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Roman graphique et bandes dessinées

Roman graphique : « Sept vies à vivre ».

Le roman graphique "Sept vies à vivre".
Le roman graphique « Sept vies à vivre ».

J’ai longtemps hésité à me procurer ce roman graphique qui ne se trouvait que dans une des sept librairies que je côtoie régulièrement. À l’heure où les couvertures sont souvent tapageuses et où les thèmes abordés accrochent l’attention du potentiel client, je me retrouvais face à ce livre tranquille prétendant nous parler des sept vies d’un parfait inconnu. Que faire ?

En fin de compte, je me suis décidé à l’acquérir et je l’ai trouvé tellement intéressant que je l’ai lu d’une traite. Une très belle surprise, quoique j’aurais dû me douter que la qualité serait au rendez-vous en voyant le nom de l’auteur, Charles Masson. J’avais auparavant lu un autre roman graphique très intéressant de cet auteur. Le bouquin s’intitulait « Droit du sol » et portait sur les difficultés vécues par les autochtones qui doivent composer avec le colonialisme.

Une page du roman graphique "Sept vies à vivre".
Une page du roman graphique « Sept vies à vivre ».

« Sept vies à vivre » raconte de façon très intelligente et humaine la vie d’un homme ordinaire nommé René. Oubliez les ordinateurs et les réseaux sociaux. Le lecteur retrouve René et sa famille il y a plusieurs décennies dans le massif des Bauges alors qu’il y passe son enfance et adolescence dans l’absence de confort et de luxe. Les habitants triment dur pour survivre dans ce coin de pays.

René a perdu sept frères et sœurs alors qu’ils étaient en bas âge et il est bien déterminé à vivre pleinement. Il descend dans la vallée pour changer son existence. Les sept vies de René, ce sont les sept grands moments qui viennent modifier le destin de cet homme. Comme beaucoup d’entre nous, les événements le bousculent. Dans son cas, ce sont la Seconde Guerre mondiale, l’entraînement militaire obligatoire de 1946 en France, les rencontres fortuites, et j’en passe. Comment s’adapter et conserver son humanité à travers les surprises que réserve l’existence ?

Le scénario est solide et le graphisme intéressant. Il n’y a pas de temps mort, ce qui est tout de même à souligner pour un récit de 225 pages. Une belle trouvaille à rajouter dans votre bibliothèque.

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Titre : Sept vies à vivre

Auteur : Charles Masson

Éditions : Delcourt/Mirages

© 2024

ISBN : 9 782 413 077 060

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Renseignement

Les casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale

Les casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale (Bletchley Park)
Les casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale (Bletchley Park)

Ce livre raconte les opérations quotidiennes et les habitudes de vie des gens ayant travaillé au décodage des messages allemands à Bletchley Park, en Angleterre, durant la Seconde Guerre mondiale. Le lecteur réalise rapidement l’impact incroyable de ces travailleurs de l’ombre sur l’issue des batailles les plus connues, telles les Bataille d’Angleterre et d’El Alamein, de même que sur le débarquement comme tel. Mais par-dessus tout, il permet au lecteur de pénétrer dans les baraquements pour témoigner de la rigueur et du professionnalisme de ces hommes et femmes qui ont œuvré jour et nuit, malgré la grande tension et l’épuisement, pour accomplir leur devoir.

Leurs efforts pour obtenir des résultats frôlaient l’obsession. Même en dormant, les cerveaux étaient au travail. On y apprend qu’une avancée majeure a eu lieu après qu’un chercheur se soit réveillé au beau milieu de la nuit avec la solution qu’il espérait trouver depuis longtemps. Naturellement, des noms comme ceux d’Alan Turing, John Herivel ou Dillwyn Knox reviennent fréquemment. Mais ils sont accompagnés d’une multitude d’autres personnes ayant toutes joué un rôle essentiel.

Bletchley Park était d’une grande efficacité pour plusieurs raisons :

1. Une judicieuse combinaison des employés possédant les capacités et les formations les plus diverses : les compétences croisées et la culture générale étaient recherchées. Les femmes et hommes travaillant au décodage possédaient bien sûr une intelligence très supérieure et une grande capacité de concentration. Des connaissances dans plusieurs disciplines étaient requises : il y avait des experts en mathématique autant qu’en histoire, en lettres classiques ou en linguistique. Dillwyn Knox, une des vedettes de Bletchley, était lui-même expert en vieux papyrus. L’association des intelligences donna lieu à des innovations très importantes.

2. La capacité de maintenir le secret : les employés étaient judicieusement sélectionnés et l’étanchéité entre les bâtiments où ces derniers travaillaient était totale. S’il y avait eu une taupe à l’intérieur d’un bâtiment en particulier, il lui aurait été impossible de traverser d’un emplacement physique à l’autre pour tenter de recueillir de l’information privilégiée. L’existence d’un but commun et du sentiment profond de l’importance de ce qui devait être fait transcendait la fatigue du personnel et contribuait à diminuer l’intensité des inévitables conflits internes. Cela a même assuré des années de discrétion après que le conflit mondial ait été réglé.

3. Un traitement spécial pour les casseurs de codes : même si Bletchley servait essentiellement à des fins militaires, il n’y avait pas de régime militaire strict : « Au fil des années et des siècles, nous pouvons constater que le renseignement britannique est en partie une affaire militaire, mais demeure surtout régi par de talentueux civils ». Les casseurs de codes avaient besoin d’un traitement spécial : « […] On a jugé très important que les “experts” aient suffisamment d’espace et de liberté pour mener à bien leurs raisonnements géniaux. Il ne fallait donc pas les perturber avec les restrictions et la discipline imposées à tous les autres ». Cet objectif de préserver certains employés des contraintes inutiles a aujourd’hui été répété avec succès dans les compagnies internationales vouées à l’innovation.

4. La collaboration entre les pays : il importe de mentionner la collaboration essentielle entre la Pologne, l’Angleterre et la France dans l’accumulation des résultats visant à craquer le code Enigma. Jusqu’à l’effondrement de la France, toutes les solutions trouvées étaient partagées. D’ailleurs, les cryptanalystes polonais furent les premiers à déchiffrer les codes de la première version de la machine Enigma, résultats qu’ils partagèrent avec les deux autres pays.

5. L’importance du facteur chance dans le succès des opérations : l’élément chance devait jouer un rôle très important dans la capacité de Bletchley Park de demeurer en activité sur une longue période. Malgré l’intensité des bombardements allemands, très peu de dommages furent infligés aux bâtiments où travaillaient les décodeurs : « Cela tient du miracle que seules deux bombes aient touché Bletchley Park […]. En outre, une autre est tombée près de l’endroit où Knox et Lever travaillaient, mais n’a pas explosé ». Par ailleurs, deux autres bombes sont tombées sur la propriété, également sans exploser.

Il y avait malgré tout des obstacles à l’efficacité, dont l’existence de paliers inutiles qui nuisaient aux opérations. L’information primaire commence à être transformée dès qu’elle est relayée à un premier niveau pour interprétation. Plus il y a de paliers à travers lesquels l’information doit circuler et plus celle-ci est transformée. Il y a des gens qui deviennent maîtres dans l’art de protéger leur statut et leur emploi et constituent éventuellement un palier inutile. De par leur niveau hiérarchique plus élevé, ils sont difficiles à déloger. Cette situation n’a pu être évitée non plus à Bletchley Park. Comme l’écrivait Knox à l’époque, « […] Nous sommes actuellement encombrés d’officiers du renseignement qui malmènent nos résultats et ne font aucun effort pour vérifier leurs corrections arbitraires ».

Un passage du livre m’ayant particulièrement touché est l’histoire de ces trois marins britanniques qui nagèrent jusqu’à un U-Boat, le U-559, alors qu’il avait commencé à couler, et récupérèrent une machine Enigma à quatre rotors (la nouvelle version complexifiée) de même que les clés Stark utilisées. Les deux marins qui pénétrèrent dans le U-Boat périrent, car ils n’eurent pas le temps d’en sortir à temps. Le troisième, demeuré à l’extérieur, put ramener le matériel (placé judicieusement dans un sac étanche) vers son bateau. Mettre ainsi la main sur une machine Enigma et ses clés devait s’avérer capital pour neutraliser les forces allemandes sur les océans.

Je termine avec une citation de Mavis Batey, qui résume bien l’état d’esprit des gens œuvrant à Bletchley Park : « Vous faites ou non des choses, mais si vous n’agissez pas, personne ne le fera à votre place ».

©2012 Ixelles Publishing SA
ISBN 978-2-87515-178-0
©Sinclair McKay 2010 (auteur), titre original anglais : The Secret Life of Bletchley Park