorbe les fortes compressions budgtaires. Etant donn que les riches Amricains ne veulent pas payer davantage, et que les Amricains les plus pauvres sont peine capables de survivre, cela implique qu’une classe moyenne en train de disparaître s’occupera de rgler la note. Cela ne rendra pas l’Amrique sa grandeur, mais crera plutôt la crise interne la plus grave qui ait jamais frapp les Etats-Unis.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en tant impoli et brusque, en insultant et vous moquant de quiconque ne partage pas vos ides. Cette attitude n’aide pas rendre l’Amrique sa grandeur.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en tant condescendant envers les prisonniers de guerre. Pendant que certains Amricains taient faits prisonniers de guerre, Donald Trump profitait d’une vie confortable dans la scurit de sa demeure.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en abaissant le dbat politique un niveau jamais atteint auparavant.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en considrant que la dictature est synonyme de leadership. Vu sous cet angle, Hitler serait un grand leader et nous connaissons tous les consquences de ses actions. Offrez la prsidence un go gigantesque et hors de contrôle et les Amricains, autant que le reste du monde, en paieront le prix.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en ridiculisant le Mexique, un voisin extrêmement important. Ce pays est un partenaire commercial majeur des Etats-Unis et a galement une culture fantastique, pour quiconque est suffisamment curieux pour ouvrir un bouquin et s’instruire sur le sujet. Mais cela prend de la curiosit et le sentiment qu’il y a d’autres personnes importantes sur cette planète autre que soi-même.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur si les candidats rpublicains la vice-prsidence et la prsidence se contredisent l’un et l’autre sur des sujets très importants la tlvision nationale, et si le candidat la vice-prsidence se retrouve incapable de dfendre les positions du candidat la prsidence.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur si le candidat rpublicain la prsidence ne comprend pas les consquences qui dcoulent d’une attitude nationaliste populiste. Les Allemands sont passs travers cette exprience dans le pass. J’ai inclus un vido qu’il vaut vraiment la peine d’couter jusqu’au bout :
Esprons que le ressentiment actuel exprim envers l’afflux de plus d’un million de rfugis accepts rcemment en Allemagne ne favorisera pas la monte de l’extrême droite et une rptition des erreurs du pass.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en gouvernant par la peur. Cela n’offre pas un futur prometteur. Vous avez alors une population qui a besoin de plusieurs armes feu par personne pour pouvoir se sentir en scurit et bien dormir la nuit.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur si vous poussez la population s’armer plus que tout autre pays dans le monde. Les tueries entre Amricains placent le pays en première position pour la violence dans le monde. Vous pouvez redonner de la grandeur l’Amrique en rduisant le nombre d’armes en circulation et en augmentant le contrôle quant l’acquisition de ces armes.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur si vous ne comprenez pas bien, en tant que prsident, ce qui se passe rellement en Syrie en 2016. Rsumer la situation de façon simpliste ne fait qu’augmenter la confusion. En Syrie, il y a des crimes de guerre qui sont perptrs. La population civile et les hôpitaux sont dlibrment bombards pour protger et amliorer les positions stratgiques militaires.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en disant qu’Hillary Clinton sera envoye en prison si vous devenez prsident des Etats-Unis. Ceci se fait sous les rgimes autoritaires autour de la planète et ne constitue en rien une promesse qui aidera amliorer la crdibilit des Etats-Unis dans le monde libre.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en dstabilisant les allis de l’OTAN ou en disant que vous utiliseriez la bombe nuclaire contre l’Europe si cela tait ncessaire.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en promettant que vous mettrez de l’avant des rformes sur les impôts des socits qui feront en sorte que cela nuise vos propres entreprises. Quelqu’un qui s’est battu pour maintenir ses hôtels et casinos en vie ne changera pas soudainement d’ide une fois lu prsident des Etats-Unis. Il ne mettra pas en place des mesures qui mettront en danger ce qu’il a pris tant de temps sauvegarder. Cela ne fait pas de sens. La personne qui est la mieux place pour modifier une loi qui risque de nuire des entreprises est celle qui ne possède pas elle-même ces entreprises.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en lisant quelqu’un qui dteste les frquents breffages. Être prsident des Etats-Unis requiert d’être disponible, intress et capable d’couter les multiples breffages quotidiens. Vous devez avoir la personnalit pour accepter cela, même si vous voudriez plutôt être ailleurs.
Vous ne pouvez pas rendre l’Amrique sa grandeur en demeurant silencieux sur la façon de diminuer de façon raliste les diffrences de revenus entre Amricains. Je ne parle pas d’galit de revenus, mais d’une diminution des extrêmes entre riches et pauvres. Cela aiderait certainement remettre de l’avant le « rêve amricain », abaisserait les tensions sociales et le taux de criminalit et donnerait davantage de sens au slogan « Redonner l’Amrique sa grandeur… ». Mais nous n’en sommes pas encore l…
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Comme il s’agit d’un livre crit en anglais, j’ai dû prendre la libert de traduire les citations pour faciliter la vie aux lecteurs unilingues francophones.
« Patrick Cockburn a not l’mergence d’ISIS beaucoup plus tôt que toute autre personne et crit sur ce sujet avec une profondeur telle qu’elle se trouve dans une catgorie part. » – Press Gazette Journalist of the Year Judges
Le livre nous prsente une image plus large de ce qui se produit au Moyen-Orient. Il donne de la profondeur aux nouvelles des grands rseaux. Le lecteur prend ainsi connaissance du côt moins mdiatis de chaque histoire, ce qui aide acqurir une meilleure comprhension des diffrents conflits.
Des nouvelles plus ou moins exactes, et parfois des mensonges.
L’auteur dvoile la facilit avec laquelle les mensonges peuvent être fabriqus sur un champ de bataille. Il dmontre galement que les informations peuvent être plus ou moins exactes, comme dans le cas où un journaliste pralablement « choisi » voyage protg par une arme, ou encore lorsque des journalistes se fient des informations de seconde main non vrifies pour prparer les nouvelles du soir.
Il semble galement passablement difficile pour un rseau de nouvelles de refuser de diffuser une histoire lorsque des doutes subsistent son sujet, spcialement lorsque les comptiteurs ont dcid de diffuser cette même nouvelle.
J’ai plac les citations du livre en italique tant donn qu’elles offrent d’excellents rsums. Certaines sont de l’auteur lui-même, d’autres proviennent de sources qu’il a trouves pour crire son livre. L’auteur soulève tellement de sujets qu’il m’est impossible de tout couvrir dans un rsum. Je tenterai d’être aussi bref que possible pour prsenter la perspective la plus large possible du contenu du livre.
La peur.
La peur est le facteur principal derrière plusieurs dcisions politiques irrationnelles. La peur amène une radicalisation des politiques, des religions et de la propagande. Elle est souvent relie un très petit groupe d’individus qui dirigent un pays, un tat ou une rgion lorsque ces derniers croient qu’ils peuvent perdre le pouvoir politique leur offrant des privilèges indus par rapport au reste de la population. Plus les avantages sont grands, plus grande est la peur.
Les « solutions » politiques, la plupart du temps irrationnelles, crent des tensions ou aggravent des problèmes existants et aident seulement accroître l’instabilit.
L’Arabie Saoudite aidait initialement ISIS cause de sa peur des jihadistes oprant l’intrieur de leur pays et galement cause de sa peur du pouvoir chiite l’extrieur du pays. En ce qui concerne la Turquie, elle a plus peur des Kurdes qu’elle ne craint ISIS. Pour une longue priode, la Turquie a donc laiss sa frontière permable avec la Syrie : cela a permis ISIS de compter sur une base arrière en cas de repli obligatoire temporaire.
L’auteur dit : « Il y a quelque chose d’hystrique et d’exagr propos de la peur que l’Arabie Saoudite entretient quant l’expansionnisme chiite, tant donn que les chiites ne sont puissants que dans la poigne de pays où ils sont en majorit ou en forte minorit. Sur cinquante-sept pays musulmans, seulement quatre ont une majorit chiite. » (p.102)
La dmonisation des religions autres que le Wahhabisme.
Dans le cas de l’Arabie Saoudite, la dmonisation des religions autres que le Wahhabisme et l’talage de la haine travers les mdias sociaux ont cr un territoire fertile la croissance d’ISIS.
L’auteur dit : « […] Les Saoudiens doivent srieusement s’attaquer rformer leur système d’ducation qui dmonise actuellement les chiites, sufis, chrtiens, Juifs et autres sectes et religions. Ils doivent cesser de prêcher la haine au moyen de tellement de stations satellites et ne pas offrir de passe-droit aux prêcheurs de haine sur les mdias sociaux »(p.107)
« La « Wahhabisation » de l’Islam sunnite est un des plus dangereux dveloppements de notre ère » (p.108)
L’argent favorise la polarisation entre Sunnites et Chiites.
« ISIS n’aurait pu croître en popularit sans le soutien financier de l’Arabie Saoudite, du Qatar, des Emirats Arabes Unis et de la Turquie. Etant donn qu’ISIS se nourrit des tensions entre les sunnites et les chiites, tout ce qui augmente la tension entre sunnites et chiites bnficie au groupe terroriste : « Il n’y a aucun doute qu’une propagande wahhabite bien finance a contribu a l’accroissement d’un conflit de plus en plus violent entre sunnites et chiites » (p.99)
« Un aspect crucial de la monte du Wahhabisme est le pouvoir financier et politique de l’Arabie Saoudite. Le Dr Allawi dit que si, par exemple, un musulman pieux veut fonder un sminaire au Bangladesh, il n’y a pas beaucoup d’endroits où il pourra obtenir 20,000£ autres que l’Arabie Saoudite. Mais si la même personne veut s’opposer au Wahhabisme, il devra alors le combattre avec des ressources limites » (p.108)
« Cette polarisation entre deux groupes religieux n’a fait que s’intensifier travers la guerre chaude et froide que se livrent les Etats-Unis et la Russie. Des mandataires taient ici au travail, avec l’Arabie Saoudite et les monarchies du golfe Persique, supportes par les Etats-Unis, face l’Iran, la Syrie et le Hezbollah au Liban appuys par la Russie » (p.71)
Une propagande qui a fait qu’Al-Qaïda est apparue plus forte et efficace qu’elle ne l’tait en ralit, en rfrence aux attaques du 11 septembre 2001.
Plusieurs sections du livre font rfrence, un moment ou l’autre, aux attaques du 11 septembre 2001. Voici quelques-unes des observations de l’auteur (en italique). J’ai galement ajout des commentaires personnels clairement identifis comme tels :
L’instant Pearl Harbor des attentats du 11 septembre 2001.
L’auteur crit : « Le choc des attentats du 11 septembre 2001 a gnr un « moment » Pearl Harbor aux Etats-Unis où la rvulsion et la peur du public ont pu être manipules pour implmenter un agenda noconservateur prexistant en pointant Saddam Hussein et en envahissant l’Irak » (p.100).
Note : les cinq paragraphes suivants constituent un commentaire personnel sur « l’instant Pearl Harbor » :
Un « instant Pearl Harbor » signifie qu’afin que les Amricains approuvent une attaque en sol tranger, ils devaient voir quelque chose de terrible se produire aux Etats-Unis. Par exemple, avant la destruction vidente de navires de guerre Pearl Harbor par les Japonais, les Amricains avaient refus de s’engager dans la Seconde Guerre mondiale.
Durant les attentats du 11 septembre 2001, et même plus tard, les quatre-vingts camras du Pentagone n’ont pas pu capturer quoi que ce soit ressemblant de près ou de loin un Boeing 757 frappant le bâtiment. Vous deviez croire que les choses s’taient produites exactement comme vous le disaient les nouvelles tant donn qu’il n’y avait pas de photos ni de vidos d’un Boeing en morceaux sur le terrain du Pentagone.
Les mdias ont plutôt jou et rejou les scènes vidos où les tours jumelles du World Trade Center s’crasent complètement jusqu’au sol après avoir t touches par un seul avion chacune, même si les bâtiments taient construits pour rsister des impacts multiples, travers un design « moustiquaire », une leçon apprise travers ce qui tait arriv des annes plus tôt avec l’Empire State Building.
Des gens ont cru que les bâtiments s’taient crass cause de la chaleur trop leve, mais plusieurs ont nglig le rapport de la FEMA mis plus tard affirmant que la temprature ne s’tait pas leve plus de 300 ou 400 degrs l’intrieur du bâtiment, des centaines de degrs en moins que ce qui tait ncessaire pour faire fondre l’acier.
La chute libre des tours jumelles du World Trade Center a constitu « l’instant Pearl Harbor » ncessaire pour provoquer la peur et faciliter l’implmentation d’un agenda noconservateur prexistant. Les lecteurs amricains n’auraient pas approuv une guerre en règle l’tranger si les bâtiments taient demeurs debout après un seul impact. C’est un peu comme si le monde devait croire que le World Trade Center a t bâti en utilisant la pire ingnierie amricaine tout en ne retenant aucune leçon du pass. Pour plus d’infos sur ce sujet spcifique:
En 2001, Al-Qaïda tait une organisation sans grande efficacit.
Patrick Cockburn est un parmi très peu de journalistes qui n’a pas peur de prsenter Al-Qaïda telle qu’elle tait en 2001, une organisation mergente qui tait loin d’être capable de planifier et excuter des attaques aussi complexes que celles du 11 septembre 2001. (Cela explique aussi pourquoi, peu de temps après les attaques, les nouvelles internationales ont prsent une vido de Ben Laden niant sa responsabilit pour les attaques. Une vido qui n’a jamais t remontre. Mais plusieurs millions de personnes l’ont vue avant qu’elle ne soit censure subsquemment par les grands rseaux).
« Au moment de 9/11, Al-Qaïda tait une petite organisation gnralement inefficace »(p.59). L’auteur utilise en anglais le terme « ineffectual », qui rfère l’incapacit de produire un effet dsir.
L’implmentation de l’agenda noconservateur.
Cela signifie en ralit que l’agenda prexistant noconservateur amricain ne pouvait compter sur l’exprience d’Al-Qaïda. Il a plutôt fallu l’aide d’une ou plusieurs organisations exprimentes pour le financement, la planification et l’excution des attaques du 11 septembre 2001. Seulement après les faits Al-Qaïda a-t-elle pu être blâme tant donn qu’elle tait maintenant bien connue des Amricains, après toute la propagande des mdias. Un lien artificiel a par la suite t fait avec l’Irak, permettant une invasion que soixante pour cent des lecteurs amricains ont autorise.
Soixante pour cent des lecteurs amricains ont t induits en erreur.
L’auteur crit : « Le nom Al-Qaïda a toujours t utilis de façon lastique pour identifier un ennemi. En 2003 et en 2004 en Irak, alors que l’opposition irakienne l’occupation amricaine et britannique s’accentuait, les autorits amricaines ont attribu presque toutes les attaques Al-Qaïda alors que plusieurs taient le fait de groupes nationalistes et baathistes. Une telle propagande a aid persuader près de soixante pourcent des lecteurs amricains avant l’invasion en Irak qu’il y avait une connexion entre Saddam Hussein et les responsables de 9/11, malgr une absence complète de preuves sur le sujet. En Irak, et travers le monde musulman, ces accusations ont grandement bnfici Al-Qaïda en exagrant son rôle dans sa rsistance l’occupation amricaine et britannique » (p.53)
La chute de Mosul.
ISIS n’a eu besoin que de 6000 combattants pour gagner la Bataille de Mosul. Pourtant, le groupe arm faisait face un million de soldats irakiens. Comment cela a-t-il t possible? L’auteur voit trois raisons :
1. La coopration des sunnites irakiens, qui sentaient qu’ils taient mieux protgs par ISIS que par les chiites. 2. Une corruption tous les niveaux dans l’arme irakienne : « Comme un ancien ministre l’a dit, « le gouvernement irakien est une kleptocratie institutionnalise ». Un autre politicien qui ne veut pas être nomm a dit « […] Les gens donnent de l’argent pour faire partie de l’arme [pour obtenir un salaire] – mais ce sont des investisseurs, pas des soldats » (p.77) 3. Le fait que l’arme irakienne ne soit dsormais plus une arme nationale, tant donn que les soldats sunnites bien entraîns ont t mis de côt.
Syrie : le prsident Bachar Assad n’tait pas aussi faible qu’on le croyait.
Autant le monde extrieur que l’opposition percevaient le prsident Assad comme beaucoup plus faible qu’il ne l’tait en ralit. Tous pensaient qu’il serait dfait sans l’aide d’une campagne arienne organise.
Une omission majeure quant la guerre en Syrie.
« Les Etats-Unis et autres pouvoirs occidentaux ont chou prvoir qu’en supportant une rvolte arme en Syrie, ils dstabiliseraient invitablement l’Irak et provoqueraient une nouvelle ronde d’une guerre civile sectaire » (p.73)
Cinq diffrents conflits en Syrie.
Le conflit syrien est extrêmement compliqu tant donn qu’il y a plusieurs intrêts politiques et religieux en jeu : « La crise syrienne comprend cinq diffrents conflits qui s’infectent entre eux et s’exacerbent mutuellement. La guerre a commenc avec une rvolte populaire vritable contre une dictature brutale et corrompue, mais elle a vite t mlange au conflit entre sunnites et alawites, pour ensuite dgnr dans un conflit rgional global entre chiites et sunnites avec d’un côt une alliance reprsente par les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et les tats sunnites et, de l’autre côt, l’Iran, l’Irak et les chiites libanais. En plus de tout cela, il y a eu un renouveau dans la guerre froide entre Moscou et l’Occident, exacerbe par le conflit en Libye et de façon rcente s’aggravant encore cause de la crise en Ukraine » (p.94)
En Syrie, c’est un choix entre Assad ou ISIS.
ISIS est la plus importante force d’opposition en Syrie. Si Bachar Assad tombe, ISIS prend sa place : « Les Syriens ont le choix entre une dictature violente, dans laquelle le pouvoir est monopolis par la prsidence et des services de scurit brutaux, ou une opposition qui tire en plein visage des enfants pour un blasphème mineur et envoie des photos de soldats dcapits aux parents des victimes ». (p.81)
Les victoires octroyes par Dieu.
« L’attrait de l’Etat islamique pour les musulmans sunnites de Syrie, d’Irak et d’ailleurs dans le monde vient en partie du sentiment que ses victoires sont octroyes par Dieu et invitables, donc toute dfaite endommage sa prtention un support divin » (p.159)
La solution au conflit syrien viendra de l’extrieur du pays.
« Plusieurs Syriens voient maintenant une solution leur guerre civile comme tant largement entre les mains des Etats-Unis, de la Russie, de l’Arabie Saoudite et de l’Iran. En cela, ils sont probablement corrects ».
Notes supplmentaires.
La guerre ne concerne jamais que le « combat ». Il y a toujours un processus politique sous-jacent qui est en marche. Donc, même si un pays semble militairement dfait, d’normes efforts politiques devront être faits si l’on veut crer un nouvel ordre stable.
« La conviction qu’un gouvernement toxique est la base de tout ce qui est mauvais est la position publique de la plupart des oppositions, mais il est dangereux de se fier l’agenda personnel de toute personne. »
« Un gouvernement ou une arme peut tenter de maintenir le secret en interdisant les journalistes, mais il devra payer le prix tant donn que l’absence de nouvelles est remplace par de l’information fournie par leurs ennemis».
Etat Islamique, Daech, ISIS : trois noms pour dsigner le même groupe terroriste
De façon rduire les risques de confusion pour le lecteur, l’auteur, Alexandre Adler, prsente immdiatement trois noms qui signifient une même entit : Etat islamique, Daech, ISIS. Il explique ce que dsire ISIS : tablir un califat sur le Levant, un territoire qui s’tend de la Mditerrane au golfe Persique et qui inclue le Liban, la Syrie, l’Irak et la Palestine.
Le concept de « califat » et les raisons du dsir de son rtablissement sont clairement expliqus.
Modification du rapport de force entre sunnites et chiites
ISIS recherche des zones en dcomposition où s’implanter. Il se nourri des tensions très fortes cres par l’ingalit croissante entre deux groupes : les sunnites et les chiites. Les sunnites, groupe religieux plus conservateur, ont perdu normment d’influence la suite de la mort de Saddam Hussein. On tente aujourd’hui de rparer les pots casss en s’assurant que le pouvoir en Irak prend en considration les intrêts des deux groupes.
Les mouvements radicaux puisent chez les insatisfaits
Les sunnites ont constat la force croissante de l’axe chiite : Beyrouth, Damas sous Bachar Assad, Bagdad sous Maniki, et surtout la monte de l’Iran moderne, qui est galement constitu d’une majorit chiite. Utilisant ce dbalancement des nouveaux rapports de force, ISIS a su recruter des officiers militaires et des chefs de tribus arabes et sunnites insatisfaits.
L’auteur insiste donc sur le fait que les mouvements radicaux puisent la base chez les insatisfaits, les laisss pour compte. Il donne un autre exemple susceptible de crer de l’insatisfaction : la colonisation.
Une division des territoires qui ne tient pas compte du facteur humain
La colonisation modifie les rapports de force l’intrieur d’une population. L’auteur tant Français, il cite en exemple la façon dont la France est intervenue au Sahara, en divisant des territoires sans tenir compte du facteur humain. Avec la mise en place de nouvelles frontières, la tribu des Touaregs a soudainement t divise en trois.
Cette tribu ayant refus de se soumettre une autorit nouvelle, en l’occurrence le gouvernement du Mali, des tensions ont t cres et se sont accrues avec le temps, faute d’accommodement raisonnable.
Le dictateur Kadhafi, depuis la Libye, a compris qu’il pouvait tirer profit de la situation et a soutenu le mouvement de rsistance des Touaregs. Kadhafi ayant t abattu, les Touaregs se sont alors tourns vers une nouvelle forme de support : les jihadistes. De fil en aiguille, une tribu autrefois autonome est devenu un terreau fertile pour les jihadistes.
Entre Al Qaëda et ISIS, Boko Haram choisit ISIS
L’auteur explique qu’au Nigeria, Boko Haram est n des tensions internes entre le nord du pays qui possède le pouvoir politique et le sud du pays où la population bnficie des revenus engendrs par les ressources ptrolières. En 2014, Boko Haram se range du côt d’ISIS. Pourquoi? ISIS, contrairement Al Qaeda, souhaite un affrontement gnralis avec les chiites. Boko Haram a choisi le mouvement le plus radical.
Apparition et disparition du pouvoir califal
Le pouvoir califal tabli une continuit thologique et politique de l’Etat instaur dès 622 par le Prophète Mdine. L’auteur numère les raisons des multiples apparitions et disparitions de ce pouvoir califal depuis l’an 622. Le dernier changement a t apport en 1923, alors que Mustapha Kemal a aboli le califat.
Quel groupe religieux incarne le vritable islam?
Des tensions existent entre chiites et sunnites au sujet du califat et du groupe qui incarne le vritable islam. La division date de plusieurs siècles. Les chiites considèrent qu’Ali, le quatrième successeur du Prophète, a t victime de complots au moment où il tentait un redressement tatique et moral de l’islam. La dfaite d’Ali a conduit la division entre chiites et sunnites. Les chiites considèrent qu’ils sont les dtenteurs du vritable islam. Ils dfendent ce point de vue depuis des siècles, malgr les perscutions sunnites.
Les chiites sont contre un rtablissement prcoce du califat
L’auteur signale qu’il y a de profondes divergences d’opinions quant aux vues philosophiques, thologiques et politiques entre les deux groupes. À cause de ces raisons, les chiites sont contre un rtablissement prcoce du califat, ce qui porte les sunnites les plus radicaux et, travers eux ISIS, leur mener une guerre totale.
L’axe sunnite est reprsent par l’Arabie Saoudite et l’Egypte, bien qu’entre ces deux pays existe galement une certaine rivalit.
La crainte de l’Arabie Saoudite
Les saoudiens craignent la naissance d’un mouvement politique chiite puissant sur leur territoire; ils estiment qu’il y aurait un risque de perdre le contrôle de leurs installations ptrolières, ce qui constitue la base de la richesse en Arabie Saoudite. L’auteur dit des Saoudiens qu’ils financent « tous les mouvements anti-chiites dans le monde arabe, y compris le jihad sunnite en Irak ».
Le retour de l’Iran
Le retour de l’Iran, puissance chiite, sur l’chiquier mondial ajoute une quation dj complexe. L’auteur nous explique qu’il y a traditionnellement des tensions entre l’Iran Perse et les Arabes. Mais il y a autre chose : l’Iran, l’instar de certains autres pays de la rgion, soutient maintenant des positions plus modres : « L’Iran est en train de changer radicalement d’orientation et de prparer son retour sur la scène mondiale, comme un pays ouvert, pluraliste, pratiquant une dmocratie chiite, certes imparfaite, mais en train de vivre sa perestroïka ».
Une lutte entre extrmisme et modration
L’adoption de positions plus modres est loin de plaire un groupe politique extrmiste comme ISIS. L’accord amricano-iranien sur le nuclaire, en 2013, et les avances plus rcentes de 2015, correspondent une accentuation marque des actes terroristes commis par ISIS.
Les atrocits contre l’humanit replaces dans un contexte historique
Les mdias rapportent rgulièrement les atrocits perptres par ISIS. Selon l’auteur, cette mdiatisation donnerait une fausse impression de la force de l’Etat islamique : ISIS commettrait aujourd’hui de tels actes contre l’humanit du fait de sa faiblesse relative.
Dans son livre, l’auteur fait un rapprochement entre les actes d’ISIS et les crimes de guerre et atrocits commis par d’autres rgimes travers les dcennies. Il situe ces actes des moments qui correspondent tous une dernière tentative de survivre avant d’être dfaits complètement et d’être remplacs par des partis modernes et modrs.
Bref, travers la dfaite d’ISIS et des rgimes de terreurs similaires, l’auteur annonce l’mergence des grandes nations musulmanes modernes.
Une petite rserve
La seule rserve que je soulèverais porte sur le passage où l’auteur rpète, sans nuancer et l’instar des grands mdias, que Ben Laden est responsable des attentats du 11 septembre 2001 New-York. Cette version des faits a toujours t âprement discute, et ce, depuis les premières heures de l’attentat. Il n’y a pas que les « conspirationnistes » qui ont soulev ce point. Mais tout le monde sait qu’ force de rpter quelque chose, cela devient une vrit absolue. Noam Chomsky et d’autres auteurs de renom ont couvert ce sujet en long et en large.
Titre : Le califat du sang Auteur : Alexandre Adler Editions : Grasset & Fasquelle, 2014. ISBN : 978-2-246-85457-9