Nous avons tous entendu parler du drame vcu par les habitants de Lac-Mgantic en 2013, alors qu’un train ptrolier sans conducteur de la compagnie CP tirant des centaines de wagons de ptrole explosif, draille en pleine nuit, explose et tue 47 habitants de la ville.
La bande dessine (ou roman graphique pour certains) « Mgantic – Un train dans la nuit » vient complter ce que l’on pensait connaître de cette histoire vcue, en exposant plusieurs informations capitales passes sous silence ou survoles trop rapidement par les mdias.
L’autrice Anne-Marie Saint-Cerny a travaill durant des annes sur le dossier et, pour bien transmettre le contenu et les motions en images, s’est assur le concours de Christian Quesnel. Le rsultat est extrêmement intressant. La formule fonctionne : les dessins sont d’une grande prcision, la mise en page laisse de l’espace pour la rflexion, les couleurs sont choisies judicieusement.
Dans l’explosion du train Lac-Mgantic, il y a plusieurs facteurs en jeu, dont :
- Des dirigeants de la compagnie CP qui font des choix catastrophiques.
- Un dsir de satisfaire, comme toujours, les exigences des actionnaires. On coupe le personnel et on s’auto-value quant la scurit.
- Un seul chauffeur est autoris pour un train transportant des centaines de citernes d’explosifs.
- Les politiciens donnent leur accord avec les nouvelles coupes proposes par la compagnie.
- On a affaire de la pense magique : en cas de ppin avec le chauffeur, le train s’arrête tout seul grâce un mcanisme qui, pourtant, est toujours susceptible de faire dfaut ventuellement.
- Les rails ne sont pas ce qu’il y a de plus rcent.
- Le transport de la marchandise dangereuse est accord une compagnie la rputation douteuse, la MMA.
- Les citernes DOT-111 utilises sont dcries comme tant trop fragiles pour les matières dangereuses et cibles dans plus de 25 enquêtes.
- Il y a galement une entente pour trafiquer les bons de connaissement du ptrole. Au lieu d’indiquer comme il se doit le code PG1 (le plus dangereux, le plus explosif), on dcide d’inscrire PG111 (pas dangereux).
- La locomotive de tête est use au maximum.
- Le chauffeur signale un problème avec sa vieille locomotive. On lui dit de forcer la note, de continuer sa route.
- À Lac-Mgantic, le train chauffe. On dit au chauffeur d’appliquer les freins, de laisser l’engin fonctionner, qu’il va refroidir. On autorise le chauffeur quitter les lieux et aller se coucher. C’est une des rpercussions d’autoriser un seul conducteur.
- Dans la nuit, un feu est signal sur la locomotive de tête, celle qui avait des problèmes. Le moteur est coup par les pompiers. « En teignant le moteur, la pression d’air dans les freins pneumatiques est relâche. Eventuellement, le train commencera se mettre en mouvement seul et descendre la pente vers Lac-Mgantic ».
Avec un seul chauffeur qui est forcment aller dormir huit heures, il y a maintenant 5 000 000 de litres d’explosifs en marche que personne n’arrêtera.
« Les pompiers croient combattre du ptrole peu inflammable. Ils ignorent que le CP et World Fuel ont falsifi les papiers, camouflant leur ptrole class le plus explosif et dangereux ». Il y a 47 morts, dont plusieurs suicids.
Maintenant qu’il y a eu une catastrophe, les personnes impliques directement ou indirectement se renvoient la balle, comme c’est la coutume lors de tragdies. Le livre mentionne, au niveau politique, les noms de Denis Lebel, Lisa Raitt, John Baird et plus tard Marc Garneau. Au niveau des compagnies, l’autrice mentionne Hunter Harrison, PDG de CP, et Edward Burkhardt, PDG de MMA.
Les changements se produisent, mais pas ceux que l’on pense…
Naomi Klein analyse la « stratgie du choc » conçue par Milton Friedman. Dans l’tape 1, « on profite de ce que la population est encore tourdie : elle ne pourra s’opposer ce que l’on veut lui imposer ». On change le zonage en vitesse pour inclure l’expropriation de maisons qui sont totalement en dehors de la zone touche par la catastrophe. Il y en a qui s’intressent aux terrains…
Dans l’tape 2 de la « stratgie du choc », on « prtexte une dcontamination obligatoire pour faire table rase de l’Ancien Monde. Exclure la population du lieu du drame, pour qu’elle ne puisse s’y accrocher, pour qu’il n’y ait plus de retour possible ».
Enfin l’tape 3 : « Face une population dont le choc a t exacerb par la destruction de ses repères et habitudes, on peut lancer une reconstruction ou « rinvention » qui sera reçue avec une acceptation rsigne ». On a le cas de gens vivant Fatima, un secteur loign et pargn par la catastrophe : le propritaire doit signer en vitesse son expropriation sinon il perd tout. Quand les proprios sont enfin tasss, c’est une pharmacie Jean Coutu qui vient s’installer sur les terrains librs.
Côt lgal, on arrête les petits joueurs et on limite l’enquête au maximum. Des prises de contrôle sont effectues et les rendements aux actionnaires dmultiplis.
Le livre fait talage de certaines manœuvres politiques et entrepreneuriales visant protger les compagnies ferroviaires. Même l’aube de 2022, soit huit ans plus tard, les rails passent toujours au centre-ville de Lac-Mgantic.
« MMA-Canada, essentiellement en faillite, n’a rien pay et n’a pas t poursuivie en justice ».
« Rien n’a chang dans les lois ferroviaires au Canada depuis la tragdie : les compagnies s’auto-rglementent, s’auto-surveillent et, en cas d’accident, s’auto-enquêtent. Ainsi, c’est le CP lui-même qui a enquêt sur la mort de trois de ses employs lors d’un accident survenu en fvrier 2019 en Colombie-Britannique. L’enquêteur du CP, empêch d’enquêter, a dnonc son employeur et rclam une enquête indpendante de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et du Bureau de la Scurit des transports du Canada (BST), une enquête immdiatement accepte par l’enquêteur en chef responsable du cas au BST. Le jour même, cet enquêteur du BST a t dmis de ses fonctions. L’enquêteur du CP a conclu sur un no-fault du CP ».
Titre : Mgantic – Un train dans la nuit.
Auteur : Anne-Marie Saint-Cerny
Editions : Ecosocit, 2021
ISBN : 978-2-89719-686-8
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