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Comportement humain

Les lois fondamentales de la stupidité humaine.

©2012 Les lois fondamentales de la stupidité humaine
©2012 Les lois fondamentales de la stupidité humaine

En voyant le titre, on s’imagine face à un livre cynique ou bien humoristique. Anticipant cette réaction du lecteur, l’auteur annonce rapidement ses couleurs : « Ces pages sont en fait le résultat d’un effort constructif visant à détecter, à connaître et peut-être neutraliser l’une des plus puissantes forces obscures qui entravent le bien-être et le bonheur de l’humanité ».

Écrit par Carlo M. Cipolla et originalement publié en anglais en 1976, ce petit livre est devenu un best-seller international en 1988 lorsque publié en italien, sa langue d’origine, et intégré au volume Allegro ma non troppo.

Le livre contient cinq lois fondamentales de la stupidité humaine. Chacune d’elles est énoncée et expliquée. De façon à pousser l’analyse un peu plus loin, l’auteur présente le graphique dont il se sert pour qualifier les actions d’une personne. Il est évident que tous ne pourront être d’accord avec un auteur dont les propos soulèvent un questionnement quant à l’égalité entre tous les hommes. La même chose se produit lorsque l’on parle de religion ou de politique. Ce sont des sujets délicats.

Répartition de la stupidité

Je ne citerai que la première loi, pour donner le ton du livre : « Chacun sous-estime toujours inévitablement le nombre d’individus stupides existant dans le monde ».

Tous les hommes ne sont pas égaux : certains sont stupides et d’autres non. La culture, la race, la classe sociale, l’éducation, la richesse où l’endroit où l’on vit n’a rien à voir avec l’affaire. C’est le hasard, la nature qui décide. La stupidité est également partagée entre hommes et femmes et uniformément répartie, selon une proportion constante.

Les quatre grandes catégories

L’auteur divise l’humanité en quatre grandes catégories : les crétins, les gens intelligents, les bandits et les êtres stupides. Suite à ses observations sur le terrain, il considère que la catégorie la plus dangereuse est celle des stupides. Ces derniers font preuve d’une grande cohérence à occasionner des pertes aux autres tout en tirant eux-mêmes aucun gain de leurs actions. En fait, la plupart du temps, ils subissent des pertes.

Impact sur la société

Le degré de dangerosité de la personne stupide est fonction de la combinaison génétique (la dose de stupidité reçue à la naissance!) et du pouvoir qu’il occupe dans la société : « Les gens stupides causent des pertes aux autres, sans gain personnel en contrepartie. La société dans son ensemble en est donc appauvrie ». Plus cette personne occupe un rang élevé dans la société et plus le dommage causé est important.

Dans un désir de protéger le lecteur contre l’idée de s’associer à une personne stupide, l’auteur écrit : « On espère toujours manipuler l’être stupide, et d’ailleurs on y parvient, jusqu’à un certain point. Mais en raison du côté erratique de leur comportement, on ne peut prévoir toutes les actions et réactions des gens stupides et on se retrouve très vite pulvérisé par les décisions imprévisibles de l’associé stupide ».

Composition de la population d’un pays sur la pente descendante

La microanalyse finale tente de présenter la composition des individus d’un pays qui est sur une pente descendante. L’auteur estime que la proportion d’êtres stupides y est toujours égale à la proportion que l’on retrouve dans les pays qui sont sur une pente ascendante. La différence se trouverait plutôt dans l’accroissement du nombre de personnes se retrouvant dans 1) la catégorie des bandits à tendance stupide (ceux qui obtiennent un gain mineur tout en infligeant des pertes majeures aux autres) et 2) un accroissement similaire au niveau du nombre de crétins composant ce pays (ceux qui s’occasionnent constamment des pertes en générant des gains pour les autres).

Un avantage de bien lire et comprendre le livre

Ce livre est susceptible de vous réconcilier avec le passé en vous permettant d’apposer un qualificatif final aux agissements d’un ou de plusieurs individus qui pourraient vous avoir causé des tords sans, selon vous, en tirer aucun gain et même, à la limite, en se causant eux-mêmes des problèmes importants.

Bonus

Quatre grilles vierges sont fournies à la fin du livre pour permettre au lecteur de tenter de qualifier les actions de personnes de son choix.

Titre original: The Basic Laws of Human Stupidity
©1988 Società editrice Il Mulino, Bologna
©2012 Presses Universitaires de France
ISBN 978-2-13-060701-4

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Tragédie en mer

L’histoire mystérieuse du Bugaled Breizh

Pour les amateurs d’histoires vécues, spécialement pour ceux qui aiment la mer, je vous suggère un livre très intéressant: « On l’appelait Bugaled Breizh ». Il relate l’histoire d’un chalutier qui coule corps et biens au large des Cornouailles. Un drame que l’on s’explique mal. Des marins expérimentés étaient à bord et la météo ne présentait aucun problème. Quelques autres chalutiers étaient également actifs sur le territoire et communiquaient entre eux. Soudainement, le capitaine du Bugaled Breizh annonce en quelques mots que son bateau coule. Même pas le temps de terminer sa phrase.

Yann Queffélec - On l'appelait Bugaled Breizh
Yann Queffélec – On l’appelait Bugaled Breizh

Rapidement, on en vient à apprendre que dans le secteur, il y avait des exercices impliquant des sous-marins nucléaires. Ces derniers s’exerçaient à la guerre en eau peu profonde. Et peut-être y avait-il même, bien tapis dans le silence et la noirceur, un sous-marin d’un pays étranger non invité pour l’exercice.

Il est question dans ce livre d’un sous-marin en pleine action qui se serait maladroitement empêtré dans le filet de pêche du Bugaled Breizh et l’aurait entraîné par le fond, sans que le capitaine du chalutier puisse avoir le temps de faire quoi que ce soit. Il est également possible que l’accident maritime, s’il était expliqué au grand jour, causerait des tensions politiques importantes du fait de la présence d’un pays tiers qui s’était invité unilatéralement sur les lieux. Le livre énumère les raisons possibles de la présence de ce sous-marin dans le secteur.

L’enquête, ou plutôt les enquêtes  piétinent depuis plus de dix ans. À force d’interroger à gauche et à droite, on en vient malgré tout à pouvoir se faire une bonne idée des causes entourant le drame.

Une lecture passionnante à tous points de vue, signé par le romancier de renom Yann Queffélec (prix Goncourt 1985 pour les Noces barbares) et appuyé par Pascal Bodéré, journaliste considéré comme un des meilleurs connaisseurs de l’affaire du Bugaled Breizh.

Éditions du Rocher / L’Archipel, 2014.

ISBN 978-2-8098-1378-4

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Environnement

Vert paradoxe

Vert Paradoxe

Vert Paradoxe est certainement une belle surprise. L’auteur, David Owen, emprunte le chemin risqué de critiquer l’utilité réelle des produits éco-énergétiques pour l’environnement. Il développe son sujet de manière humoristique, en se citant lui-même à plusieurs reprises comme mauvais élève face à la consommation excessive des ressources planétaires. La preuve étant qu’il est plus facile de réfléchir à un problème que de passer véritablement à l’action.

M. Owen, démontre avec succès que la seule solution efficace pour ralentir le réchauffement planétaire et agir contre l’utilisation excessive des ressources planétaires est une baisse de la consommation générale. Plutôt que de supporter l’idée que les solutions éco-énergétiques sauveront l’environnement, il démontre qu’elles ont en fin de compte l’effet inverse.

La science permettant de créer des produits nouveaux et de moins en moins dispendieux, leur utilisation à outrance devient la norme. De même, par leur faible coût, les produits deviennent soudainement accessibles à un très grand nombre de nouveaux consommateurs, créant un effet-rebond et augmentant ainsi la consommation et l’impact sur l’environnement. Il ne s’agit pas ici d’empêcher les humains les plus démunis d’avoir accès à une meilleure qualité de vie mais plutôt de favoriser un partage plus équitable des ressources planétaires entre tous en demandant aux pays les plus riches de diminuer leur consommation globale.

Plusieurs moyens de transport sont analysés : l’usage de l’automobile électrique, le train léger, l’aviation moderne. Considérons le transport par avion : il y a des décennies, un avion effectuant un vol intercontinental polluait beaucoup plus qu’aujourd’hui. Les innovations technologiques ont fait en sorte que la pollution pour chaque vol diminue considérablement. Les moteurs brûlent moins de combustibles fossiles, les aéronefs sont équipés de pièces en alliage léger, etc. Bref un franc succès pourrait-on croire, si on regarde les résultats à micro-échelle. Mais en adoptant une vision planétaire, il est facile de réaliser que le nombre de vols s’est accru de façon extraordinaire. L’augmentation de la population mondiale, la baisse du coût des billets, une offre accessible à une nouvelle clientèle font en sorte que le bilan carbone s’alourdit.

En ce qui a trait aux résultats de la consommation sur l’environnement, la vision à micro-échelle prévaut. Le consommateur responsable se dit : « J’ai acheté mon véhicule électrique, ou mon véhicule hybride, et donc j’ai fait ma part pour l’environnement ». La solution véritable ne résiderait pourtant pas dans le fait de pouvoir effectuer plus de kilomètres pour un litre d’essence mais plutôt de limiter le nombre de kilomètres effectués dans une année, et à la limite réduire le nombre de conducteurs et de véhicules. Cela paraît énorme comme proposition. L’auteur démontre que l’usage d’un véhicule, quel qu’il soit, nécessite un réseau routier très bien développé et maintenu. Ce réseau routier en développement de même que la meilleure performance des véhicules réguliers ou électriques invitent les utilisateurs, de plus en plus nombreux, à toujours s’éloigner un peu davantage des zones hautement densifiées.

David Owen souligne ainsi l’importance de la densification. Mais une densification bien réfléchie, c’est-à-dire où le citoyen ne sent plus le besoin d’utiliser un véhicule automobile car il a tous les services à proximité. Le site www.walkscore.com contient des informations intéressantes à ce sujet. L’auteur cite en exemple certaines des villes les plus éco-énergétiques du monde : New-York, Hong-Kong. Facile à constater, mais moins évident à régler. Surtout quand on réalise que ces villes deviennent des exemples pour l’environnement parce qu’elles n’ont pas le choix, la limitation de leur territoire exigeant une densification massive. Cependant, quand le virage de la densification planifiée est pris, on ne peut nier que les services offerts à la population augmentent et se diversifient.

D’autre part, s’il y a densification des quartiers près du centre-ville mais que, du même coup, on élargit et rallonge des autoroutes permettant de circuler plus facilement vers la banlieue et les zones moins densément peuplées, on applique des politiques contradictoires, ralentissant grandement du même coup le processus de densification. Le juste équilibre est difficile à réaliser.

Pour régler des problèmes de circulation, plusieurs villes adoptent le train léger alors que la densité de la population et la grandeur du territoire couvert indiquent que les opérations seront d’avance vouées à l’échec. L’auteur cite Phoenix en exemple : cette ville a un train léger moderne desservant des habitants deux fois plus nombreux que ceux vivant à Manhattan mais sur un territoire deux cents fois plus vaste. Il y a donc un déficit récurrent et ce moyen de transport s’avère inefficace.

Le nœud du problème est finalement qu’il est plus facile d’acheter des produits éco-énergétiques et de continuer à conserver un train de vie que de diminuer le niveau de notre confort général en limitant la consommation des ressources planétaires. Mais il faut avouer que ce n’est pas une tâche facile pour le citoyen que de changer son mode de vie, surtout lorsqu’il est constamment sollicité par la publicité et la propagande pour consommer davantage.

En fin de livre, David Owen cite quelques mots de Daniel Nocera, détenteur de la chaire Henry Dreyfus en science de l’énergie au MIT : « […] La confusion se produit quand on croit qu’avec son cœur on peut résoudre les problèmes environnementaux, alors qu’on ne s’attaque qu’à ceux de la conscience ».

Vert Paradoxe a originalement été publié en 2011 par Riverhead Books sous le titre The Conumdrum : How Scientific Innovation, Increased Efficiency and Good Intentions can Make Our Energy and Climate Problems Worse.

Edition française par Écosociété, 2013. ISBN 978-2-89719-085-9

Note : David Owen est un collaborateur régulier du New Yorker. Il est l’auteur de nombreux livres, dont Green Metropolis (2009), à propos de la supériorité écologique des mégapoles comme New-York.