Avec « Super canon — Le marchand d’armes qui visait les étoiles », l’auteur Philippe Girard nous offre un roman graphique de très grande qualité, autant par le scénario que par le dessin et les choix de couleurs. Pour cette œuvre, il a bénéficié d’une résidence d’auteur à Liège.
Il a certainement mieux apprécié son expérience en Belgique que sa résidence d’écrivain en Pologne où il avait dû se débrouiller seul, car les hôtes n’avaient pas respecté les présentations et rendez-vous prévus à l’horaire. À l’époque, il s’était servi de sa malchance pour, malgré tout, produire un ouvrage très intéressant portant le nom de « Le Starzec — un mois à Cracovie ».
« Super canon » se base sur une histoire vécue, celle de l’ingénieur canadien Gerald Vincent Bull. Bien sûr, il est impossible de retracer pas à pas la vie de cet homme et l’auteur a donc créé un personnage désigné Docteur Gerry.
À la lecture du bouquin, on réalise le talent incroyable de Gerald Bull, ce scientifique qui a révolutionné la balistique. On témoigne de son destin en dents de scie, tourmenté qu’il était entre ses rêves de jeunesse et ses ambitions sans limites.
Pour boucler ses budgets de recherche et garder sa compagnie à flot, il se transforme progressivement en marchand d’armes. Il se met au service de multiples États, dont le Canada, les États-Unis, Israël, l’Irak, l’Iran, la Chine. Ce faisant, il devient l’objet d’une surveillance constante de la part de plusieurs agences et accumule les ennemis.
On a de toute évidence affaire à un génie qui a à dessein bloqué toute réflexion critique quant à ses armes de destruction. Il rêve d’un canon très puissant pour envoyer des satellites dans l’espace, mais les organismes de renseignement d’autres pays ont des projets très différents pour ses canons.
Il croit naïvement qu’il pourra servir plusieurs maîtres aux intérêts divergents, sans que cela puisse lui causer le moindre problème. Cela frise le raisonnement enfantin, l’aveuglement volontaire dans le but de s’offrir la grande vie.
Ma seule réserve à propos du contenu concerne la première page du récit. Je trouve qu’il existe une ambiguïté à propos de l’Irak et les armes de destruction massive (case 5, page 3). C’était effectivement la crainte initiale soulevée par les États-Unis, mais des suivis répétés des inspecteurs des Nations Unies avaient montré que Saddam Hussein ne possédait pas de pareilles armes. On ne pouvait justifier l’invasion de l’Irak sur une telle base. Cette invasion a tout de même eu lieu, et on n’a pu trouver aucune de ces supposées armes en Irak. J’aurais souhaité que les conclusions de l’ONU soient mentionnées. Cela aurait permis que le scénario du bouquin s’établisse à partir d’une base ne laissant planer aucun doute.
Autrement, chose certaine, vous apprécierez ce roman graphique extrêmement bien conçu.
Comme il s’agit d’un livre écrit en anglais, j’ai dû prendre la liberté de traduire les citations pour faciliter la vie aux lecteurs unilingues francophones.
« Patrick Cockburn a noté l’émergence d’ISIS beaucoup plus tôt que toute autre personne et écrit sur ce sujet avec une profondeur telle qu’elle se trouve dans une catégorie à part. » – Press Gazette Journalist of the Year Judges
Le livre nous présente une image plus large de ce qui se produit au Moyen-Orient. Il donne de la profondeur aux nouvelles des grands réseaux. Le lecteur prend ainsi connaissance du côté moins médiatisé de chaque histoire, ce qui aide à acquérir une meilleure compréhension des différents conflits.
Des nouvelles plus ou moins exactes, et parfois des mensonges.
L’auteur dévoile la facilité avec laquelle les mensonges peuvent être fabriqués sur un champ de bataille. Il démontre également que les informations peuvent être plus ou moins exactes, comme dans le cas où un journaliste préalablement « choisi » voyage protégé par une armée, ou encore lorsque des journalistes se fient à des informations de seconde main non vérifiées pour préparer les nouvelles du soir.
Il semble également passablement difficile pour un réseau de nouvelles de refuser de diffuser une histoire lorsque des doutes subsistent à son sujet, spécialement lorsque les compétiteurs ont décidé de diffuser cette même nouvelle.
J’ai placé les citations du livre en italique étant donné qu’elles offrent d’excellents résumés. Certaines sont de l’auteur lui-même, d’autres proviennent de sources qu’il a trouvées pour écrire son livre. L’auteur soulève tellement de sujets qu’il m’est impossible de tout couvrir dans un résumé. Je tenterai d’être aussi bref que possible pour présenter la perspective la plus large possible du contenu du livre.
La peur.
La peur est le facteur principal derrière plusieurs décisions politiques irrationnelles. La peur amène une radicalisation des politiques, des religions et de la propagande. Elle est souvent reliée à un très petit groupe d’individus qui dirigent un pays, un état ou une région lorsque ces derniers croient qu’ils peuvent perdre le pouvoir politique leur offrant des privilèges indus par rapport au reste de la population. Plus les avantages sont grands, plus grande est la peur.
Les « solutions » politiques, la plupart du temps irrationnelles, créent des tensions ou aggravent des problèmes existants et aident seulement à accroître l’instabilité.
L’Arabie Saoudite aidait initialement ISIS à cause de sa peur des jihadistes opérant à l’intérieur de leur pays et également à cause de sa peur du pouvoir chiite à l’extérieur du pays. En ce qui concerne la Turquie, elle a plus peur des Kurdes qu’elle ne craint ISIS. Pour une longue période, la Turquie a donc laissé sa frontière perméable avec la Syrie : cela a permis à ISIS de compter sur une base arrière en cas de repli obligatoire temporaire.
L’auteur dit : « Il y a quelque chose d’hystérique et d’exagéré à propos de la peur que l’Arabie Saoudite entretient quant à l’expansionnisme chiite, étant donné que les chiites ne sont puissants que dans la poignée de pays où ils sont en majorité ou en forte minorité. Sur cinquante-sept pays musulmans, seulement quatre ont une majorité chiite. » (p.102)
La démonisation des religions autres que le Wahhabisme.
Dans le cas de l’Arabie Saoudite, la démonisation des religions autres que le Wahhabisme et l’étalage de la haine à travers les médias sociaux ont créé un territoire fertile à la croissance d’ISIS.
L’auteur dit : « […] Les Saoudiens doivent sérieusement s’attaquer à réformer leur système d’éducation qui démonise actuellement les chiites, sufis, chrétiens, Juifs et autres sectes et religions. Ils doivent cesser de prêcher la haine au moyen de tellement de stations satellites et ne pas offrir de passe-droit aux prêcheurs de haine sur les médias sociaux »(p.107)
« La « Wahhabisation » de l’Islam sunnite est un des plus dangereux développements de notre ère » (p.108)
L’argent favorise la polarisation entre Sunnites et Chiites.
« ISIS n’aurait pu croître en popularité sans le soutien financier de l’Arabie Saoudite, du Qatar, des Émirats Arabes Unis et de la Turquie. Étant donné qu’ISIS se nourrit des tensions entre les sunnites et les chiites, tout ce qui augmente la tension entre sunnites et chiites bénéficie au groupe terroriste : « Il n’y a aucun doute qu’une propagande wahhabite bien financée a contribué a l’accroissement d’un conflit de plus en plus violent entre sunnites et chiites » (p.99)
« Un aspect crucial de la montée du Wahhabisme est le pouvoir financier et politique de l’Arabie Saoudite. Le Dr Allawi dit que si, par exemple, un musulman pieux veut fonder un séminaire au Bangladesh, il n’y a pas beaucoup d’endroits où il pourra obtenir 20,000£ autres que l’Arabie Saoudite. Mais si la même personne veut s’opposer au Wahhabisme, il devra alors le combattre avec des ressources limitées » (p.108)
« Cette polarisation entre deux groupes religieux n’a fait que s’intensifier à travers la guerre chaude et froide que se livrent les États-Unis et la Russie. Des mandataires étaient ici au travail, avec l’Arabie Saoudite et les monarchies du golfe Persique, supportées par les États-Unis, face à l’Iran, la Syrie et le Hezbollah au Liban appuyés par la Russie » (p.71)
Une propagande qui a fait qu’Al-Qaïda est apparue plus forte et efficace qu’elle ne l’était en réalité, en référence aux attaques du 11 septembre 2001.
Plusieurs sections du livre font référence, à un moment ou l’autre, aux attaques du 11 septembre 2001. Voici quelques-unes des observations de l’auteur (en italique). J’ai également ajouté des commentaires personnels clairement identifiés comme tels :
L’instant Pearl Harbor des attentats du 11 septembre 2001.
L’auteur écrit : « Le choc des attentats du 11 septembre 2001 a généré un « moment » Pearl Harbor aux États-Unis où la révulsion et la peur du public ont pu être manipulées pour implémenter un agenda néoconservateur préexistant en pointant Saddam Hussein et en envahissant l’Irak » (p.100).
Note : les cinq paragraphes suivants constituent un commentaire personnel sur « l’instant Pearl Harbor » :
Un « instant Pearl Harbor » signifie qu’afin que les Américains approuvent une attaque en sol étranger, ils devaient voir quelque chose de terrible se produire aux États-Unis. Par exemple, avant la destruction évidente de navires de guerre à Pearl Harbor par les Japonais, les Américains avaient refusé de s’engager dans la Seconde Guerre mondiale.
Durant les attentats du 11 septembre 2001, et même plus tard, les quatre-vingts caméras du Pentagone n’ont pas pu capturer quoi que ce soit ressemblant de près ou de loin à un Boeing 757 frappant le bâtiment. Vous deviez croire que les choses s’étaient produites exactement comme vous le disaient les nouvelles étant donné qu’il n’y avait pas de photos ni de vidéos d’un Boeing en morceaux sur le terrain du Pentagone.
Les médias ont plutôt joué et rejoué les scènes vidéos où les tours jumelles du World Trade Center s’écrasent complètement jusqu’au sol après avoir été touchées par un seul avion chacune, même si les bâtiments étaient construits pour résister à des impacts multiples, à travers un design « moustiquaire », une leçon apprise à travers ce qui était arrivé des années plus tôt avec l’Empire State Building.
Des gens ont cru que les bâtiments s’étaient écrasés à cause de la chaleur trop élevée, mais plusieurs ont négligé le rapport de la FEMA émis plus tard affirmant que la température ne s’était pas élevée à plus de 300 ou 400 degrés à l’intérieur du bâtiment, des centaines de degrés en moins que ce qui était nécessaire pour faire fondre l’acier.
La chute libre des tours jumelles du World Trade Center a constitué « l’instant Pearl Harbor » nécessaire pour provoquer la peur et faciliter l’implémentation d’un agenda néoconservateur préexistant. Les électeurs américains n’auraient pas approuvé une guerre en règle à l’étranger si les bâtiments étaient demeurés debout après un seul impact. C’est un peu comme si le monde devait croire que le World Trade Center a été bâti en utilisant la pire ingénierie américaine tout en ne retenant aucune leçon du passé. Pour plus d’infos sur ce sujet spécifique:
En 2001, Al-Qaïda était une organisation sans grande efficacité.
Patrick Cockburn est un parmi très peu de journalistes qui n’a pas peur de présenter Al-Qaïda telle qu’elle était en 2001, une organisation émergente qui était loin d’être capable de planifier et exécuter des attaques aussi complexes que celles du 11 septembre 2001. (Cela explique aussi pourquoi, peu de temps après les attaques, les nouvelles internationales ont présenté une vidéo de Ben Laden niant sa responsabilité pour les attaques. Une vidéo qui n’a jamais été remontrée. Mais plusieurs millions de personnes l’ont vue avant qu’elle ne soit censurée subséquemment par les grands réseaux).
« Au moment de 9/11, Al-Qaïda était une petite organisation généralement inefficace »(p.59). L’auteur utilise en anglais le terme « ineffectual », qui réfère à l’incapacité de produire un effet désiré.
L’implémentation de l’agenda néoconservateur.
Cela signifie en réalité que l’agenda préexistant néoconservateur américain ne pouvait compter sur l’expérience d’Al-Qaïda. Il a plutôt fallu l’aide d’une ou plusieurs organisations expérimentées pour le financement, la planification et l’exécution des attaques du 11 septembre 2001. Seulement après les faits Al-Qaïda a-t-elle pu être blâmée étant donné qu’elle était maintenant bien connue des Américains, après toute la propagande des médias. Un lien artificiel a par la suite été fait avec l’Irak, permettant une invasion que soixante pour cent des électeurs américains ont autorisée.
Soixante pour cent des électeurs américains ont été induits en erreur.
L’auteur écrit : « Le nom Al-Qaïda a toujours été utilisé de façon élastique pour identifier un ennemi. En 2003 et en 2004 en Irak, alors que l’opposition irakienne à l’occupation américaine et britannique s’accentuait, les autorités américaines ont attribué presque toutes les attaques à Al-Qaïda alors que plusieurs étaient le fait de groupes nationalistes et baathistes. Une telle propagande a aidé à persuader près de soixante pourcent des électeurs américains avant l’invasion en Irak qu’il y avait une connexion entre Saddam Hussein et les responsables de 9/11, malgré une absence complète de preuves sur le sujet. En Irak, et à travers le monde musulman, ces accusations ont grandement bénéficié à Al-Qaïda en exagérant son rôle dans sa résistance à l’occupation américaine et britannique » (p.53)
La chute de Mosul.
ISIS n’a eu besoin que de 6000 combattants pour gagner la Bataille de Mosul. Pourtant, le groupe armé faisait face à un million de soldats irakiens. Comment cela a-t-il été possible? L’auteur voit trois raisons :
1. La coopération des sunnites irakiens, qui sentaient qu’ils étaient mieux protégés par ISIS que par les chiites. 2. Une corruption à tous les niveaux dans l’armée irakienne : « Comme un ancien ministre l’a dit, « le gouvernement irakien est une kleptocratie institutionnalisée ». Un autre politicien qui ne veut pas être nommé a dit « […] Les gens donnent de l’argent pour faire partie de l’armée [pour obtenir un salaire] – mais ce sont des investisseurs, pas des soldats » (p.77) 3. Le fait que l’armée irakienne ne soit désormais plus une armée nationale, étant donné que les soldats sunnites bien entraînés ont été mis de côté.
Syrie : le président Bachar Assad n’était pas aussi faible qu’on le croyait.
Autant le monde extérieur que l’opposition percevaient le président Assad comme beaucoup plus faible qu’il ne l’était en réalité. Tous pensaient qu’il serait défait sans l’aide d’une campagne aérienne organisée.
Une omission majeure quant à la guerre en Syrie.
« Les États-Unis et autres pouvoirs occidentaux ont échoué à prévoir qu’en supportant une révolte armée en Syrie, ils déstabiliseraient inévitablement l’Irak et provoqueraient une nouvelle ronde d’une guerre civile sectaire » (p.73)
Cinq différents conflits en Syrie.
Le conflit syrien est extrêmement compliqué étant donné qu’il y a plusieurs intérêts politiques et religieux en jeu : « La crise syrienne comprend cinq différents conflits qui s’infectent entre eux et s’exacerbent mutuellement. La guerre a commencé avec une révolte populaire véritable contre une dictature brutale et corrompue, mais elle a vite été mélangée au conflit entre sunnites et alawites, pour ensuite dégénéré dans un conflit régional global entre chiites et sunnites avec d’un côté une alliance représentée par les États-Unis, l’Arabie Saoudite et les états sunnites et, de l’autre côté, l’Iran, l’Irak et les chiites libanais. En plus de tout cela, il y a eu un renouveau dans la guerre froide entre Moscou et l’Occident, exacerbée par le conflit en Libye et de façon récente s’aggravant encore à cause de la crise en Ukraine » (p.94)
En Syrie, c’est un choix entre Assad ou ISIS.
ISIS est la plus importante force d’opposition en Syrie. Si Bachar Assad tombe, ISIS prend sa place : « Les Syriens ont le choix entre une dictature violente, dans laquelle le pouvoir est monopolisé par la présidence et des services de sécurité brutaux, ou une opposition qui tire en plein visage des enfants pour un blasphème mineur et envoie des photos de soldats décapités aux parents des victimes ». (p.81)
Les victoires octroyées par Dieu.
« L’attrait de l’État islamique pour les musulmans sunnites de Syrie, d’Irak et d’ailleurs dans le monde vient en partie du sentiment que ses victoires sont octroyées par Dieu et inévitables, donc toute défaite endommage sa prétention à un support divin » (p.159)
La solution au conflit syrien viendra de l’extérieur du pays.
« Plusieurs Syriens voient maintenant une solution à leur guerre civile comme étant largement entre les mains des États-Unis, de la Russie, de l’Arabie Saoudite et de l’Iran. En cela, ils sont probablement corrects ».
Notes supplémentaires.
La guerre ne concerne jamais que le « combat ». Il y a toujours un processus politique sous-jacent qui est en marche. Donc, même si un pays semble militairement défait, d’énormes efforts politiques devront être faits si l’on veut créer un nouvel ordre stable.
« La conviction qu’un gouvernement toxique est à la base de tout ce qui est mauvais est la position publique de la plupart des oppositions, mais il est dangereux de se fier à l’agenda personnel de toute personne. »
« Un gouvernement ou une armée peut tenter de maintenir le secret en interdisant les journalistes, mais il devra payer le prix étant donné que l’absence de nouvelles est remplacée par de l’information fournie par leurs ennemis».
En août 1990, l’Irak envahit le Koweït. Cette invasion est unanimement dénoncée, même par les pays traditionnellement alignés avec l’Irak. L’ONU réagit en donnant à l’Irak jusqu’au 15 janvier 1991 pour se retirer. Cependant, le ton utilisé par Saddam Hussein laisse clairement entendre, dès le début du conflit, qu’il n’y aura pas de retrait et qu’il entend intégrer le Koweït au territoire irakien.
Comprenant que la force sera de toute évidence nécessaire, les États-Unis (représentant une coalition de 34 pays) se préparent immédiatement au conflit. Les mouvements d’aéronefs s’accentuent et certains appareils militaires qui devront traverser l’Atlantique s’arrêtent inévitablement à Iqaluit, sur la terre de Baffin, pour le ravitaillement en carburant, pour ensuite passer par le Groenland, l’Islande, l’Europe et terminer leur voyage au Moyen-Orient.
Dès l’été 1990, Iqaluit devient donc un des points de passage obligé pour la traversée de différents aéronefs militaires vers l’Europe à partir des États-Unis et du Canada. Ainsi dans notre paysage nordique arrivent des L382 pour le transport de matériel volumineux et des OV-10 Bronco peints couleur désert. Un peu plus tard à l’automne atterrissent d’autres aéronefs à usage spécialisé, tels que des RU-21 Guardrail Common Sensor.
Iqaluit reçoit également la visite d’un L-382 de la Southern Air Transport, une compagnie parfois utilisée par la CIA pour ses déplacements.
Dès qu’un FSS termine avec les communications radio, il se dirige vers le comptoir de briefing pour recevoir les pilotes militaires venus chercher toutes les informations météo et de planification de vol qui seront nécessaires pour une traversée sécuritaire de l’Atlantique.
Les fréquences HF de la station d’information de vol d’Iqaluit ne dérougissent pas, car en plus des contacts normaux associés aux aéronefs commerciaux traversant l’Atlantique s’ajoutent désormais des contacts avec les C5 Galaxy traversant vers l’Europe. Dans les deux semaines précédant la fin de l’ultimatum de l’ONU, soit entre le 1 et le 15 janvier 1991, la station d’information de vol d’Iqaluit enregistre, par rapport à la même période en 1990, une augmentation de 266 % du trafic océanique transitant sur son aéroport. Les vols sont reliés à des avions à réaction d’affaires privés ou nolisés des grandes banques, des compagnies pétrolières et des organismes militaires plaçant leurs billes en attente des développements à venir. Nous recevons, entre autres, des aéronefs de type G1, G2, G3, G4, HS25, DA50, DA90, CL60, C550, LR25 et B-727.
Et une bonne nuit de janvier 1991, alors que nous sommes au travail, mon confrère m’annonce calmement, en enlevant son casque d’écoute : « Son, the war has started! ». Ce fut une période assez particulière dont je me souviendrai, du fait que notre formation n’était pas militaire, mais que nous avons pu vivre pendant une courte période certains des préparatifs et des mouvements d’aéronefs relatifs à un conflit d’envergure.
De plus, pour une courte période, Iqaluit retrouvait essentiellement ce pour quoi le site avait été créé en 1942, lors de la Deuxième Guerre mondiale, c’est-à-dire une base destinée à des opérations militaires au service d’avions transitant vers l’Europe.
État Islamique, Daech, ISIS : trois noms pour désigner le même groupe terroriste
De façon à réduire les risques de confusion pour le lecteur, l’auteur, Alexandre Adler, présente immédiatement trois noms qui signifient une même entité : État islamique, Daech, ISIS. Il explique ce que désire ISIS : établir un califat sur le Levant, un territoire qui s’étend de la Méditerranée au golfe Persique et qui inclue le Liban, la Syrie, l’Irak et la Palestine.
Le concept de « califat » et les raisons du désir de son rétablissement sont clairement expliqués.
Modification du rapport de force entre sunnites et chiites
ISIS recherche des zones en décomposition où s’implanter. Il se nourri des tensions très fortes créées par l’inégalité croissante entre deux groupes : les sunnites et les chiites. Les sunnites, groupe religieux plus conservateur, ont perdu énormément d’influence à la suite de la mort de Saddam Hussein. On tente aujourd’hui de réparer les pots cassés en s’assurant que le pouvoir en Irak prend en considération les intérêts des deux groupes.
Les mouvements radicaux puisent chez les insatisfaits
Les sunnites ont constaté la force croissante de l’axe chiite : Beyrouth, Damas sous Bachar Assad, Bagdad sous Maniki, et surtout la montée de l’Iran moderne, qui est également constitué d’une majorité chiite. Utilisant ce débalancement des nouveaux rapports de force, ISIS a su recruter des officiers militaires et des chefs de tribus arabes et sunnites insatisfaits.
L’auteur insiste donc sur le fait que les mouvements radicaux puisent à la base chez les insatisfaits, les laissés pour compte. Il donne un autre exemple susceptible de créer de l’insatisfaction : la colonisation.
Une division des territoires qui ne tient pas compte du facteur humain
La colonisation modifie les rapports de force à l’intérieur d’une population. L’auteur étant Français, il cite en exemple la façon dont la France est intervenue au Sahara, en divisant des territoires sans tenir compte du facteur humain. Avec la mise en place de nouvelles frontières, la tribu des Touaregs a soudainement été divisée en trois.
Cette tribu ayant refusé de se soumettre à une autorité nouvelle, en l’occurrence le gouvernement du Mali, des tensions ont été créées et se sont accrues avec le temps, faute d’accommodement raisonnable.
Le dictateur Kadhafi, depuis la Libye, a compris qu’il pouvait tirer profit de la situation et a soutenu le mouvement de résistance des Touaregs. Kadhafi ayant été abattu, les Touaregs se sont alors tournés vers une nouvelle forme de support : les jihadistes. De fil en aiguille, une tribu autrefois autonome est devenu un terreau fertile pour les jihadistes.
Entre Al Qaëda et ISIS, Boko Haram choisit ISIS
L’auteur explique qu’au Nigeria, Boko Haram est né des tensions internes entre le nord du pays qui possède le pouvoir politique et le sud du pays où la population bénéficie des revenus engendrés par les ressources pétrolières. En 2014, Boko Haram se range du côté d’ISIS. Pourquoi? ISIS, contrairement à Al Qaeda, souhaite un affrontement généralisé avec les chiites. Boko Haram a choisi le mouvement le plus radical.
Apparition et disparition du pouvoir califal
Le pouvoir califal établi une continuité théologique et politique de l’État instauré dès 622 par le Prophète à Médine. L’auteur énumère les raisons des multiples apparitions et disparitions de ce pouvoir califal depuis l’an 622. Le dernier changement a été apporté en 1923, alors que Mustapha Kemal a aboli le califat.
Quel groupe religieux incarne le véritable islam?
Des tensions existent entre chiites et sunnites au sujet du califat et du groupe qui incarne le véritable islam. La division date de plusieurs siècles. Les chiites considèrent qu’Ali, le quatrième successeur du Prophète, a été victime de complots au moment où il tentait un redressement étatique et moral de l’islam. La défaite d’Ali a conduit à la division entre chiites et sunnites. Les chiites considèrent qu’ils sont les détenteurs du véritable islam. Ils défendent ce point de vue depuis des siècles, malgré les persécutions sunnites.
Les chiites sont contre un rétablissement précoce du califat
L’auteur signale qu’il y a de profondes divergences d’opinions quant aux vues philosophiques, théologiques et politiques entre les deux groupes. À cause de ces raisons, les chiites sont contre un rétablissement précoce du califat, ce qui porte les sunnites les plus radicaux et, à travers eux ISIS, à leur mener une guerre totale.
L’axe sunnite est représenté par l’Arabie Saoudite et l’Égypte, bien qu’entre ces deux pays existe également une certaine rivalité.
La crainte de l’Arabie Saoudite
Les saoudiens craignent la naissance d’un mouvement politique chiite puissant sur leur territoire; ils estiment qu’il y aurait un risque de perdre le contrôle de leurs installations pétrolières, ce qui constitue la base de la richesse en Arabie Saoudite. L’auteur dit des Saoudiens qu’ils financent « tous les mouvements anti-chiites dans le monde arabe, y compris le jihad sunnite en Irak ».
Le retour de l’Iran
Le retour de l’Iran, puissance chiite, sur l’échiquier mondial ajoute à une équation déjà complexe. L’auteur nous explique qu’il y a traditionnellement des tensions entre l’Iran Perse et les Arabes. Mais il y a autre chose : l’Iran, à l’instar de certains autres pays de la région, soutient maintenant des positions plus modérées : « L’Iran est en train de changer radicalement d’orientation et de préparer son retour sur la scène mondiale, comme un pays ouvert, pluraliste, pratiquant une démocratie chiite, certes imparfaite, mais en train de vivre sa perestroïka ».
Une lutte entre extrémisme et modération
L’adoption de positions plus modérées est loin de plaire à un groupe politique extrémiste comme ISIS. L’accord américano-iranien sur le nucléaire, en 2013, et les avancées plus récentes de 2015, correspondent à une accentuation marquée des actes terroristes commis par ISIS.
Les atrocités contre l’humanité replacées dans un contexte historique
Les médias rapportent régulièrement les atrocités perpétrées par ISIS. Selon l’auteur, cette médiatisation donnerait une fausse impression de la force de l’État islamique : ISIS commettrait aujourd’hui de tels actes contre l’humanité du fait de sa faiblesse relative.
Dans son livre, l’auteur fait un rapprochement entre les actes d’ISIS et les crimes de guerre et atrocités commis par d’autres régimes à travers les décennies. Il situe ces actes à des moments qui correspondent tous à une dernière tentative de survivre avant d’être défaits complètement et d’être remplacés par des partis modernes et modérés.
Bref, à travers la défaite d’ISIS et des régimes de terreurs similaires, l’auteur annonce l’émergence des grandes nations musulmanes modernes.
Une petite réserve
La seule réserve que je soulèverais porte sur le passage où l’auteur répète, sans nuancer et à l’instar des grands médias, que Ben Laden est responsable des attentats du 11 septembre 2001 à New-York. Cette version des faits a toujours été âprement discutée, et ce, depuis les premières heures de l’attentat. Il n’y a pas que les « conspirationnistes » qui ont soulevé ce point. Mais tout le monde sait qu’à force de répéter quelque chose, cela devient une vérité absolue. Noam Chomsky et d’autres auteurs de renom ont couvert ce sujet en long et en large.
Titre : Le califat du sang Auteur : Alexandre Adler Éditions : Grasset & Fasquelle, 2014. ISBN : 978-2-246-85457-9