Histoires vécues en tant que FSS à Iqaluit

Le transport d’un .357 Magnum Iqaluit

En 1988, je quitte Rouyn-Noranda pour aller travailler la station d’information de vol d’Iqaluit, une station situe sur la Terre de Baffin. Iqaluit est la capitale du Nunavut et un port d’entre au Canada autoris pour le transport arien ou maritime international. Situ la jonction des routes polaires et de l’Atlantique Nord, Iqaluit peut recevoir tous les types d’aronefs existants.

Je devrai donc apprendre de nouvelles fonctions relies aux responsabilits de l’OACI vis–vis du trafic arien international traversant l’Atlantique, tout en occupant la tâche de spcialiste en information de vol en ce qui a trait au service consultatif d’aroport.

Le dcollage se fera partir de l’aroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montral. Je dcide d’emporter le rvolver de type .357 Magnum avec lequel je m’entraîne depuis plusieurs annes. Les papiers m’autorisent le transporter de ma demeure vers l’aroport de Montral. Une fois l’aroport, je dois me diriger vers un comptoir où un agent me fournit un document qui me permet de transporter le rvolver dans le Boeing B737 de Nordair en partance pour Iqaluit.

Il n’y a aucune mention qui fait en sorte que l’arme doive être entrepose dans la cabine de pilotage. Au passage dans la zone de scurit, le .357 Magnum se trouve dans une mallette, dans mon sac Adidas. Je mets le sac sur une courroie mobile, comme pour n’importe quel bagage main de passager, pour qu’il soit vrifi par les agents. Le sac n’est pas ouvert par l’agent de scurit; il scrute l’cran et constate son contenu, sans plus. J’imagine qu’il a dû recevoir des instructions spciales dont j’ignore tout.

Je suis un peu surpris de la facilit avec laquelle je peux transporter un rvolver, mais n’ayant jamais tent l’exprience auparavant, car je ne suis pas un policier, je me rassure en me disant que toutes les demandes ont t faites et que les papiers sont en règle. Je passe sans problème l’inspection et me retrouve dehors. Une petite marche est ncessaire pour rejoindre le Boeing B737.

Une agente de bord accueille tous les passagers. Au moment où je me prpare entrer dans l’avion, elle me questionne voix basse pour savoir si le rvolver est dans le sac et s’il est charg. Mes rponses tant satisfaisantes, elle m’invite me diriger vers mon siège.

Une fois install ma place, je glisse le sac Adidas sous le siège de mon voisin d’en face, plutôt que dans les compartiments surlevs le long des alles, histoire de toujours avoir le sac en vue. L’avion dcolle et le vol se fait en douceur vers Iqaluit.

Trois annes passent et vient le temps du retour pour une mutation vers la station d’information de vol de Qubec. Dans l’intervalle, le monde a chang, et au Qubec, Marc Lpine a fait des siennes en 1989, avec le massacre, au moyen d’une arme feu, de quatorze tudiantes de l’Ecole Polytechnique de Montral.

Je me dirige vers le bureau de la GRC d’Iqaluit pour remplir les papiers dans le but de rapporter le rvolver vers mon nouveau lieu de mutation, rvolver qui sera finalement vendu dans les premiers mois de mon arrive. Le policier signe les papiers et m’annonce tout de suite que l’arme sera conserve dans la cabine de pilotage.

Je lui demande, au cas où cela serait encore permis, si j’ai toujours la libert de l’installer sous le siège du passager avant, comme cela avait t fait lors de mon arrive. Il me regarde d’une façon qui signifie clairement qu’il ne croit pas un mot de ce que je viens de dire. Cela n’a pas d’importance. L’arme voyagera donc avec les pilotes et je la rclamerai après l’atterrissage.

Quand je repense cette histoire presque trente ans plus tard, je ralise combien le monde a chang. Il y eut un temps où je pouvais aller l’aroport international de Montral et m’installer sur une longue passerelle extrieure rserve au public pour assister aux mouvements des aronefs et vhicules de toutes sortes.

Sur cette même passerelle, des citoyens en profitaient pour fumer un peu tout en laissant ngligemment tomber leurs mgots de cigarettes ici et l, tout près des camions citernes en opration. La gestion de l’aroport interdit ventuellement l’accès cette passerelle après avoir reçu de multiples plaintes de passagers ayant trouv des traces de brûlures sur leurs valises …

Iqaluit et l’ancienne base militaire amricaine (Frobisher Bay)

Un Lockheed L-1011 de la compagnie American Trans Air en train d'être ravitaill  Iqaluit, au Canada, en 1989. Durant ma pause, j'ai quitt la station d'information de vol (la tour jaune) pour prendre cette photo.
Un Lockheed L-1011 de la compagnie American Trans Air en train d’être ravitaill Iqaluit, au Canada, en 1989. Durant ma pause, j’ai quitt la station d’information de vol (la tour jaune) pour prendre cette photo.

Avant de raconter quelques-uns des vnements s’tant produits lorsque je travaillais la station d’information de vol d’Iqaluit (Iqaluit FSS) entre 1989 et 1991, il est ncessaire de prsenter quelques dates importantes qui permettront au lecteur de comprendre pourquoi l’aroport tait initialement un aroport militaire.

1938. Les ambitions d’Hitler sont suffisamment claires pour que Roosevelt juge ncessaire de mentionner ce qui suit : « I give you assurance that the people of the United States will not stand idly by if domination of Canadian soil is threatened by any other empire ».

1939. Les discussions dbutent entre le Canada et les Etats-Unis concernant la dfense conjointe du continent nord-amricain.

1940. La Grande-Bretagne risque la dfaite contre une Allemagne qui progresse grands pas dans sa conquête du territoire europen. Lorsque le Danemark est vaincu l’automne 1940, la crainte s’accroit que les Allemands progressent vers l’ouest en tablissant des bases militaires oprationnelles sur le territoire des pays rcemment vaincus.

Le Groenland appartenant un Danemark vaincu, les Allemands vont dsormais se l’approprier et ainsi se rapprocher du Canada. À l’poque, le Groenland tait la seule source d’approvisionnement commercial de cryolite, un composant essentiel de l’aluminium utilis dans la fabrication des avions.

Il y a galement une province qui ne fait pas partie du Canada en 1940 et qui constitue un endroit stratgique partir duquel l’ennemi peut mener sa guerre contre le Canada et les Etats-Unis : Terre-Neuve et Labrador.

De façon ce que le conflit ne se transporte pas directement sur le territoire nord-amricain, il faut tenir les Allemands occups en Europe : il faudra donc les empêcher de vaincre la Grande-Bretagne.

1941. Les navires transportant des avions de combat court rayon d’action de l’Amrique vers l’Europe sont rgulièrement attaqus et couls par les U-boats. Il est devenu impratif de modifier la route. Les Canadiens et Amricains recherchent les meilleurs emplacements pour la cration de pistes d’atterrissage permettant aux aronefs militaires court rayon d’action de voyager par les airs jusqu’ Prestwick en Ecosse.

Cette nouvelle route aura pour nom « Crimson Route » et les tapes choisies seront : Goose Bay, au Labrador, Fort Chimo (Kuujjuaq) au Qubec, Frobisher Bay (Iqaluit) dans le Nunavut, de même que trois sites au Groenland (Narsarsuaq, Angmagssalik et Sondre Stromfjord (Kangerlussuaq). Le nom de code d’Iqaluit devient la base « Crystal Two ».

1941-42. Les Allemands tablissent les premières bases mto habites sur la côte est du Groenland, de façon faciliter les oprations de leur flotte de U-boats oprant dans l’Atlantique Nord. Lorsqu’elles sont dcouvertes, ces bases sont dtruites par des commandos amricains.

1942. Les U-boats empruntent le fleuve St-Laurent et coulent des bateaux canadiens.

1942. L’endroit initialement choisi pour tablir l’aroport de Frobisher Bay [la base Crystal Two] tait Cromwell Island, situe environ 20 miles au sud-ouest de l’emplacement actuel d’Iqaluit, jusqu’ ce que l’on dcouvre le site actuel d’Iqaluit, qui permettait la construction de pistes plus longues de même que l’arrive de bateaux fond plat charges de matriaux durant la priode estivale.

Un bateau  fond plat de la compagnie McAllister se prpare  dcharger sa cargaison  Iqaluit durant la mare basse.
Un bateau fond plat de la compagnie McAllister se prpare dcharger sa cargaison Iqaluit durant la mare basse.

Un convoi de navires transportant des milliers de tonnes de matriel servant la construction de la base Frobisher Bay arrive destination. Ce convoi est cependant attaqu par le U-boat U517 et le navire-cargo Chatham, transportant 6000 tonnes de matriel destin aux bases Crystal One et Crystal Two est coul.

1943. Une station mto allemande inhabite est construite Martin Bay au Labrador pour faciliter les oprations des U-boats. Cette station mto est maintenant expose au muse de la guerre Ottawa. Des photos ont t retrouves où l’on peut voir un quipage allemand souriant mais arm, posant fièrement près de la station mto automatique. Le Canada n’a eu connaissance de l’existence de cette station qu’en 1980.

Station mto automatique allemande expose au Muse de la Guerre  Ottawa
Station mto automatique allemande expose au Muse de la Guerre Ottawa

Plusieurs officiers et soldats capturs en Europe ont t envoys outremer en attendant la fin de la guerre. Mes grands-parents, qui taient propritaires d’une ferme St-Ignace au Qubec, ont ainsi accueilli successivement un officier et deux soldats allemands. Mon grand-père n’a eu que de bons commentaires sur leur comportement et leur dsire d’aider sur la ferme.

1943. Les deux pistes de Frobisher Bay sont maintenant oprationnelles, sans toutefois être tout fait termines. Cependant, les ingnieurs ne possèdent pas les connaissances des Russes quant au maintien de pistes d’atterrissage dans l’Arctique. Les dommages causs par le perglisol sont importants et les pistes exigent beaucoup d’entretien. De l’eau s’coulant sous la surface de la piste et faisant soudainement surface cause parfois des trous pouvant aller jusqu’ cinq mètres de profond. Ces pistes ncessitent un effort constant pour demeurer utilisables.

La première piste être construite sera ventuellement abandonne dû une mauvaise valuation des vents dominants et des dangers associs au relief environnant. Il ne reste que la piste que l’on connaît aujourd’hui, mais qui a tout de même t rallonge 9000 pieds. L’anne 1943 enregistre 323 arrives d’aronefs, mais un petit nombre seulement fait le trajet jusqu’en Europe.

1944. La guerre prend un nouveau tournant. L’avènement des radars longue porte et d’une technologie avance visant la dtection et l’attaque des sous-marins font en sorte que la menace pose par les U-boats dans l’Atlantique Nord diminue radicalement. Le but vis par la cration des aroports de la « Crimson Route » n’a plus sa raison d’être. Le gouvernement canadien, inquiet de la prsence importante des Amricains dans l’arctique Canadien, achète les aroports de cette route au gouvernement amricain.

1950. Les Canadiens prennent officiellement le contrôle de l’aroport de Frobisher Bay, mais autorisent cependant une prsence amricaine, cet aroport ayant maintenant une valeur stratgique dans la guerre froide qui a succd la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La station mto et l’entretien de la piste sont assurs par les forces amricaines.

1951-53. Construction d’une station radar sur une colline au nord-est de la piste 17-35. Cette station complète ce qu’il est convenu de nommer la ligne Pinetree. La ligne Pinetree est forme de nombreuses stations radars de surveillance longue porte; elle couvre tout le sud du Canada et bifurque graduellement vers le nord pour se terminer Frobisher Bay. Toutes ces stations sont habites et peuvent ordonner des interceptions tout moment contre les forces ennemies potentielles, au moyen d’avions raction.

Vestiges de la base militaire amricaine de Frobisher Bay (Iqaluit), Canada
Vestiges de la base militaire amricaine de Frobisher Bay (Iqaluit), Canada

1955. Les Amricains construisent une station de communication juste côt de la station radar. Son nom de code est « Polevault » et elle est charge d’être le lien de communication entre le sud et les oprations visant la construction de la nouvelle ligne Dew travers le nord du Canada.

Un militaire canadien-français du Qubec l’oeuvre Frobisher Bay en 1955

Gaston Gagnon, durant la priode où il servait en tant que militaire canadien dans le domaine des communications,  la station de Frobisher Bay au Canada (ligne Pinetree) vers 1955. Il est dcd en 2016.
Gaston Gagnon, durant la priode où il servait en tant que militaire canadien dans le domaine des communications, la station de Frobisher Bay au Canada (ligne Pinetree) vers 1955. Il est dcd en 2016.

Mon oncle Gaston Gagnon, dcd en 2016, faisait partie des militaires canadiens francophones qui ont t en poste Frobisher Bay.Il s’tait engag en tant que volontaire au moment de la Seconde Guerre Mondiale.

Mdailles de guerre (service volontaire et service honorable durant la Deuxième Guerre Mondiale (1939-1945) du Canadien francophone Gaston Gagnon dcd en 2016
Mdailles de guerre (service volontaire et service honorable durant la Deuxième Guerre Mondiale (1939-1945) du Canadien francophone Gaston Gagnon dcd en 2016
Ecusson de Frobisher Bay, N.W.T., Canada
Ecusson de Frobisher Bay, N.W.T., Canada

Il oeuvrait dans le domaine des communications durant la guerre froide et, en 2016, j’ai reçu quelques photos prises en 1955 Frobisher Bay. Elles tmoignent galement de la prsence amricaine durant cette priode.

Coupole radar de la ligne Pinetree  Frobisher Bay, NWT, Canada en 1955
Coupole radar de la ligne Pinetree Frobisher Bay, NWT, Canada en 1955
Militaire amricain en poste  Frobisher Bay, NWT, Canada pour la surveillance de la ligne Pinetree en 1955
Militaire amricain en poste Frobisher Bay, NWT, Canada pour la surveillance de la ligne Pinetree en 1955
Avion Globe Master C-124 du Military Transport Air Service (U.S. Air Force)  Frobisher Bay, NWT, Canada en 1955 pour le service de la ligne Pinetree durant la guerre froide.
Avion Globe Master C-124 du Military Transport Air Service (U.S. Air Force) Frobisher Bay, NWT, Canada en 1955 pour le service de la ligne Pinetree durant la guerre froide.
C-124 Globemaster du Military Air Transport Service aux Etats-Unis (autour de 1957)
C-124 Globemaster du Military Air Transport Service aux Etats-Unis (autour de 1957)

1956. Les Amricains obtiennent la permission du Canada de construire une base SAC [Strategic Air Command] pour y baser des avions ravitailleurs KC -97 pouvant supporter l’utilisation de bombardiers B -47 utilisant l’arme atomique. La base est construite en 1958 et jusqu’ la cessation des oprations en 1963, au moins sept KC-97 y taient stationns en permanence. La cration des bombardiers B52 et des KC-135 rendirent inutiles les oprations de la base SAC.

B-47 et USAF KC-97
B-47 et USAF KC-97

1960. La piste passe de 6000 9000 pieds.

1961. La station radar de la ligne Pinetree est ferme, mais la station Polevault demeure en opration.

Lignes DEW et Pinetree au nord du Canada
Lignes DEW et Pinetree au nord du Canada

1963. Les Amricains quittent Frobisher Bay et dlèguent le contrôle de la station « Polevault » au DOT [Department of Transport] du Canada, l’ancienne appellation de Transports Canada.

Ancienne base amricaine de Frobisher Bay (Iqaluit)
Ancienne base amricaine de Frobisher Bay (Iqaluit)

1964. L’oprateur radio, et plus tard spcialiste en information de vol (FSS), Georges McDougall, dbarque Frobisher Bay. Tous les habitants du village en viennent connaître Georges car il y travaillera pendant au moins trente-sept annes, et ce sept jours par semaine, sur une rotation de quarts de travail. Il deviendra progressivement le tmoin privilgi de tous les vnements d’importance s’tant drouls autant dans la ville qu’ cet aroport aux rôles multiples.

Ci-dessous une image des anciennes installations du DOT.

Carte postale d'aviation avec Department of Transport Canada  Frobisher Bay, NWT
Carte postale d’aviation avec Department of Transport Canada Frobisher Bay, NWT

1987. Le nom de Frobisher Bay est chang pour Iqaluit.

1993. Dans le but de remplacer progressivement une ligne Dew devenue dsuète, les Canadiens et Amricains construisent conjointement Iqaluit une base de support logistique pour le nouveau North Warning System.

Deux avions de combat CF-18 du Canada quittent la piste  Iqaluit.
Deux avions de combat CF-18 du Canada quittent la piste Iqaluit.

2006. Les tests pour la rsistance au froid extrême sont mens par Airbus pour le A -380, le plus gros avion commercial au monde servant au transport de passagers.

Airbus A380-841  Iqaluit, Canada, pour les tests de froid
Airbus A380-841 Iqaluit, Canada, pour les tests de froid

2014. Des tests de rsistance au froid extrême sont mens par Airbus pour le A-350 XWB.

2015. Le Canada fût l’hôte de la rencontre ministrielle du Conseil de l’Arctique Iqaluit. Le Conseil est compos des pays suivants : Canada, Suède, Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Russie et Etats-Unis. Se joignirent la rencontre les hauts reprsentants d’organisations autochtones ayant le statut de participants permanents.

2021. La compagnie Dassault effectue les test d’endurance au froid Iqaluit pour son Falcon 6X

2022. Le pape François visite Iqaluit lors de son voyage pour la rconciliation.

2024. Un Boeing 787-900 d’Air France atterrit d’urgence Iqaluit cause d’une senteur de brûl dans l’avion.

L’exercice militaire « Amalgam Chief »: des bombardiers B-52 dans le nord du Canada

Deux CF-18s des forces ariennes du Canada  l'cart de la piste d'Iqaluit en 1989, prêts pour le dcollage
Deux CF-18s des forces ariennes du Canada l’cart de la piste d’Iqaluit en 1989, prêts pour le dcollage

En octobre 1989, Stacey Campbell crit un article dans le News North qu’elle intitule : « Military Jets Fill the Arctic Skies ». Elle explique que NORAD (North American Air Defence) doit rgulièrement tenir des exercices visant vrifier la capacit du nouveau système de dfense radar canadien dceler des ennemis potentiels en provenance du Nord.

L’officier militaire interview par Stacey l’informe que l’exercice comprend, entre autres, des avions de combat CF-18, des avions ravitailleurs et des bombardiers B -52. Les CF-18 sont temporairement bass Iqaluit et Inuvik, le temps de l’exercice. D’autres types d’appareils sont galement impliqus dans cet exercice annuel, comme le F-15 Eagle, le bon vieux T-33 et possiblement l’AWAC, mais ce dernier n’est pas atterri Iqaluit.

Un F-15 Eagle amricain atterrissant  Iqaluit en 1990
Un F-15 Eagle amricain atterrissant Iqaluit en 1990

Les spcialistes en information de vol (FSS) d’Iqaluit doivent composer avec la cdule serre fournie par l’officier militaire, tout en intgrant dans la planification les dparts et arrives des aronefs privs et commerciaux.

À l’poque, la voie de circulation la plus utile, celle qui se situe près de la fin de la piste 35, ne peut être utilise du fait que le terrain est trop mou. Tous les avions qui atterrissent sur la piste 35 doivent ensuite circuler rebours sur cette piste avant que celle-ci ne soit complètement dgage pour les prochains atterrissages et dcollages. Les dlais requis lors de cette procdure donnent parfois des maux de tête l’officier militaire assis près de nous.

Un F-15 Eagle amricain dcolle de l'aroport d'Iqaluit
Un F-15 Eagle amricain dcolle de l’aroport d’Iqaluit
Trois T-33 du Canada  Iqaluit en 1990
Trois T-33 du Canada Iqaluit en 1990
Un avion-cargo Starlifter amricain en attente pour le dcollage d'Iqaluit (1989)
Un avion-cargo Starlifter amricain en attente pour le dcollage d’Iqaluit (1989)
Deux CF-18s des forces militaires ariennes du Canada  Iqaluit en 1989
Deux CF-18s des forces militaires ariennes du Canada Iqaluit en 1989

Je me souviens que l’officier militaire responsable de la mission nous avait dit : « Si les avions ne peuvent dcoller d’ici une minute, la mission est annule. » Le hasard avait fait que durant la fenêtre très rduite où les CF-18 devaient dcoller cette journe-l, il y avait beaucoup d’autres aronefs de type commercial ou excutif en opration Iqaluit. Nous devions composer avec les Avro 748, Twin Otter, Boeing 727 et 737, de même qu’avec des jets excutifs en provenance de l’Atlantique. Il y avait toujours un moyen d’arriver un rsultat satisfaisant pour tous et les exercices se terminaient de la façon souhaite.

Deux F-15 Eagle amricains circulant pour un dpart de l'aroport d'Iqaluit (1990)
Deux F-15 Eagle amricains circulant pour un dpart de l’aroport d’Iqaluit (1990)

Ce fut une priode que tout le personnel apprciait, car pour une semaine durant l’anne, les oprations changeaient radicalement : il fallait respecter les besoins impratifs relis l’exercice militaire tout en fournissant les services rguliers la circulation arienne.

Sur cette photo, six CF-18 du Canada, un Lockheed Electra L-188 pour la patrouille des glaces, un Dash-7 et un T-33, stationns  Iqaluit.
Sur cette photo, six CF-18 du Canada, un Lockheed Electra L-188 pour la patrouille des glaces, un Dash-7 et un T-33, stationns Iqaluit.

Nous savons, pour avoir discut avec des membres d’quipage ayant pris part l’exercice, que les forces militaires ont t assez aimables pour remettre au personnel, via notre gestionnaire, des affiches couleur autographies par les pilotes des diffrents escadrons impliqus dans « Amalgam Chief ». Même si le gestionnaire de Transports Canada n’a jamais cru bon de nous montrer ne serait-ce qu’une seule de ces affiches, j’ai apprci cette attention de la part des pilotes.

Un Boeing B-707 des Forces Armes du Canada stationn devant la tour de la station d'information de vol d'Iqaluit
Un Boeing B-707 des Forces Armes du Canada stationn devant la tour de la station d’information de vol d’Iqaluit

Deux commandants de bord forcs de retarder leur dcollage Iqaluit

Aer Lingus Boeing B-737 en finale pour Iqaluit (1989)
Aer Lingus Boeing B-737 en finale pour Iqaluit (1989)

L’histoire se situe durant une journe d’hiver de 1990 où la mto est vraiment mauvaise, mais où il est encore possible d’effectuer un dcollage. Deux compagnies respectivement propritaires d’un Boeing 727 et 737 viennent de terminer l’embarquement des passagers en prvision d’un dcollage qui doit avoir lieu dans les prochaines minutes. Mais dans l’intervalle, les conditions mto empirent et l’aroport se retrouve finalement dans une situation où les aronefs doivent attendre que la visibilit s’amliore.

Les avions sont donc prêts, les moteurs chauffent et pourtant les pilotes ne peuvent dcoller. La pression monte et finalement les pilotes dcident qu’ils tentent leur chance pour un dcollage dans cette mto pourrie. Nous avisons les deux commandants de bord que s’ils tentent un dcollage dans les conditions actuelles, qui sont sous les minimums lgaux, des rapports d’infraction seront dposs contre eux.

Vue  partir de la tour d'information de vol d'Iqaluit FSS: un Boeing B-727 de First Air de même qu'un Boeing B-737 de Canadian Airlines
Vue partir de la tour d’information de vol d’Iqaluit FSS: un Boeing B-727 de First Air de même qu’un Boeing B-737 de Canadian Airlines
Vue  partir de la tour de la station d'information de vol d'Iqaluit: on peut apercevoir un Boeing B-727 de la compagnie Evergreen International (1989)
Vue partir de la tour de la station d’information de vol d’Iqaluit: on peut apercevoir un Boeing B-727 de la compagnie Evergreen International (1989)

Nous recevons naturellement une rponse la mesure de leur impatience, et devant ces mauvaises conditions mto qui persistent et la menace d’une infraction potentielle, les deux commandants de bord doivent se rsoudre reporter le dcollage.

Dans leur impatience vouloir complter le vol, ces commandants ngligeaient qu’il existe toujours la possibilit d’une panne de moteur ou autre urgence majeure au dcollage. En cas de panne d’un moteur juste après le dcollage et dans l’impossibilit de revenir Iqaluit cause de la mauvaise mto, l’avion aurait t forc de franchir une très grande distance avec un moteur en moins pour se rendre un aroport de dgagement, augmentant les risques pour la scurit des passagers.

La menace d’une infraction potentielle, qui a toujours t la prrogative des services de la circulation arienne, a pour effet d’obliger les pilotes attendre pour des conditions mto appropries.

Un Boeing B-737 de NWT Air sur la voie de circulation et un Twin Otter de Bradley Air Services en courte finale pour la piste 36  Iqaluit (1989)
Un Boeing B-737 de NWT Air sur la voie de circulation et un Twin Otter de Bradley Air Services en courte finale pour la piste 36 Iqaluit (1989)
La tour de la station d'information de vol d'Iqaluit, avec en avant-plan un Boeing B-727 de First Air  l'atterrissage piste 36 (1990)
La tour de la station d’information de vol d’Iqaluit, avec en avant-plan un Boeing B-727 de First Air l’atterrissage piste 36 (1990)
Un Boeing B-737 d'Air UK G-UKLB arrive  Iqaluit (vers 1989)
Un Boeing B-737 d’Air UK G-UKLB arrive Iqaluit (vers 1989)
Un Boeing B-737 tout neuf de la compagnie Hapag-LLoyd (D-AHLL) vient d'arriver de Boeing Field  Seattle. Il se dirige ensuite vers l'Allemagne
Un Boeing B-737 tout neuf de la compagnie Hapag-LLoyd (D-AHLL) vient d’arriver de Boeing Field Seattle. Il se dirige ensuite vers l’Allemagne.

Iqaluit: la dame qui se fait voler son sac main sous mes yeux

Iqaluit NWT 1989
Iqaluit NWT 1989

Iqaluit 1990. Un jour où je sors l’extrieur pour faire une promenade, une jeune femme me crie de rattraper un individu qui vient de lui voler son sac main. Une telle demande venant d’une citoyenne d’une grande ville ne m’aurait pas surpris, mais il tait très improbable pour moi de ne jamais entendre cela dans une petite ville comme Iqaluit. Je crois donc immdiatement une farce avec camra cache, mais lorsque je me retourne, je vois le type courir au loin avec quelque chose dans les mains.

Je tente alors de rattraper l’individu et comme je me rapproche progressivement, le fugitif sait qu’il a un choix faire : soit il ralentit et je le rattrape, soit il maintient sa vitesse en descendant une pente escarpe forme de gros blocs de roches aux arêtes pointues. Il choisit la seconde option et entame sa descente en sautant d’une roche l’autre, perd pied, et se heurte la tête contre les roches lors de sa chute.

Toujours tendu travers les roches et le visage ensanglant, il me voit arriver sa hauteur. Je lui demande alors le sac, mais il refuse d’obtemprer. Il s’attend probablement ce que je le frappe, mais je ne suis pas l pour jouer les matamores ou faire justice moi-même. J’attends donc un peu qu’il se calme et lui demande de nouveau de me donner le sac. Il accepte finalement.

L’homme se relève sans trop noter le sang qu’il a sur le visage. Sans dire un mot, il me suit une distance d’environ deux mètres alors que je remonte lentement la pente pour rejoindre la dame qui nous attend tout en haut. En jetant un rapide coup d’œil, je m’assure qu’il n’a pas dissimul un couteau ou une autre arme dans ses mains.

Arriv en haut, je remets le sac main la dame. Lorsque le voleur arrive notre hauteur, la jeune femme commence l’engueuler, profitant de ma prsence au cas où celui-ci voudrait la frapper. J’aurais pu me passer de cette tape, maintenant que le calme est revenu.

Quand la « discussion » est termine entre elle et l’individu, ce dernier tente de s’approcher de moi. Je m’assure de le tenir l’cart d’au moins une longueur de bras pour viter un coup vicieux. Il est assez incomprhensible qu’après un incident de ce genre, un voleur dcide d’accompagner la victime et le poursuivant, comme si rien ne s’tait pass. Il me dit simplement : « You run fast, like Ben Johnson! ».

Finalement, après une courte marche, nous arrivons tous les trois notre point de dpart et le tout se termine aussi subitement que cela avait commenc. La jeune femme dcide qu’elle ne portera pas plainte auprès de la police. Elle me remercie et s’en va de son côt, le voleur s’en retourne au bar d’où il tait venu, et je reprends ma marche dans le calme lgendaire d’Iqaluit, histoire de prendre l’air avant le prochain quart de travail la station d’information de vol d’Iqaluit.

Demande d’asile politique de deux Polonais Iqaluit

Un DC-8-71 de la Trans Ocean Airways et un Boeing B-727 de la compagnie Sterling  Iqaluit (1989). Vue  partir de la station d'information de vol d'Iqaluit
Un DC-8-71 de la Trans Ocean Airways et un Boeing B-727 de la compagnie Sterling Iqaluit (1989). Vue partir de la station d’information de vol d’Iqaluit

Une nuit d’automne 1989, Iqaluit, un Boeing 727 de la compagnie arienne Sterling est stationn sur le tarmac pour une courte escale, histoire de refaire le plein. De la tour de la station d’information de vol (FSS), nous pouvons apercevoir les vhicules des douanes du Canada et de la GRC stationns près de l’appareil, ce qui est inhabituel. Il y a une certaine agitation près de la porte arrière du 727, car plusieurs personnes circulent d’un vhicule l’autre et semblent faire face un imprvu. L’escale se prolonge.

Dans les jours qui suivent, soit le 2 octobre 1989, le Journal de Montral publie l’article suivant : « Deux Polonais, qui avaient prvu de faire dfection Terre-Neuve lors d’une escale technique de leur avion assurant la liaison Gdansk-Vancouver, ont eu la surprise samedi d’apprendre par les autorits canadiennes que l’appareil avait atterri dans le Grand Nord canadien ».

« Les deux hommes, dont l’identit n’a pas t rvle, ont quand même demand l’asile politique, a affirm un responsable de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) la station d’Iqaluit, sur l’île de Baffin, dans l’Arctique. Les Polonais, qui devaient se rendre Vancouver, sur la côte du Pacifique, pour relayer des marins d’une flottille de pêche, se croyaient St John’ s, la capitale de Terre-Neuve, a indiqu le responsable, le caporal Gary Asels ».

« L’officier de douane leur a montr sur une carte l’emplacement d’Iqaluit ( 2100 kilomètres au nord de Montral). Ils s’en fichaient perdument, l’important, pour eux, c’tait d’être au Canada. Ils taient très heureux d’être ici, a comment le caporal Asels ».

On m’a rapport que de façon russir leur sortie de l’avion, les deux Polonais avaient choisi un siège situ près de la passerelle arrière du Boeing 727. Ils ont fait semblant de dormir et quand l’escalier a t abaiss et que la surveillance a t diminue pour un court instant, ils en ont profit pour emprunter rapidement la passerelle et se sont retrouvs sur le sol canadien.

Je ne peux malheureusement pas confirmer aujourd’hui s’ils ont finalement t reçus citoyens canadiens ou s’ils ont dû retourner dans leur pays d’origine.

Iqaluit FSS et la guerre du golfe Persique

Markair L-382 en escale  Iqaluit en 1990
Markair L-382 en escale Iqaluit en 1990

En août 1990, l’Irak envahit le Koweït. Cette invasion est unanimement dnonce, même par les pays traditionnellement aligns avec l’Irak. L’ONU ragit en donnant l’Irak jusqu’au 15 janvier 1991 pour se retirer. Cependant, le ton utilis par Saddam Hussein laisse clairement entendre, dès le dbut du conflit, qu’il n’y aura pas de retrait et qu’il entend intgrer le Koweït au territoire irakien.

Comprenant que la force sera de toute vidence ncessaire, les Etats-Unis (reprsentant une coalition de 34 pays) se prparent immdiatement au conflit. Les mouvements d’aronefs s’accentuent et certains appareils militaires qui devront traverser l’Atlantique s’arrêtent invitablement Iqaluit, sur la terre de Baffin, pour le ravitaillement en carburant, pour ensuite passer par le Groenland, l’Islande, l’Europe et terminer leur voyage au Moyen-Orient.

OV-10 Broncos en escale  Iqaluit en 1990 et  destination du Golfe Persique.
OV-10 Broncos en escale Iqaluit en 1990 et destination du Golfe Persique.

Dès l’t 1990, Iqaluit devient donc un des points de passage oblig pour la traverse de diffrents aronefs militaires vers l’Europe partir des Etats-Unis et du Canada. Ainsi dans notre paysage nordique arrivent des L382 pour le transport de matriel volumineux et des OV-10 Bronco peints couleur dsert. Un peu plus tard l’automne atterrissent d’autres aronefs usage spcialis, tels que des RU-21 Guardrail Common Sensor.

RU-21 Guardrail Common Sensor en escale  Iqaluit en 1990,  destination du Golfe Persique
RU-21 Guardrail Common Sensor en escale Iqaluit en 1990, destination du Golfe Persique

Iqaluit reçoit galement la visite d’un L-382 de la Southern Air Transport, une compagnie parfois utilise par la CIA pour ses dplacements.

Southern Air Transport L-382 N908SJ en escale  Iqaluit en 1990
Southern Air Transport L-382 N908SJ en escale Iqaluit en 1990

Dès qu’un FSS termine avec les communications radio, il se dirige vers le comptoir de briefing pour recevoir les pilotes militaires venus chercher toutes les informations mto et de planification de vol qui seront ncessaires pour une traverse scuritaire de l’Atlantique.

Les frquences HF de la station d’information de vol d’Iqaluit ne drougissent pas, car en plus des contacts normaux associs aux aronefs commerciaux traversant l’Atlantique s’ajoutent dsormais des contacts avec les C5 Galaxy traversant vers l’Europe. Dans les deux semaines prcdant la fin de l’ultimatum de l’ONU, soit entre le 1 et le 15 janvier 1991, la station d’information de vol d’Iqaluit enregistre, par rapport la même priode en 1990, une augmentation de 266 % du trafic ocanique transitant sur son aroport. Les vols sont relis des avions raction d’affaires privs ou noliss des grandes banques, des compagnies ptrolières et des organismes militaires plaçant leurs billes en attente des dveloppements venir. Nous recevons, entre autres, des aronefs de type G1, G2, G3, G4, HS25, DA50, DA90, CL60, C550, LR25 et B-727.

Occidental Petroleum B-727 N10XY en escale  Iqaluit en 1990, en provenance d'Europe
Occidental Petroleum B-727 N10XY en escale Iqaluit en 1990, en provenance d’Europe

Et une bonne nuit de janvier 1991, alors que nous sommes au travail, mon confrère m’annonce calmement, en enlevant son casque d’coute : « Son, the war has started! ». Ce fut une priode assez particulière dont je me souviendrai, du fait que notre formation n’tait pas militaire, mais que nous avons pu vivre pendant une courte priode certains des prparatifs et des mouvements d’aronefs relatifs un conflit d’envergure.

De plus, pour une courte priode, Iqaluit retrouvait essentiellement ce pour quoi le site avait t cr en 1942, lors de la Deuxième Guerre mondiale, c’est–dire une base destine des oprations militaires au service d’avions transitant vers l’Europe.

Iqaluit FSS et le Noël du pilote de la compagnie Saab-Scania

Livre et message envoy par un pilote de Saab-Scania aux spcialistes en information de vol d'Iqaluit
Livre et message envoy par un pilote de Saab-Scania aux spcialistes en information de vol d’Iqaluit

Je conserve de bons souvenirs d’un pilote qui est mont voir le personnel FSS la station d’information de vol d’Iqaluit, en 1990, lors d’un soir de Noël glacial. Ce pilote de la compagnie Saab-Scania tait arriv des Etats-Unis et il devait traverser l’Atlantique vers l’Europe, mais le froid extrême prsent lors de son passage Iqaluit avait compliqu les oprations au sol.

L’horaire serr du pilote de même que les services rduits pour les congs des Fêtes lui avaient occasionn les problèmes les plus divers. Cependant, il avait conserv en tout temps une attitude professionnelle et cela nous avait amen faire l’impossible pour le sortir du ptrin.

Juste avant de quitter la station, il nous avait demand notre nom et adresse Iqaluit. Finalement, une fois tous ses problèmes rgls, le pilote s’tait envol du Canada pour la prochaine tape de son vol. Les semaines passèrent et un beau jour, ma consœur et moi-même reçûmes chacun un paquet en provenance de la Suède. Il s’agissait d’un livre sur l’histoire de la compagnie Saab-Scania et, l’intrieur, il avait pris le temps d’inscrire: « With thanks for the help at Christmas »!

Le dmolisseur improvis Iqaluit

Lumière du ciel la nuit durant l't  Iqaluit, 1988
Lumière du ciel la nuit durant l’t Iqaluit, 1988

Vers 1989-1990, il y a Iqaluit, rsidant dans le même bâtiment de huit tages que moi, un Inuit très rserv. Il passe son temps libre lire en marchant, perdu dans ses penses, un peu comme un prêtre. Nous nous saluons au hasard des rencontres, sans plus.

Un soir où je m’apprête quitter mon appartement pour aller travailler sur le quart de nuit la station d’information de vol d’Iqaluit, j’aperçois dans le couloir un individu en proie une violente crise de colère et qui crie et use de toute sa dtermination pour dfoncer le mur du couloir coups de marteau. Il y met de l’nergie et les travaux avancent…

Je reconnais cet individu que je salue quotidiennement et je fais donc face un problème : pour aller travailler la station FSS, je dois passer près de lui, car il n’y a pas d’autre issue pour quitter le bâtiment. Est-il trop en crise pour même me reconnaître?

Je me rapproche et prends la chance de passer juste derrière lui. Il arrête soudainement de frapper, se retourne le marteau la main en me dvisageant un instant. Puis il me dit, calmement, comme le gentleman qu’il est habituellement : « Good evening! ». Je le salue, marche environ dix mètres en continuant mon chemin vers la sortie et je l’entends alors se remettre crier et attaquer le mur avec son marteau.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y avait parfois des soires où il tait possible d’assister aux scènes les plus invraisemblables. Et, quand cela prcdait le dbut d’un quart de nuit, dans un poste nordique, nous avions l’impression d’être soudainement plongs dans un monde surrel.

J’ignore la façon dont cet pisode s’est termin. Le lendemain matin, mon retour, tout tait redevenu calme. La seule trace laisse par l’individu tait un mur endommag. Dès le dbut de la semaine, les rparations seraient effectues et les dbordements de la fin de semaine deviendraient rapidement choses du pass.

Des pilotes surpris par le froid extrême d’Iqaluit

Les spcialistes en information de vol de la station FSS d’Iqaluit ont parfois t tonns par le type de vêtements ports par les pilotes chargs de convoyer des aronefs de l’Europe vers l’Amrique.

Le plan de vol, pour les aronefs de petite et moyenne taille, comportait frquemment un arrêt par Iqaluit, car un ravitaillement tait ncessaire. Il aurait t raisonnable de croire que les pilotes se prpareraient pour les situations imprvues et prendraient de l’information sur les conditions mtorologiques parfois extrêmes qu’ils devraient rencontrer au moment des diffrentes escales vers l’Amrique.

Pourtant, le personnel FSS a pu observer de nombreuses reprises de petits avions raction connaître des problèmes majeurs lors du ravitaillement sous des tempratures très froides. Pendant que les rservoirs se remplissaient, les pneus s’aplatissaient progressivement sous le froid extrême et l’augmentation de la charge.

D-AHLO B737-4K5 de Hapag Lloyd lors de son vol de livraison en 1989, de Boeing Field (KBFI)  Iqaluit, et par la suite vers l'Allemagne. Il est ravitaill lors de conditions mtorologiques difficiles. Ce type d’appareil ne connaissait pas de problèmes, mais ce n’tait pas le cas des avions  raction plus petits.
D-AHLO B737-4K5 de Hapag Lloyd lors de son vol de livraison en 1989, de Boeing Field (KBFI) Iqaluit, et par la suite vers l’Allemagne. Il est ravitaill lors de conditions mtorologiques difficiles. Ce type d’appareil ne connaissait pas de problèmes, mais ce n’tait pas le cas des avions raction plus petits.

Un petit dlai dans les oprations et les moteurs ne dmarraient plus. Les pilotes sortaient alors de l’appareil, vêtus d’une petite veste de cuir et de souliers d’t. Essayant de se protger le mieux possible du froid mordant, ils gesticulaient en discutant avec un prpos au carburant qui lui, tait bien emmitoufl dans d’pais vêtements conçus pour le froid de l’Arctique et le protgeant de la tête aux pieds.

Une mince veste de cuir et des souliers d’t taient certainement satisfaisants pour le sud de l’Europe, mais loin d’être appropris sur le tarmac d’un aroport où le coefficient de refroidissement oscillait frquemment entre -50 C et -65 C. L’avion devait parfois être remorqu vers un hangar pour être rchauff pendant des heures, sinon durant toute la nuit, et les frais de transit augmentaient de façon exponentielle.

J’imagine que tout pilote qui a vcu une exprience semblable s’en souvient aujourd’hui aussi clairement que le personnel FSS, mais pas pour les mêmes raisons. Et il y a fort parier que lors d’un second voyage, la prparation tait cette fois impeccable.

Le paysage autour d'Iqaluit, par une belle journe, lorsqu’il y a encore de la glace dans la Baie. Les tons de bleu sont absolument magnifiques.
Le paysage autour d’Iqaluit, par une belle journe, lorsqu’il y a encore de la glace dans la Baie. Les tons de bleu sont absolument magnifiques.

Canada: Iqaluit FSS et la tempête solaire de 1989

L’anne 1989 avait t problmatique pour les spcialistes en information de vol d’Iqaluit tentant de communiquer au moyen de frquences HF avec les aronefs traversant l’Atlantique Nord.

Nous tentions comme d’habitude d’obtenir les rapports de position 60, 70 et 80 degrs Ouest, de façon nous assurer que les diffrents centres de contrôle de Montral, Gander, Winnipeg et Edmonton puissent maintenir un temps de dix minutes ou un espacement de 80 miles nautiques entre chaque appareil. Il fallait noter les routes, la position actuelle et prvue, les temps, la vitesse et l’altitude, tout en relayant les autorisations ATC.

Des spcialistes en information de vol au travail  la station FSS d'Iqaluit en 1989
Des spcialistes en information de vol au travail la station FSS d’Iqaluit en 1989

Mais durant plusieurs semaines en fvrier et mars, la qualit des changes radio avait t grandement diminue par une tempête solaire suffisamment puissante qu’elle avait perturb le rseau hydro-lectrique du Qubec et plong la province dans la noirceur pendant neuf heures le 13 mars.

Lors d’une tempête solaire majeure, le spectre complet des frquences HF peut devenir inutilisable durant de frquentes priodes variant de dix minutes une heure.

Je me souviens de plusieurs cas problmatiques, dont un pisode où un contrôleur d’un centre de contrôle rgioanl nous demanda de contacter un aronef pour savoir si le pilote tait capable de monter 37,000 pieds une fois rendu 70 degrs ouest. La question fut transmise au pilote et il rpondit immdiatement : « Roger, we are climbing 370 ». Il n’avait reçu aucune autorisation de changer son altitude, mais il tait maintenant en train de commencer l’ascension une altitude où il n’y avait pas de sparation suffisante entre lui et les autres aronefs.

Nous lui avions alors rpt maintes reprises : « Negative, this is a question, this is not a clearance, do not climb to flight level 370 », mais le pilote ne rpondit jamais cause de la pauvre qualit des communications HF. Le centre de contrôle fût rappel en vitesse et avis de la situation.

Pour le reste de la dure de la tempête solaire, les spcialistes en information de vol furent interrogs quant la qualit actuelle des communications HF avant que des demandes ponctuelles soient transmises par radio, de façon viter de mauvaises surprises.

Le sultan de Brunei s’arrête Iqaluit, dans l’Arctique Canadien

L’aroport d’Iqaluit constitue une escale populaire pour le ravitaillement de plusieurs types d’appareils court ou moyen rayon d’action lorsque ceux-ci doivent survoler l’Arctique Canadien. Sa piste de 8,600 pieds permet n’importe quel type d’appareil d’atterrir. Des avions de la compagnie Airbus, dont le A380, le A350-XWB et le A330-200F y ont d’ailleurs t mis l’preuve durant plusieurs jours lors de tests en condition de froid extrême.

Airbus A330-200F arrivant  Iqaluit pour des tests lors de froid extrême. (PHOTO par CHRIS WINDEYER)
Airbus A330-200F arrivant Iqaluit pour des tests lors de froid extrême. (PHOTO par CHRIS WINDEYER)

Des acteurs bien connus, des princes et princesses (dont des membres de la monarchie Britannique) et plusieurs personnalits politiques s’y sont arrêts au cours des annes. Même Nelson Mandela y est pass lors d’une escale en provenance des Etats-Unis.

Elder Alacie Joamie and Prince Albert II of Monaco in Iqaluit in 2012
Elder Alacie Joamie and Prince Albert II of Monaco in Iqaluit in 2012

Vers 1989-1990, le sultan de Brunei et sa suite se sont eux aussi arrêts Iqaluit. Le personnel de la station d’information de vol d’Iqaluit a t surpris de constater qu’un Boeing 727 n’tait pas suffisant pour accommoder le souverain. En effet, deux autres jets privs de type Gulfstream prcdaient l’arrive du B-727.

Une fois les trois aronefs stationns sur le tarmac, la porte avant du Boeing B727 s’est ouverte, un grand tapis rouge a t droul sur le sol, partir de l’escalier de l’avion. Deux femmes sont sorties du Boeing et ont balay le tapis sur toute sa longueur puis, quelques minutes plus tard, le monarque est sorti prendre l’air frais du Grand Nord.

En moins d’une heure, le ravitaillement tant complt, tout ce beau monde est reparti sans plus attendre. C’tait la première fois que j’tais tmoin d’un tel dploiement de ressources pour transporter un souverain.

Mais je n’avais encore rien vu. Quelques annes plus tard, j’tais transfr la station d’information de vol de Qubec, qui deviendrait plus tard le Centre d’information de vol de Qubec, sous Nav Canada. L, j’ai pu tmoigner, en compagnie d’autres employs des services de la circulation arienne, de la frnsie entourant l’arrive du Prsident des Etats-Unis, Georges W. Bush, pour le Sommet des Amriques de 2001. Sans commune mesure…

Photographie et aviation: Air UK Leisure B737-4YO G-UKLB

En 1982, Air UK cessa ses oprations de vols noliss. Mais cinq ans plus tard, la compagnie reprenait ce genre de vols, sous le nom d’Air UK Leisure. Elle dbuta ses oprations en utilisant trois Boeing 737-200s mais ralisa rapidement que d’autres avions seraient requis. En 1988, Air UK Leisure commanda sept nouveaux 737-400s, les premiers de ce type en Europe.

Ces 737-400s tant construits Boeing Field Seattle, ils devaient survoler le nord du Canada pour se diriger vers l’Europe. Ces avions ne pouvaient pas effectuer un vol aussi long sans faire une escale pour prendre du carburant. Ils atterrirent donc Iqaluit, sur la Terre de Baffin, au Canada.

Air UK G-UKLB Boeing B737 arrivant  Iqaluit
Air UK G-UKLB Boeing B737 arrivant Iqaluit

Dans la photo unique ci-dessus, vous pouvez apercevoir un de ces nouveaux Boeings, un B737-4YO, G-UKLB.

Durant la même priode, plusieurs compagnies ayant nouvellement acquis des B737-400s et 500s firent le même voyage de Seattle vers l’Europe en s’arrêtant Iqaluit. Parmi ces compagnies, Aer Lingus et Hapag-Lloyd.

B-737 de la compagnie Aer Lingus en finale pour Iqaluit en 1990
B-737 de la compagnie Aer Lingus en finale pour Iqaluit en 1990
Un Boeing B-737 tout neuf de la compagnie Hapag-LLoyd (D-AHLL) vient d'arriver de Boeing Field  Seattle. Il se dirige ensuite vers l'Allemagne
Un Boeing B-737 tout neuf de la compagnie Hapag-LLoyd (D-AHLL) vient d’arriver de Boeing Field Seattle. Il se dirige ensuite vers l’Allemagne.

Iqaluit, havre pour la drogue

En 1990, Stacey Campbell, du journal News North, crit un article qu’elle intitule : « Iqaluit Drug Haven ». Elle y mentionne que l’aroport d’Iqaluit est l’endroit où arrive la drogue desservant toute la rgion de l’île de Baffin. Le courrier est galement un moyen utilis par les trafiquants. Marijuana, haschisch et cocaïne sont offerts sans avoir chercher bien longtemps.

Sur l’tage suprieur du bâtiment de huit tages dans lequel je demeure, les utilisateurs de drogues sont de plus en plus nombreux. Alors qu’il y a un an seulement l’endroit tait relativement tranquille, ce n’est plus le cas aujourd’hui. De mon appartement, j’entends plus souvent les cris provenant du couloir ou des chambres avoisinantes et les « Open the door! » lancs par les policiers de la GRC.

Il y a des cas de violence conjugale, des bagarres, des gens que je dois enjamber pour circuler dans le couloir parce qu’ils sont tendus par terre, la tête dans leur flaque de vomissures, totalement intoxiqus. Tout près de l’endroit où j’habite, quelqu’un a t sorti assez rapidement d’un appartement : la porte et quelques moulures sont arraches et il y a du sang sur les murs du corridor. L’endroit est beaucoup moins paisible que l’an dernier.

Au centre de l'image, un immeuble  tages habit par des clibataires  Iqaluit en 1988
Au centre de l’image, un immeuble tages habit par des clibataires Iqaluit en 1988

Dans une chambre tout près se runissent certains cas problmatiques, spcialement le vendredi soir. Il n’est pas rare que la tension monte alors que plusieurs personnes se querellent entre des parties de cartes. L’endroit est devenu malsain pour une personne tentant de se reposer un peu entre les quarts de jour, de soir et de nuit ajouts un horaire de travail de sept jours par semaine la station d’information de vol d’Iqaluit.

Je me souviens d’une occasion où quelqu’un s’est mis frapper sur ma porte de chambre alors que j’tais en train d’tudier bien tranquille. Je pouvais entendre crier: « I am going to kick your ass! Je n’avais absolument aucune ide de ce qui se passait et comme il semblait que j’tais directement interpell, j’ai ouvert la porte.

Je reconnais alors un individu qui j’ai demand poliment, il y a au moins six mois, d’essayer de faire un peu moins de bruit. Tous ces mois sont passs et soudainement le souvenir de la demande revient la mmoire de cette personne, ce soir dans un tat second. Il a visiblement pris ma demande pour une insulte. Il semble pour l’instant sous l’emprise d’un produit “driv” et est en colère.

Il se tient debout dans le couloir. Toute confrontation physique “modre” semble inutile parce que dans l’tat où il se trouve, il apparaît que seules des actions rapides et radicales auront du succès.

Je tente de fermer lentement la porte, mais il l’immobilise avec sa main. La situation se gâte un peu plus. J’attends quelques secondes puis essaie de nouveau, calmement et sans dire un mot. Dans quelques secondes, si cela ne fonctionne pas, il ne restera qu’une solution. J’appuie progressivement sur la porte et lui, mon plus grand tonnement, commence cder, laisser aller, si bien qu’en environ vingt secondes, la porte est referme.

Tout cela s’est fait dans le plus grand silence. Dans ma chambre, je me tiens quelques pieds de la porte, anticipant qu’elle sera dfonce sous peu. Mais rien ne se produit. Toujours le silence. Après quelques minutes être rest l, dans ma pièce, attendre la suite des vènements, je ralise que tout est termin. Quelle soire bizarre! Cela ne se serait pas termin ainsi dans une grande ville du Sud.

Je suis en mesure de dire qu’en effet, Iqaluit en 1990 tait un havre pour la drogue. De plus, l’tage où se trouvait ma chambre ne faisait pas exception. Heureusement, j’ai ventuellement pu changer d’tage et me retrouver avec des gens qui avaient un mode de vie un peu plus balanc et le besoin de dormir l’occasion…

Iqaluit FSS et le DC-8 surcharg

DC-8-63F de Trans Ocean N794AL  Iqaluit en 1989
DC-8-63F de Trans Ocean N794AL Iqaluit en 1989

Une journe d’t de 1989, un DC-8-63F est dcoll de l’aroport d’Iqaluit, piste 36, en direction de Los Angeles. De façon faire le vol sans escale, les rservoirs de l’appareil avaient t remplis au maximum. Le poids combin du carburant, des passagers et du cargo ncessitèrent une course au sol extrêmement longue avant que les roues ne quittent le sol.

De notre point de vue partir de la tour de la station d’information de vol d’Iqaluit, il nous sembla que le pilote avait attendu la dernière minute avant de tirer sur le manche pour commencer l’ascension. Et même une fois en vol, l’avion volait de façon horizontale, très près du sol au-dessus d’un terrain peu accident de façon profiter de l’effet de sol.

Cependant, quelques kilomètres du seuil de la piste 18, le terrain s’levait suffisamment pour forcer un pilote tablir un taux de monte positif. Le pilote fit donc monter lgèrement le DC-8, mais en vitant encore tout virage pour profiter d’un maximum de portance.

Avec des jumelles, nous le regardions s’loigner et il y a longtemps que l’avion aurait dû effectuer un virage vers la gauche. Lorsque cela fût finalement tent, l’avion commença s’enfoncer et perdre l’altitude gagne prcdemment. Nous pouvions suivre les changements d’altitude en observant les longues traînes noires occasionnes par le carburant brûl.

Constatant sa descente, le pilote avait remis l’appareil en vol rectiligne. Finalement, un autre virage de cinq ou dix degrs fût tent puis l’avion commença monter très lgèrement. Ce fut certainement un dcollage la limite des capacits de l’appareil.

C’tait la première fois que nous considrions appuyer sur le bouton rouge servant signaler une urgence majeure auprès des units d’intervention de l’aroport. Mais cela n’aurait pas t très utile, car bien peu d’aide aurait t apporte dans un dlai suffisamment rapide, considrant la position de l’aronef, son norme chargement en carburant et l’absence totale de routes dans cette rgion isole.

N795AL DC-8-63 Trans Ocean airborne runway 18 in Iqaluit in 1990
N795AL DC-8-63 Trans Ocean airborne runway 18 in Iqaluit in 1990
C-GMXD DC-8-61 de Nationair  Iqaluit en 1989
C-GMXD DC-8-61 de Nationair Iqaluit en 1989

Des corbeaux volent par -85C autour de la station FSS d’Iqaluit

Corbeau photographi par Brad Hill en 2010
Corbeau photographi par Brad Hill en 2010

Fvrier 1990 Iqaluit. Les activits ont un peu ralenti aujourd’hui. La temprature de -43 C allie des vents nord-ouest de 35 mph fait en sorte que le facteur de refroidissement est descendu -85 C (NOAA Wind Chill Chart). On aperçoit beaucoup moins de passants et encore moins de vhicules sur les quelques routes de la ville. Beaucoup de moteurs ne dmarrent plus, l’huile moteur a pratiquement la consistance de la tire d’rable.

Journe tonnante, car, depuis la tour de la station d’information de vol d’Iqaluit, nous assistons un ballet des plus inusit. D’immenses corbeaux ont choisi cette journe pour s’amuser, sans gard la temprature. Volant du côt sous le vent près de la tour FSS, ils profitent de l’effet de venturi. Nul besoin de battre des ailes. Ils ne font que planer tout en corrigeant, l’occasion, l’angle d’attaque pour s’ajuster aux multiples rafales.

Le facteur de refroidissement s’applique la peau des organismes vivants et il me semble tout fait spectaculaire de voir ces grands oiseaux noirs s’amuser alors que l’on s’attendrait, avec un facteur de -85 C, ce que des corbeaux qui n’ont absolument pas besoin d’être en vol recherchent un refuge en attendant une accalmie.

Lorsqu’un grand corbeau passe près de nous en planant, on entend clairement le bruit caus par le vent sur ses ailes. Un jour où je faisais une marche dans les environs du village d’Apex, dans le silence le plus complet, j’ai entendu un de ces corbeaux planer juste au-dessus de ma tête. Il tait probablement intress savoir s’il y avait quelque chose de comestible dans cette masse informe transforme par les multiples pelures de vêtements d’hiver. Il n’y avait que le bruissement des grandes ailes ouvertes et aucun autre son : une exprience vraiment spciale.

Le village de Apex en 1989
Le village de Apex en 1989

Iqaluit FSS et les pilotes bien endormis

Avion de ligne et cumulonimbus
Avion de ligne et cumulonimbus

Au dbut des annes ‘90, alors que je suis en poste la station d’information de vol d’Iqaluit et responsable des communications radio HF permettant le suivi des vols transocaniques, je reçois un appel d’un contrôleur qui me demande de tenter de rejoindre un gros porteur d’une compagnie internationale europenne.

Leurs pilotes ont pass 60 degrs Ouest sans communiquer avec l’Islande et il devient ncessaire de s’assurer que le temps de passage pour 70 degrs Ouest et l’altitude de l’aronef sont toujours valides.

Je tente de communiquer avec l’quipage en utilisant tous les moyens ma disposition, dont l’utilisation du système SELCAL, cens gnrer une alarme bord de l’appareil. Rien n’y fait. D’autres aronefs de grandes compagnies volant dans les parages sont mis contribution, en tentant des appels sur les frquences VHF d’urgence. Toujours aucune nouvelle.

Puis soudainement, environ une heure après que les pilotes auraient dû donner signe de vie, je reçois finalement une rponse mes appels continus. J’annonce l’quipage que tous les efforts ont t faits pour tenter de les rejoindre, mais sans succès. J’en profite pour leur demander immdiatement un rapport de position et une estimation pour le prochain point de compte-rendu obligatoire. D’une voix calme, le pilote me rpond qu’il ne sait pas pourquoi je n’ai pas reçu ses appels et il prpare immdiatement un rapport de position en bonne et due forme.

Il est trange qu’en cette journe où la rception HF est excellente, et où toutes les compagnies communiquent avec Iqaluit radio sans aucun problème, cette compagnie arienne ait pu maintenir le silence pour une priode aussi longue.

Le rapport de position nous est transmis, et il devient vident qu’il s’agit de la plus pure improvisation. Si l’on en croit les donnes qui nous sont maintenant transmises, cet aronef russira parcourir 400 miles nautiques dans les prochaines dix minutes. Ce qui quivaut traverser une grande partie du Canada en une heure peine.

J’avise le pilote de refaire ses calculs puisque visiblement il n’a aucune ide de l’endroit où il se trouve. Il me revient avec de nouveaux chiffres, tout fait diffrents, et qui fonctionnent cette fois.

Je devine dsormais que dans la tranquillit de ce vol transatlantique, le sommeil a gagn l’quipage et le pilote automatique s’est charg de garder l’avion en vol pendant que l’quipage roupillait. Rveills ventuellement par les multiples appels, l’quipage n’a pas tenu compte du dplacement de l’aronef pendant cette heure où les pilotes dormaient et, soucieux de ne pas se faire prendre en dfaut, a transmis rapidement des calculs totalement errons.

L’histoire se termine tout de même de belle façon, puisque l’quipage, dsormais repos, a par la suite fourni les informations exactes lors des rapports de position subsquents, permettant de continuer le vol de façon scuritaire jusqu’ la destination.

Iqaluit FSS et le DC-8 de Trans Ocean Airlines

En 1989, Cam Lockerbie, du journal News North, raconte l’aventure de passagers pris pour rester plus longtemps que prvu Iqaluit cause d’une escale qui a mal tourn.

Un DC-8 de Trans Ocean Airlines faisant le trajet San Francisco – Grande-Bretagne s’arrête Iqaluit, sur la Terre de Baffin, pour refaire le plein en carburant, mais connaît des problèmes avec le ravitaillement. L’avion ne pourra dsormais dcoller avant le lendemain et 220 passagers doivent donc se trouver un endroit pour coucher Iqaluit.

Les efforts dploys pour accommoder tous ces gens sont importants, car les chambres d’hôtel libres sont nettement insuffisantes. Finalement, les passagers sont disperss travers la ville et même s’il n’y a pas suffisamment de lit pour chaque personne, il y a au moins un toit pour passer la nuit.

L'aile d'un DC-8 de Trans Ocean Airlines entre en contact avec un hangar  Iqaluit
L’aile d’un DC-8 de Trans Ocean Airlines entre en contact avec un hangar Iqaluit

La pièce de rechange servant rparer le DC-8 est livre par jet nolis directement des Etats-Unis. Lorsqu’elle est finalement installe, le DC-8 tente de circuler, mais rencontre un nouveau problème. L’aronef doit tenter de se glisser entre un Lockheed L -1011 install aux pompes et le hangar de Bradley Air Services. Un employ d’une compagnie arienne est demand pour se placer devant le DC-8 et le guider de façon s’assurer qu’il n’y a aucun contact avec le L -1011 ou le hangar.

L’article du journal mentionne que l’aronef n’tait pas capable de circuler pass le hangar et qu’une portion du bout d’aile dut être enleve. Ce que le journaliste ne dit pas, sûrement parce qu’il l’ignorait, est qu’il y eut contact entre la porte du hangar et le bout de l’aile, malgr la prsence d’une personne au sol, comme le dmontre la photo ci-dessus prise par le personnel FSS de la station d’information de vol d’Iqaluit.

Et lors du retour de l’Europe, le même DC-8 rencontra un problème d’alternateur et, n’eût t de l’habilet de l’ingnieur pour rparer le tout en moins de deux heures, les passagers auraient de nouveau couch Iqaluit. Dans l’anne qui suivit, la compagnie dclara faillite.

Lockheed L-1011 de American Trans Air devant la station d'information de vol d'Iqaluit en 1989
Lockheed L-1011 de American Trans Air devant la station d’information de vol d’Iqaluit en 1989
B-737 de Canadian Airlines et HS-748 de Firstair  Iqaluit en 1989
B-737 de Canadian Airlines et HS-748 de Firstair Iqaluit en 1989

En route vers l’Afrique du Sud, Nelson Mandela s’arrête Iqaluit

Le 1er juillet 1990, quelques mois après avoir t libr de vingt-sept annes d’emprisonnement, le prsident de l’Afrique du Sud, Nelson Mandela, dbarque de nuit Iqaluit. Il est 3 h 30 et l’avion arrive de Dtroit aux Etats-Unis. Mandela y a particip un vènement reli aux grands constructeurs automobiles amricains où il a t invit prononcer un discours.

J’imagine que ce voyage Dtroit devait lui rappeler des souvenirs, car dans son autobiographie, il mentionne que la première automobile qu’il ait vue dans sa jeunesse tait une grosse voiture de luxe qu’il reconnut plus tard comme tant un V8 de Ford.

Après Dtroit, le jet qui transporte le couple Mandela a suivi une ligne orthodromique autour de la planète pour le retour ventuel en Afrique du Sud. Un arrêt Iqaluit, dans l’Arctique canadien, devenait obligatoire pour ravitailler l’aronef.

En prvision de l’arrive des dignitaires, la tour de la station d’information de vol d’Iqaluit et les installations aroportuaires sont scurises par les policiers de la GRC. Avant de rencontrer les dignitaires, le couple Mandela prend le temps de bifurquer vers un groupe de personnes qui les acclament l’extrieur. Ils discutent de façon impromptue, chaque groupe tant spar par la clôture de scurit de l’aroport.

Comme le rapporte l’historien Kenn Harper dans Nunatsiaq News en 2008, le personnel de scurit tente alors de ramener prcipitamment le couple Mandela dans le terminal, car des VIP les attendent. Mais Mandela rpond : « [ma traduction] il n’y a pas de personnes plus importantes pour moi ce soir que ces gens qui sont venus pour discuter avec moi. J’entrerai dans le terminal quand j’aurai termin de discuter avec eux ».

Dans ses mmoires Conversations with Myself (Farrar, Straus et Giroux, 2010), Mandela parle de son exprience avec les gens du village : « [ma traduction] ce qui m’a tellement frapp est de constater combien la planète tait devenue plus petite durant mes dcennies d’emprisonnement; c’tait incroyable pour moi de voir qu’un adolescent inuit vivant sur le toit du monde peut assister la libration d’un prisonnier politique de l’Afrique du Sud ».

Nelson Mandela et son livre "Conversations with Myself", image extraite du site web www.nelsonmandela.org le 5 Janvier 2016
Nelson Mandela et son livre « Conversations with Myself », image extraite du site web www.nelsonmandela.org le 5 Janvier 2016

À leur entre dans les locaux de Transports Canada, Nelson et Winnie Mandela sont reçus par plusieurs personnes, dont le chef inuit d’Iqaluit. Une crmonie a lieu dans une pièce voisine de mon lieu de travail, un tage plus bas, sous la tour de la station d’information de vol.

Vers 0400h du matin, je descends de la tour pour transmettre un message important concernant le vol de retour. Au bas des escaliers, un policier, immense gaillard de six pieds six pouces, est positionn de l’autre côt de la porte et empêche notre personnel d’avoir accès au corridor.

Je cogne doucement travers la porte vitre et lui montre que j’ai un message pressant pour le personnel entourant Mandela. Il refuse de bouger. La mthode polie n’ayant pas fonctionn, j’utilise les moyens susceptibles d’engendrer rapidement un rsultat. Cela ne se fait pas sans un minimum de bruit.

Le policier me laisse finalement passer, sachant très bien que la cote de scurit de tous les spcialistes en information de vol est vrifie sur une base rgulière. À voir son expression faciale, il est clair que nous ne sommes plus amis.

Bien entendu, tous mes essais pour ouvrir la porte ont drang un peu la crmonie. Au moment de livrer le message, je peux apercevoir le couple Mandela assis dans la salle voisine, quelques mètres seulement, en train d’assister une danse inuite traditionnelle. Attir par le bruit dans le couloir, Nelson Mandela dtourne son attention du spectacle et nous nous observons un court instant.

Il est frappant de voir cet homme remarquable assis droit comme un jeune homme dans la fleur de l’âge, ne montrant aucune fatigue, malgr la journe charge qu’il vient de vivre et l’heure avance de la nuit qui ne lui permettra certainement pas de trouver le sommeil avant 5 h. Cette nuit-l, j’ai un peu mieux compris ce qu’impliquent les devoirs d’un chef d’Etat et toute l’nergie requise jour après jour pour occuper le poste.

6 réponses sur « Histoires vécues en tant que FSS à Iqaluit »

Salut François.
J’ai agit à titre de FSSM à Iqaluit de 1986 à 1988. J’ai vécu le changement de nom de l’emplacement pendant mon séjour. Les anglophones ne savaient pas qu’un Q sans U pouvait se prononcer comme un K…
Hormi cela et une couple de blizards, je n’aurais pas eu autant que toi à dire sur CYFB même si j’ai beaucoup aimé y travailler.
J’ai lu avec un grand intérêt ton histoire..
MERCI pour ce bon moment.
Léo LeBlanc

Salut Léo, je me rappelle très bien de toi. Une bonne réputation. D’ailleurs, c’est toi et Raymond Douville qui m’avez sélectionné comme FSS à « Dorval » à l’époque, lors de l’entrevue après les examens initiaux. Je me rappelle de ta grande barbe noire et de l’histoire du « Polar bear on Stevenson screen »! Merci pour être passé faire une visite sur mon site. Si ça t’intéresse, j’ai aussi une section sur TCTI Cornwall et des histoires sur Inukjuak. Une petite recherche dans le menu et tu trouveras sans peine. Bref, beaucoup de souvenirs.

Bonjour,
Très intéressant, superbes photos et beaucoup de souvenirs pour moi. J’ai eu aussi la chance de travailler à Frobsiher-Bay, 2 étés comme étudiant pour « Bell Canada Services Arctique » en 1977-78 et eu la chance de faire le tour de beaucoup d’endroits dans l’Arctique Canadien pour ce travail (Résolute, Pangnirtung, Clyde River, Hall Beach et tant d’autres). J’arrivais au mois de mai et repartais au mois de septembre. Notre camion était CF-YFT, un Twin-Otter de la compagnie Bell-Canada, toujours chargé avec plein d’équipement, que de kilomètres en avion j’ai pu faire pendant ces étés. Mon père y a tavaillé 18 ans avant moi, aussi pour Bell-Canada. Je me rappel lui avoir souvent parlé par l’entremise de Radio-Alma « … -Over ! » et des premières communications satellites ou il y avait un délais entre la réception et le retour dans les communications. C’était mon premier travail et aussi une des plus belles expériences de travail que j’ai pu avoir dans ma vie. Un de mes frères à aussi travaillé dans l’Arctique, militaire celui là, à la base de Alert encore quelques kilomètres plus haut que Grise-Fiord.
Merci encore pour votre récit à Iqualuit.
Richard

Très intéressant commentaire Richard, c’est toute une expérience dans le Nord comme étudiant. Tu as eu la chance d’aller dans bien des endroits que j’aurais aimé visiter. Et ton frère à Alert, ça c’est vraiment extrême!! L’avion de Bell Canada, CF-YFT, il était connu de façon sarcastique comme « Can’t fix your f….n telephone »… Si tu veux voir une photo de CF-YFT, regarde mon site sous « Histoires vécues à Inukjuak ». Comme pour les multiples histoires que j’ai pour Iqaluit, j’en ai également pour Inukjuak, pour Rouyn-Noranda et Québec. Il suffit d’aller en haut de l’écran et de voir le menu déroulant: tu choisis ensuite ce qui t’intéresse. Je travaillais à Inukjuak le soir où CF-YFT a fait un appel d’urgence pour se poser car il ne lui restait plus d’essence. Il y a avait une panne d’électricité et les lumières de piste ne fonctionnaient pas. Nous avons fait venir des ski-doos conduits par des Inuits et ces derniers ont éclairé la piste pour permettre un atterrissage.

Merci pour votre récit et photos qui m’a très captivé, ayant moi même travaillé a la construction de l’aréogare en 1984. J’fait la ventilation dans la tour de contrôle , j’ai travaillé dans plusieurs villages. Les paysages sont tellement beaux, j’en garde un beau souvenir. Bonne journée

Merci pour votre message, je suis heureux que les récits et photos aient pu vous rappeler de bons souvenirs. Il est exact que les paysages sont superbes. Vous avez certainement fait comme moi et travaillé 60 heures par semaine lorsque vous étiez dans le Nord!! À titre d’info seulement, il n’y a pas de tour de contrôle une fois que l’on se trouve au nord de St-Honoré au Saguenay. Lorsque les gens voient des tours sur certains aéroports du Nunavik, et même au Nunavut ( entre autres Iqaluit), il s’agit plutôt de tours FSS (pour une station d’information de vol). Mais je reconnais que la distinction est vraiment difficile à faire car la tour d’Iqaluit a vraiment l’air d’une tour de contrôle.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *