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Roman graphique et bandes dessinées

Le piège américain : les dessous de l’affaire Alstom

Roman graphique "Le piège américain".
Roman graphique « Le piège américain ».

Frédéric Pierucci est un haut dirigeant d’Alstom, une gigantesque société française liée au domaine énergétique. Grâce à une loi extraterritoriale américaine (FCPA Foreign Corrupt Practices Act)   qui permet au gouvernement américain de poursuivre toute firme étrangère visée pour corruption, on l’arrête arbitrairement en 2013 à sa descente d’avion à New York.

Pierucci n’a pas touché d’argent dans ces opérations, mais il est au courant qu’Alstom est visée pour malversation et que la compagnie utilise des « intermédiaires » pour assurer l’obtention de contrats. On l’incarcère donc pendant des mois et Alstom le laisse finalement tomber, croyant que les Américains se satisferont de l’emprisonnement de ce haut dirigeant. Pierucci devra tenter de se sortir seul du bourbier dans lequel on l’a plongé.

Une page du roman graphique "Le piège américain".
Une page du roman graphique « Le piège américain ».

La justice américaine veut faire pression sur Pierucci, même s’il n’est pas directement impliqué dans les pots-de-vin, pour qu’il livre des détails qui incrimineraient la direction d’Alstom, dont le P.-D.G. Patrick Kron. Le rude traitement judiciaire dont Pierucci est victime vise aussi à intimider les autres cadres haut placés de la compagnie en leur montrant ce qui les attend s’ils ne coopèrent pas pour rectifier les erreurs du passé.

Le but premier semble de corriger des stratagèmes déloyaux qui nuisent aux compagnies américaines et, par le fait même, obtenir de très fortes compensations monétaires. L’opération est un succès : les effets de l’arrestation arbitraire de Pierucci pavent la voie en quelques années à la vente d’une filiale stratégique d’Alstom à General Electric, son principal concurrent.

Endos du roman graphique "Le piège américain".
Endos du roman graphique « Le piège américain ».

Les manœuvres visent aussi à mettre la main sur des informations qui autrement demeureraient confidentielles. Cette loi extraterritoriale américaine fonctionne bien et permet de s’attaquer à de très nombreuses compagnies à travers le monde, dont la compagnie internationale allemande Siemens. À chaque fois, le fautif se voit obligé de payer des amendes importantes et doit soumettre au poursuivant des documents de compagnie considérés confidentiels et parfois même secrets.

Il est difficile de savoir qui exactement aura accès à ces documents. Est-ce possible que des agents (on ne les appellera pas « espions » par politesse) transmettent des informations reliées aux secrets industriels à des personnes travaillant en dehors du département de la justice américaine? De telles actions permettraient aux compagnies américaines d’améliorer leur compétitivité à peu de frais. Ce sont des questions que se posent les cadres des compagnies visées.

Quoi qu’il en soit, tout n’est pas très propre dans cette histoire. L’auteur Matthieu Aron écrit : « À l’automne 2018, après la libération définitive de Frédéric [Pierucci], nous avons terminé notre livre. Mais là encore, ce ne fut pas sans difficulté. Le lendemain de l’envoi de notre manuscrit à notre éditeur, mon domicile était “visité” et mon ordinateur disparaissait. Simples cambrioleurs, barbouzes, ou action d’un service étranger ? Nous ne le saurons sans doute jamais ».

Le piège américain prix littéraire nouveaux droits de l'homme 2019
Le piège américain prix littéraire nouveaux droits de l’homme 2019

Mon commentaire suite à la lecture du roman graphique.

La Chine observe.

L’efficacité de cette loi extraterritoriale américaine n’a pas échappé à la Chine, qui se propose de concevoir une loi semblable qui l’autoriserait à faire main basse sur des informations et documents autrement inaccessibles.

Face à ces deux colosses que sont les États-Unis et la Chine, l’Europe a pris du retard et il faudra bien qu’elle aussi crée sa propre loi lui permettant d’étendre son pouvoir judiciaire en dehors du continent. Car nul n’est dupe : les pots-de-vin pour l’obtention de contrats concernent de multiples pays. Les poursuites au moyen d’une loi extraterritoriale donnent accès non seulement à des sommes importantes, mais aussi à des documents contenant des informations importantes et possiblement à des secrets industriels.

Autre publication portant sur "Le piège américain".
Autre publication portant sur « Le piège américain ».

L’expérience d’Alstom aura au moins eu l’effet de mieux préparer la France au moment où, un peu plus tard, le géant Airbus a été visé pour malversation par la même loi américaine. Airbus ne fabrique pas que des avions, mais aussi de nombreux produits militaires stratégiques protégés par le secret. Cette fois, on a refusé le prélèvement généralisé d’informations confidentielles de la compagnie sans qu’un citoyen français soit nommé comme intermédiaire et que les documents remis aux Américains soient revus pour s’assurer qu’ils ne comportent pas de secrets militaires ou autres renseignements n’étant pas directement reliée aux accusations de corruption.

Aujourd’hui, Airbus connaît un grand succès et vend mensuellement davantage d’avions que Boeing, qui connaît des difficultés quant à la façon dont la compagnie fabrique ses aéronefs. Et on a le droit de penser que la haute direction d’Airbus a amélioré ses pratiques commerciales.

Cliquez sur le lien pour d’autres romans graphiques et bandes dessinées   sur mon blogue.

Titre : Le piège américain – les dessous de l’affaire Alstom.

Auteurs : Matthieu Aron, Frédéric Pierucci

Dessin et couleur : Hervé Duphot

Éditions : Delcourt/Encrages © 2021

ISBN : 978-2-413-03738-5

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Romans Sujets controversés

La ballade de Rikers Island.

La ballade de Rikers Island par Régis Jauffret.
La ballade de Rikers Island par Régis Jauffret.

Pour avoir écrit ce livre sur l’affaire du Sofitel impliquant Dominique Strauss-Kahn (qui n’est jamais nommé explicitement dans le roman), Régis Jauffret et la maison d’édition du Seuil ont été poursuivis en diffamation et condamnés par un tribunal français. Ils sont allés en appel et ont de nouveau perdu. La Ballade de Rikers Island n’en reste pas moins très bien écrit, dans un style qui est assez unique. Ceci dit, il me semble que le livre aurait pu être abrégé sans nuire au propos.

Pour ceux qui l’ignoreraient, Rikers Island est une prison aux États-Unis où Dominique Strauss-Kahn (DSK) a fait un séjour immédiatement après une histoire d’agression sexuelle qui aurait impliqué le défendeur et une préposée aux chambres, Nafissatou Diallo, de l’hôtel Sofitel de New York.

Voici quelques citations qui donnent une idée du style littéraire de l’auteur, un style où l’humour, parfois assez noir, est souvent présent. Pour ce qui est des extraits les plus durs en ligne avec le propos immédiat du livre, je me suis gardé une petite gêne dans ma sélection, mais vous pouvez toujours trouver le livre en format poche dans de multiples librairies. Voici cependant quelques extraits (sauf le dernier) qui ne devraient pas trop froisser les âmes sensibles.

« [Dans la cellule] … un petit lavabo où une main ne pourrait pas prendre un bain » p.79

« [Sur la table] … un peigne minuscule bon à coiffer le dernier toupet d’un chauve » p.79

« Elle s’en va. J’ouvre l’ordinateur, j’écris une minuscule histoire de Parisien perdu dans le métro. Dimitri frappe à la porte tandis que le malheureux tombe du quai ». p.168

« Il faisait confiance à l’Amérique, une démocratie où le doute profite toujours à l’accusé à condition de n’avoir pas un profil d’islamiste bon à être torturé à Guantanamo ». p.183

« Après avoir braillé avec les hyènes, nos journalistes vont rentrer dans le rang. Quand ils seront revenus à de meilleurs sentiments, nous les inviterons à déjeuner. On profitera de leur bouche ouverte pour leur enfoncer notre part de vérité à grosses bouchées ». p.262

« Une cohorte de prisonniers tirée au cordeau. Il se trouvait toujours un toxicomane rendu fou par le manque prêt à vous égorger pour canaliser son trop-plein d’énergie ». p.313

Au sujet des journalistes : « Un bloc indifférent aux folliculaires agglutinés tout autour, porcelets charmeurs toujours réclamant confidences, impressions, prêts à leur servir leurs parents débités en amuse-gueule pour une bribe d’interview ». p.318

« Un blanc-bec à qui son costume noir donnait un air de singe habillé a bredouillé une muflerie ». p. 324

« Il ne se sentait aucune affinité avec la population de ce siècle qui acceptait le collier, le harnais, les coups de cravache de la société contre la promesse de pouvoir lécher ses plaies dans le camp de vacances des retraités. La retraite, cette religion, cet opium des besogneux, cet au-delà pour les damnés de la Terre du monde du travail, incapables de réclamer le bonheur du jour ». p.337

« L’avenir est une œuvre d’art, chaque journée une autre toile blanche. La jubilation de ne rien savoir du lendemain. Les petits bonheurs embusqués dans les replis des années en attente dans les coulisses ». p.392

« Elle le sème en traversant un groupe de mormons venus du Wyoming serrés les uns contre les autres par peur du malin qui hante les sous-sols des métropoles fornicatrices ». p.398

« Il s’en irait, pauvre hère trouvant refuge auprès d’une bergère dont il mangerait la soupe, tarauderait les creux, maltraiterait les bosses, attendant la nuit pour courir à l’étable profaner le troupeau afin de se donner le frisson de l’adultère ». p.90

Pour obtenir davantage d’informations sur le dossier Jauffret/Strauss-Kahn, les documents suivants sont utiles :

Le Devoir

Ici.fr

bfmtv.com

Voici le lien pour d’autres romans et d’autres sujets controversés sur mon site.

Titre : La ballade de Rikers Island

Auteur : Régis Jauffret

Éditions : Seuil

©Régis Jauffret/Éditions du Seuil 2014

ISBN : 978-2-02-109759-7 (pour le grand format). Mais je sais que ce format est difficile à obtenir aujourd’hui. Cependant, le format poche est toujours en vente dans les librairies.

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Histoires vécues comme spécialiste en information de vol (FSS): Inukjuak FSS

Allégations concernant le massacre de chiens de traîneaux durant les années ` 50 et `60.

Chiots esquimaux canadiens devant une maison de Inukjuak en 1983
Chiots esquimaux canadiens devant une maison de Inukjuak en 1983

(Histoire précédente : acquisition d’une sculpture Inuite à Inukjuak en 1982)

Lorsque j’étais en poste à Inukjuak (CYPH) comme spécialiste en information de vol (FSS) pour Transports Canada, entre 1982-1983, j’adorais faire des promenades le long du littoral de la baie d’Hudson. Une belle journée, j’eus la chance d’être accompagné par un gros chien esquimau canadien appartenant à un employé d’Environnement Canada. Le chien avait trouvé la façon de se libérer de sa laisse et j’avais profité de sa compagnie pour explorer les environs.

Il n’était pas et il n’est toujours pas fréquent d’apercevoir un chien sans surveillance sur le territoire habité par les Inuits, spécialement durant l’été. Ces derniers ont l’habitude d’aller porter les chiens en surplus sur quelques îles se trouvant à proximité des différents villages le long des côtes de la baie d’Hudson et d’Ungava. Naturellement, les Inuits revenant de la pêche s’arrêtent fréquemment sur les îles où se trouvent les chiens et laissent de la nourriture. Ce procédé est toujours en place en 2013, car il fonctionne bien. Selon un Inuit d’Inukjuak avec qui je discutais récemment, l’île permet aux chiens de conserver leur liberté de mouvement au lieu d’être prisonnier d’une corde. De même, les moustiques y sont beaucoup plus rares et les chiens ne s’en portent que mieux.

En 1982, j’entendais des rumeurs selon lesquelles un chien laissé libre était susceptible d’être abattu, mais je n’ai jamais assisté à rien de tel. La politique locale veut que des chiens errants ne soient pas tolérés, car ils pourraient représenter une menace pour la population. Dans tout ce qui se dit concernant des chiens abattus pour les raisons les plus diverses, le thème qui revient le plus est celui de l’allégation de massacres de chiens esquimaux durant les années ` 50 et `60. La documentation trouvée à cet égard fait état d’un millier de chiens qui auraient été abattus au courant des années, la plupart inutilement, dans les différents villages longeant les côtes de la baie d’Hudson, de l’Ungava et le long du détroit de Davis.

Un rapport intérim d’enquête sur ce sujet a été remis en 2009 à la Corporation Makivik et au Gouvernement du Québec par le juge à la retraite Jean-Jacques Croteau, de la Cour Supérieure du Québec. On apprend de ce rapport qu’autant la GRC que la Sûreté du Québec avaient participé à l’élimination de chiens de traîneaux au cours des années, en interprétant de façon personnelle et passablement restrictive une loi datant de 1941 et traitant des « Abus causés à l’agriculture ». Le texte de loi visait, lors de sa création, à créer un système de non-responsabilité pour une personne qui abattrait un chien errant selon des conditions spécifiques stipulées dans le texte de loi. On faisait référence ici à des actions prises contre des chiens errants attaquant des moutons et des animaux de ferme.

Un chien esquimaux canadien (Jordan) à Inukjuak en 1983
Un chien esquimau canadien (Jordan) à Inukjuak en 1983

Rapidement, les forces policières utilisèrent à outrance ce passage de la loi pour l’appliquer sur un territoire qui n’était pas visé par la loi. Je peux me tromper, mais je crois que personne n’a encore observé un Inuit éleveur de moutons sur une ferme dans le Grand Nord. Les évènements les plus importants se produisirent après que la GRC eut laissé la responsabilité du territoire à la Sûreté du Québec. Cette force policière fit preuve d’une méconnaissance complète de la culture Inuite. Selon les preuves présentées dans le rapport, des policiers arrivaient dans un village sans prévenir et tuaient les chiens errants, les pourchassant même sous les maisons, sans avoir pris soin de vérifier si le chien était malade ou dangereux. On trouve dans le rapport le témoignage de deux Inuits de Kangiqsujuaq affirmant avoir vu deux policiers arriver par hydravion, et sans dire un mot à qui que ce soit commencer à pourchasser les chiens errants à travers le village. Trente-deux bêtes furent éliminées et les policiers quittèrent le village sans donner d’explications.

Le rapport mentionne que les Inuits du nord du Québec n’ont jamais été consultés quant à la portée de la loi sur « Les abus à l’agriculture », une loi totalement inappropriée pour eux et ne tenant aucun compte de leurs droits ancestraux. Les Inuits dépendaient complètement des chiens pour se déplacer, chasser et pêcher. On peut lire le passage suivant, dans les dernières conclusions du rapport : « Après 1960, les actions et comportements des forces policières dépassèrent les bornes. C’était à n’y rien comprendre. Les officiers démontraient un manque total de conscience par rapport aux droits fondamentaux des Inuits, à leur culture et à l’importance des chiens pour leur subsistance. Le comportement des officiers, qui ne pouvait être ignoré par les administrations civiles provinciale et fédérale, eut pour effet de nuire grandement à 75 propriétaires de chiens et leur famille dans leur capacité de subvenir à leurs besoins en nourriture ». Aucune aide ne fut offerte par les autorités pour compenser la perte des chiens.

Le juge note finalement qu’il n’a d’autre choix que de déclarer qu’il y a eu bris de la part du Canada et du Québec dans leurs obligations fiduciaires envers les Inuits. J’imagine que des compensations monétaires ont été offertes, à moins que ce rapport ne soit que le premier d’une longue série visant à établir les responsabilités et compensations futures.

Pour lire les autres histoires vécues à Inukjuak, cliquez sur le lien.

(Prochaine histoire : l’OVNI inventé à Inukjuak en 1983)