Ce livre plaira à coup sûr aux amateurs d’histoires vécues. « À la poursuite du Thunder – l’histoire de la plus longue traque navale de tous les temps » nous accroche rapidement surtout du fait qu’il s’agit d’une première dans l’histoire maritime. Les auteurs de ce récit d’investigation, deux journalistes expérimentés du nom de Eskil Engdal et Kjetil Saeter, prennent de nombreux risques pour obtenir des informations cruciales permettant de mieux saisir l’ampleur du vol des ressources halieutiques en Antarctique.
Cette pêche illégale est une affaire de gros sous où la mafia, surtout espagnole, n’hésite pas à ordonner que l’on coupe les filets de pêche ou que l’on coule tout simplement un chalutier pour empêcher l’obtention de preuves. Cliquez sur le lien pour un vidéo de cet accident maritime.
La poursuite a lieu dans des eaux inhospitalières et s’étale sur plusieurs mois et sur plus de 15,000 kilomètres alors que l’on suit en parallèle l’histoire de plusieurs membres de l’équipe de poursuite autant que celle des pêcheurs illégaux.
On y discute de dilapidation des ressources, de la législation laxiste concernant la pêche illégale en eaux internationales, des méthodes que les criminels utilisent pour faire disparaître l’immatriculation des bateaux dans les registres, du manque de courage politique au niveau international, de l’omerta qui règne dans les villages d’où partent les pêcheurs illégaux, du blanchiment d’argent et d’esclavage moderne.
Le capitaine du Thunder fait tout en son pouvoir pour échapper aux poursuivants. Cette fuite le mène à emprunter des passages très risqués à travers les glaces dans l’espoir que le navire de poursuite n’osera pas s’y aventurer. Il dirige aussi à l’occasion son bateau vers des zones où la force des vagues risque de détruire le navire de poursuite. Le capitaine Peter Hammerstedt du navire de poursuite Bob Barker ne recule devant aucun des obstacles posés sur son chemin au cours des mois où dure la poursuite. Il fait preuve d’une détermination qui exaspère au plus haut point l’équipage du Thunder.
Le polar écologique Chasing the Thunder a été projeté en 2019 lors de la conférence mondiale sur la biodiversité.
En mars 2023, plus de cent pays ont signé un traité sur la diversité en haute mer, après quinze ans d’efforts. Greenpeace a salué le traité, mais exige que cela se traduise en action…
La lecture de ce seul livre permet au lecteur de s’éveiller à de nombreux aspects jusqu’alors très peu médiatisés de la pêche illégale en haute mer, le tout dans un contexte d’une traque unique dans l’histoire de la navigation maritime.
S’il n’y avait qu’un livre à lire pour en apprendre davantage sur les dessous du commerce maritime, ce serait « Ninety percent of everything », de Rose George. Le New York Times dit de ce livre qu’il garde continuellement l’intérêt du lecteur par son actualité et sa profondeur en pénétrant un monde vaste, périlleux et largement inconnu.
Ce livre contient de véritables révélations. L’auteure a été autorisée à monter à bord du Maersk Kendal, un navire porte-conteneurs, pour effectuer le voyage de Rotterdam vers Singapour, en passant par le canal de Suez. Le lecteur apprend donc ce qui se passe lors des opérations quotidiennes sur ces immenses navires. Mais il y a plus : du fait que le livre est extrêmement bien documenté, des rapprochements sont établis entre des faits marquants de l’histoire maritime et des évènements d’actualité.
Maersk est la plus grande compagnie du Danemark et ses ventes sont équivalentes à 20% du produit national brut du pays. La flotte de Maersk compte plus de 600 navires. Ses revenus en 2011 s’établissaient à 60 milliards de dollars, ce qui la place juste sous Microsoft.
Le commerce maritime s’est accru de 400% depuis 1970. Une majorité de navires (68%) voguent sous des pavillons de complaisance, tels que ceux du Panama ou du Liberia. Cela permet des réductions de taxes et l’embauche de travailleurs étrangers faiblement rémunérés. Les travailleurs sont également moins protégés car les lois d’un pays spécifique diffèrent de celles qui s’appliquent une fois les navires rendus en eau internationale. Les statistiques montrent que 2000 marins périssent en mer annuellement. Sur la liste noire des pavillons de complaisance : Corée du Nord, Lybie, Sierra Leone et Montenegro.
Selon l’International Transport Workers’Federation (ITF) [ma traduction] « l’industrie du commerce maritime et des pêches autorisent des abus incroyables contre les droits des marins et pêcheurs. Ces employés sont continuellement obligés de travailler dans des conditions qui ne seraient pas acceptées dans une société civilisée ». Un exemple frappant : une compagnie de Manille exige que des marins chercheurs d’emplois travaillent gratuitement pendant des mois avant de leur offrir un emploi. Il vaut la peine de lire ce livre, ne serait-ce que pour prendre connaissance de l’histoire que vécurent les marins du MV Philipp. Le propriétaire de ce navire, Vega Reederei en Allemagne, ne payait ses marins philippins que le tiers du salaire entendu.
Étant donné qu’un navire porte-conteneurs peut décharger et recharger des milliers de conteneurs en moins de 24 heures, l’équipage n’a plus le temps de quitter le bateau pour profiter des escales dans les différents pays comme cela se faisait autrefois. Un marin est confiné au bateau pendant des mois.
Il n’y a pas moyen de savoir véritablement ce qui se trouve dans les conteneurs. Les États-Unis reçoivent annuellement 17 millions de conteneurs et ne peuvent en inspecter physiquement que 5%. En Europe, le pourcentage se situe entre 1 et 3%. Il est clair que ce moyen de transport est donc favorisé pour le trafic d’armes, de drogues et d’humains. Des armes illégales sont régulièrement envoyées en pièces détachées, à travers plusieurs conteneurs, et réassemblées une fois à destination.
Lorsqu’un navire porte-conteneurs passe par le canal de Suez ou de Panama, il n’y a plus de repos autorisé pour le personnel. Le capitaine peut être en éveil jusqu’à 36 heures d’affilée. Le canal de Suez est surnommé Marlboro Canal à cause des paquets de cigarettes remis aux douaniers, à la police, aux gardes de sécurité et divers autres représentants officiels pour éviter que le bateau ne soit immobilisé pour les raisons les plus invraisemblables. Les frais de transit, quant à eux, avoisinent $300,000 pour un navire de la taille du Maersk Kendal.
Le lecteur trouve également dans le livre des détails étonnants concernant le naufrage de plusieurs navires, dont le Danny FII et le Erika. Il prend connaissance des obligations devant être respectées par les compagnies lorsqu’un accident maritime survient. Les organismes et conventions dictant ces procédures sont UNCLOS, SOLAS et MARPOL.
L’Organisation Maritime Internationale (IMO) considère que le transport maritime contribue de façon relativement faible aux émissions atmosphériques. Cependant, si on considère ce commerce à l’échelle mondiale, il vient alors en tête des émetteurs de gaz à effet de serre. Les quinze plus gros navires ont été la cause, en 2009, d’une pollution égale à 760 millions de voitures. Il est intéressant de noter que 70% de la pollution se situe en-dedans de 250 miles des côtes où se trouvent les routes les plus fréquentées par les bateaux. À Los Angeles, la moitié de tout le smog causé par le dioxyde de souffre provient des bateaux.
Une section du livre porte sur le piratage en mer. Encore ici, Rose George y va d’informations extrêmement pertinentes. Elle explique quelles sont les proies les plus faciles pour les pirates Somaliens et Yéménites et signale que la cargaison n’offre pas d’intérêt véritable pour les pirates. Ils ne désirent que la rançon. Le chapitre traite de l’aventure du Maersk Alabama, du piratage récent du MV Golden Blessing, du corridor international de transit recommandé (IRTC) le long de la côte du Yémen, de la protection obtenue par le EU-NAVFOR, des comportements des pirates une fois à bord des navires et des effets sur l’équipage, avant et pendant les longues négociations.
Elle divulgue des détails étonnants quant aux façons de procéder pour les négociations lors des situations de K&R (Kidnap and ransom). Les négociateurs, travaillant souvent à partir de Londres, connaissent les habitudes et exigences particulières des pirates ou ravisseurs de chaque région problématique, que ce soit au niveau des montants demandés ou du temps requis pour mettre fin à une crise. Résoudre une crise trop rapidement fait augmenter les enchères. Si un propriétaire accepte de payer un fort montant dans un court délai, là encore les sommes demandées vont augmenter. Les négociateurs respectent donc les barèmes établis.
Il y a tant de sujets intéressants dans ce livre. Ainsi, le lecteur pourra également en apprendre davantage sur l’aide offerte par de rares volontaires envers des marins dans le besoin, lors de certaines escales. Il est également possible de s’informer sur la pollution par le bruit dans les océans, une pollution en augmentation et qui affecte grandement les mammifères marins. De même, une section très intéressante couvre les sauvetages en mer et les prouesses des marins de la marine marchande en période de conflit.
Bref, un livre que je recommande vivement. Vous ne pourrez plus voir passer un navire porte-conteneurs sans penser à «Ninety percent of everything».