Gou Tanabe nous présente le chef-d’œuvre d’H.P. Lovecraft « Les montagnes hallucinées » sous forme de manga en deux tomes. Déjà que de feuilleter Lovecraft constitue en soi un voyage dans l’étrange, le faire en commençant par la fin d’un bouquin et en lisant de droite à gauche ajoute encore à la bizarrerie de l’expérience.
Cette transposition de Lovecraft en manga rejoint efficacement les amateurs de Lovecraft. D’ailleurs, les statistiques le prouvent. Les 382 évaluations laissées sur Amazon démontrent une satisfaction très nette de la clientèle, avec un total de 4,9/5 étoiles au moment d’écrire ces lignes.
Je préfère normalement les bandes dessinées et les romans graphiques en couleurs, mais l’interprétation en noir et blanc de la production de Lovecraft va à merveille à ce monde fantastique dans lequel nous plonge Tanabe.
Lovecraft rend crédible une œuvre fantasmagorique en intégrant dans la trame un mélange bien dosé d’éléments réels et de fiction. À moins d’être soi-même archéologue et paléontologue, on peut difficilement vérifier quelles données appartiennent véritablement à la science. Cela permet d’encadrer davantage le lecteur. On reconnaît les instants de pure imagination, mais on reste accroché.
Je me mets à la place d’une personne qui vivait à l’époque de Lovecraft, au moment où l’Antarctique ne constituait qu’un continent mystérieux et encore inexploré dans sa totalité. Une histoire remplie d’éléments de fiction gagnerait en crédibilité, alors que personne ne pourrait vraiment confirmer ou infirmer certains propos de l’auteur.
On trouve dans « Les montagnes hallucinées » des propos sur la navigation à voile, l’aviation, la météo extrême, la survie dans les espaces glacés et isolés. Le lecteur assiste aux problèmes vécus par les différents équipages partis explorer l’Antarctique. Les découvertes de plus en plus saisissantes des scientifiques les forcent à prendre des décisions risquées qui les plongent dans un monde inconnu. Bref, des thèmes qui plaisent encore aujourd’hui à la plupart des gens.
Les deux tomes totalisent autour de 650 pages qu’on feuillette avec intérêt en une journée puisque plusieurs planches n’incluent aucun texte.
État Islamique, Daech, ISIS : trois noms pour désigner le même groupe terroriste
De façon à réduire les risques de confusion pour le lecteur, l’auteur, Alexandre Adler, présente immédiatement trois noms qui signifient une même entité : État islamique, Daech, ISIS. Il explique ce que désire ISIS : établir un califat sur le Levant, un territoire qui s’étend de la Méditerranée au golfe Persique et qui inclue le Liban, la Syrie, l’Irak et la Palestine.
Le concept de « califat » et les raisons du désir de son rétablissement sont clairement expliqués.
Modification du rapport de force entre sunnites et chiites
ISIS recherche des zones en décomposition où s’implanter. Il se nourri des tensions très fortes créées par l’inégalité croissante entre deux groupes : les sunnites et les chiites. Les sunnites, groupe religieux plus conservateur, ont perdu énormément d’influence à la suite de la mort de Saddam Hussein. On tente aujourd’hui de réparer les pots cassés en s’assurant que le pouvoir en Irak prend en considération les intérêts des deux groupes.
Les mouvements radicaux puisent chez les insatisfaits
Les sunnites ont constaté la force croissante de l’axe chiite : Beyrouth, Damas sous Bachar Assad, Bagdad sous Maniki, et surtout la montée de l’Iran moderne, qui est également constitué d’une majorité chiite. Utilisant ce débalancement des nouveaux rapports de force, ISIS a su recruter des officiers militaires et des chefs de tribus arabes et sunnites insatisfaits.
L’auteur insiste donc sur le fait que les mouvements radicaux puisent à la base chez les insatisfaits, les laissés pour compte. Il donne un autre exemple susceptible de créer de l’insatisfaction : la colonisation.
Une division des territoires qui ne tient pas compte du facteur humain
La colonisation modifie les rapports de force à l’intérieur d’une population. L’auteur étant Français, il cite en exemple la façon dont la France est intervenue au Sahara, en divisant des territoires sans tenir compte du facteur humain. Avec la mise en place de nouvelles frontières, la tribu des Touaregs a soudainement été divisée en trois.
Cette tribu ayant refusé de se soumettre à une autorité nouvelle, en l’occurrence le gouvernement du Mali, des tensions ont été créées et se sont accrues avec le temps, faute d’accommodement raisonnable.
Le dictateur Kadhafi, depuis la Libye, a compris qu’il pouvait tirer profit de la situation et a soutenu le mouvement de résistance des Touaregs. Kadhafi ayant été abattu, les Touaregs se sont alors tournés vers une nouvelle forme de support : les jihadistes. De fil en aiguille, une tribu autrefois autonome est devenu un terreau fertile pour les jihadistes.
Entre Al Qaëda et ISIS, Boko Haram choisit ISIS
L’auteur explique qu’au Nigeria, Boko Haram est né des tensions internes entre le nord du pays qui possède le pouvoir politique et le sud du pays où la population bénéficie des revenus engendrés par les ressources pétrolières. En 2014, Boko Haram se range du côté d’ISIS. Pourquoi? ISIS, contrairement à Al Qaeda, souhaite un affrontement généralisé avec les chiites. Boko Haram a choisi le mouvement le plus radical.
Apparition et disparition du pouvoir califal
Le pouvoir califal établi une continuité théologique et politique de l’État instauré dès 622 par le Prophète à Médine. L’auteur énumère les raisons des multiples apparitions et disparitions de ce pouvoir califal depuis l’an 622. Le dernier changement a été apporté en 1923, alors que Mustapha Kemal a aboli le califat.
Quel groupe religieux incarne le véritable islam?
Des tensions existent entre chiites et sunnites au sujet du califat et du groupe qui incarne le véritable islam. La division date de plusieurs siècles. Les chiites considèrent qu’Ali, le quatrième successeur du Prophète, a été victime de complots au moment où il tentait un redressement étatique et moral de l’islam. La défaite d’Ali a conduit à la division entre chiites et sunnites. Les chiites considèrent qu’ils sont les détenteurs du véritable islam. Ils défendent ce point de vue depuis des siècles, malgré les persécutions sunnites.
Les chiites sont contre un rétablissement précoce du califat
L’auteur signale qu’il y a de profondes divergences d’opinions quant aux vues philosophiques, théologiques et politiques entre les deux groupes. À cause de ces raisons, les chiites sont contre un rétablissement précoce du califat, ce qui porte les sunnites les plus radicaux et, à travers eux ISIS, à leur mener une guerre totale.
L’axe sunnite est représenté par l’Arabie Saoudite et l’Égypte, bien qu’entre ces deux pays existe également une certaine rivalité.
La crainte de l’Arabie Saoudite
Les saoudiens craignent la naissance d’un mouvement politique chiite puissant sur leur territoire; ils estiment qu’il y aurait un risque de perdre le contrôle de leurs installations pétrolières, ce qui constitue la base de la richesse en Arabie Saoudite. L’auteur dit des Saoudiens qu’ils financent « tous les mouvements anti-chiites dans le monde arabe, y compris le jihad sunnite en Irak ».
Le retour de l’Iran
Le retour de l’Iran, puissance chiite, sur l’échiquier mondial ajoute à une équation déjà complexe. L’auteur nous explique qu’il y a traditionnellement des tensions entre l’Iran Perse et les Arabes. Mais il y a autre chose : l’Iran, à l’instar de certains autres pays de la région, soutient maintenant des positions plus modérées : « L’Iran est en train de changer radicalement d’orientation et de préparer son retour sur la scène mondiale, comme un pays ouvert, pluraliste, pratiquant une démocratie chiite, certes imparfaite, mais en train de vivre sa perestroïka ».
Une lutte entre extrémisme et modération
L’adoption de positions plus modérées est loin de plaire à un groupe politique extrémiste comme ISIS. L’accord américano-iranien sur le nucléaire, en 2013, et les avancées plus récentes de 2015, correspondent à une accentuation marquée des actes terroristes commis par ISIS.
Les atrocités contre l’humanité replacées dans un contexte historique
Les médias rapportent régulièrement les atrocités perpétrées par ISIS. Selon l’auteur, cette médiatisation donnerait une fausse impression de la force de l’État islamique : ISIS commettrait aujourd’hui de tels actes contre l’humanité du fait de sa faiblesse relative.
Dans son livre, l’auteur fait un rapprochement entre les actes d’ISIS et les crimes de guerre et atrocités commis par d’autres régimes à travers les décennies. Il situe ces actes à des moments qui correspondent tous à une dernière tentative de survivre avant d’être défaits complètement et d’être remplacés par des partis modernes et modérés.
Bref, à travers la défaite d’ISIS et des régimes de terreurs similaires, l’auteur annonce l’émergence des grandes nations musulmanes modernes.
Une petite réserve
La seule réserve que je soulèverais porte sur le passage où l’auteur répète, sans nuancer et à l’instar des grands médias, que Ben Laden est responsable des attentats du 11 septembre 2001 à New-York. Cette version des faits a toujours été âprement discutée, et ce, depuis les premières heures de l’attentat. Il n’y a pas que les « conspirationnistes » qui ont soulevé ce point. Mais tout le monde sait qu’à force de répéter quelque chose, cela devient une vérité absolue. Noam Chomsky et d’autres auteurs de renom ont couvert ce sujet en long et en large.
Titre : Le califat du sang Auteur : Alexandre Adler Éditions : Grasset & Fasquelle, 2014. ISBN : 978-2-246-85457-9